Page images
PDF
EPUB

pas plus longtemps; tous ont un même intérêt : les rois eux-mêmes, si quelquefois de profondes vérités peuvent pénétrer jusque dans les conseils des rois, si quelquefois les préjugés qui les environnent peuvent laisser passer jusqu'à eux les vues saines d'une politique grande et philosophique; les rois eux-mêmes doivent apercevoir qu'il y a loin pour eux entre l'exemple d'une grande réforme dans le gouvernement, et l'exemple de l'abolition de la royauté; que si nous nous arrêtons ici, ils sont encore rois; que même l'épreuve que vient de subir parmi nous cette institution, la résistance qu'elle a offerte à un peuple éclairé et fortement irrité, le triomphe qu'elle a obtenu par les discussions les plus approfondies; que toutes ces circonstances, dis-je, consacrent pour les grands États la doctrine de la royauté; que de nouveaux événements en pourraient faire juger autrement, et que, s'ils ne veulent pas sacrifier à de vaines espérances la réalité de leurs intérêts, la terminaison de la révolution française est aussi ce qui leur convient le mieux.

Quelle que soit leur conduite, messieurs, que la nôtre au moins soit sage, que la faute vienne d'eux; s'ils doivent en souffrir un jour, que personne dans l'univers, en examinant notre conduite, n'ait un reproche juste à nous faire! Régénérateurs de l'empire, représentants de la nation française, suivez aujourd'hui invariablement votre ligne vous avez montré que vous aviez le courage de détruire les abus de la puissance; vous avez montré que vous aviez tout ce qu'il faut pour mettre à la place de sages et d'heureuses institutions : prouvez aujourd'hui que vous avez la force, que vous avez la sagesse de les protéger et de les maintenir. La nation vient de donner une grande preuve de force et de courage; elle a solennellement mis au jour, et par un mouvement spontané, tout ce qu'elle pouvait opposer aux événements dont on la menaçait : continuons les mêmes précautions; que nos limites, nos frontières soient puissamment défendues. Mais au moment où nous manifestons notre puissance, prouvons aussi notre modération; présentons la paix au monde inquiet des événements qui se passent au milieu de nous; présentons une occasion de triomphe, une vive satisfaction à tous ceux qui, dans les pays étrangers, ont pris intérêt aux événements de notre patrie, et qui nous disent de toute part: Vous avez été courageux, vous êtes puissants; soyez aujourd'hui sages et modérés; c'est là que sera le terme de votre gloire ! C'est ainsi que vous aurez prouvé que dans des circonstances diverses, vous saviez employer et des talents, et des moyens, et des vertus diverses!

C'est alors que, vous retirant dans vos foyers, après avoir vigou

reusement établi l'action du gouvernement, après avoir énergiqucment prononcé que vous voulez que la France présente un asile paisible pour tous ceux qui voudront obéir aux lois; après avoir donné le mouvement à vos institutions (et cela est possible dans un temps prochain, car je ne suis pas disposé à éloigner l'instant de notre séparation); après avoir mis en vigueur tout ce qui fait agir le gouvernement, vous vous retirerez dans vos foyers; vous aurez obtenu par votre courage la satisfaction et l'amour des plus ardents amis de la révolution et de la liberté, et vous obtiendrez de la part de tous, par de nouveaux bienfaits, des bénédictions, ou du moins le silence de la calomnie! J'adopte les propositions de M. Salles, et je conclus à l'admission du projet des comités. (Applaudissements.) La proposition des comités fut décrétée en ces termes :

« L'assemblée nationale, après avoir entendu ses comités militaire et diplomatique, de constitution, de révision, de jurisprudence criminelle, des recherches et des rapports; attendu qu'il résulte des pièces dont le rapport lui a été fait, que le sieur Bouillé, général de l'armée française sur la Meuse, la Sarre et la Moselle, a conçu le projet de renverser la constitution; qu'à cet effet, il a cherché à se faire un parti dans le royaume, sollicité et exécuté des ordres non contre-signés, attiré le roi et sa famille dans une ville de son commandement, disposé des détachements sur son passage, fait marcher des troupes vers Montmédy, préparé un camp près cette ville, tenté de corrompre les soldats, les a engagés à la désertion pour se réunir à lui, sollicité les puissances voisines à une invasion sur le territoire français, décrète :

« 1° Qu'il y a lieu à accusation contre ledit sieur Bouillé, ses complices et adhérents, et que son procès lui sera fait et parfait devant la haute cour nationale provisoire séant à Orléans; qu'à cet effet, les pièces qui ont été adressées à l'assemblée seront envoyées à l'officier faisant auprès de ce tribunal les fonctions d'accusateur public;

« 2o Qu'attendu qu'il résulte également des pièces dont le rapport a été fait, que les sieurs Heymann, Klinglin et Offlyse, maréchaux de camp employés dans la même armée; Desoteux, adjudant général; Goglas (Goguelat), aide de camp; Bouillé fils, major d'hussards; Choiseul-Stainville, colonel du 1er régiment de dragons; le sieur Mandell, lieutenant-colonel du régiment ci-devant RoyalAllemand; le comte de Fersen, ci-devant colonel propriétaire du régiment Royal-Suédois; les sieurs Valory, Maldan et Dumoutier, cidevant gardes du corps, sont prévenus d'avoir eu connaissance du complot dudit sieur Bouillé, et d'avoir agi dans la vue de le favori

ser, il y a lieu à accusation contre eux, et que leur procès leur sera fait et parfait devant ladite cour d'Orléans, devant laquelle seront renvoyées toutes les informations ordonnées et commencées pour ledit complot, soit devant le tribunal du premier arrondissement de Paris, soit par-devant tous autres tribunaux, pour être suivies par ladite cour provisoire;

«<3° Que les particuliers dénommés dans les articles 1 et 2 du présent décret, contre lesquels il y a lieu à accusation, qui sont ou seront arrêtés par la suite, seront conduits sous bonne et sûre garde dans les prisons d'Orléans;

«4° Que les sieurs Damas, colonel du 13 régiment de dragons; Remi et Floriac, officiers au même corps; les sieurs Andoins et Lacour, l'un capitaine, l'autre lieutenant au 1er régiment de dragons; Marassin et Thalot, l'un capitaine, l'autre lieutenant au régiment ci-devant Royal-Allemand; Vallecourt, commissaire-ordonnateur des guerres, et Sthondy, sous-lieutenant au régiment de Castella, suisse, et la dame Tourzel, gouvernante des enfants de France, demeureront dans le même état d'arrestation où ils se trouvent, jusqu'à ce qu'il en soit ultérieurement statué par l'assemblée;

«< 5° Que le sieur Briges, écuyer du roi, et les dames Brunier et Neuville, femmes de chambre de M. le dauphin et de Madame Royale, seront mis en liberté. »

[ocr errors]
[ocr errors]

Première pétiPétition rédigée

CHAP. III. Effet produit par cette discussion sur le public. tion signée au champ de Mars. - Discussion aux Jacobins. par Brissot et Laclos. Séance de l'assemblée du 16. — Mesures d'ordre public. L'assemblée persiste dans son décret de la veille et le complète en décidant que la suspension du roi durera jusqu'après l'acceptation de la constitution.

Tout le monde remarquera quelle précipitation la constituante mit à terminer la discussion si grave qui précède, et à laquelle elle devait d'abord laisser toute la latitude possible. L'assemblée, en cette circonstance, obéit à l'influence des événements extérieurs. L'exaltation de l'opinion publique était extrême; on craignait un mouvement; on disait même que les orléanistes et les républicains ne voulaient que gagner du temps pour organiser une insurrection. Déjà, dans une prévision semblable, on s'était arrangé pour apporter la question à l'improviste à la tribune. On avait ainsi gagné un jour, la journée du 13. Pour le lendemain, 14, on complait sans doute sur la distraction qu'offrirait à la population l'anniversaire de la fédération; mais on se trompait. Il se forma un rassemblement considérable et tumultueux dans les rues et les places voisines

de l'assemblée. La garde nationale accourut et remplit les avenues de la salle, et « l'assemblée, dit Ferrières, se trouva si bien protégée, que les factieux perdirent l'espoir d'y pénétrer. » Il y eut aussi un rassemblement considérable et fort agité sur la place de l'Hôtelde-Ville; mais la garde nationale s'y trouva également en force. Ces faits si intéressants pour indiquer quelle était, dès cette époque, l'opinion d'une partie considérable de la population, sont constatés par le procès-verbal de la municipalité du 14 au soir. Ils le sont encore par ce que l'on va lire.

La foule, repoussée des abords de l'assemblée, se rendit au champ de Mars. Là fut rédigée et signée sur l'autel de la patrie la pétition suivante :

« Représentants d'un peuple libre, les citoyens de Paris, réunis en grand nombre, voulurent vous porter leurs alarmes; ils furent étrangement étonnés de ne pouvoir pénétrer dans la maison nationale. Profondément affligés, quoique toujours confiants, ils ont arrêté que, sans armes, et dans le plus grand ordre, ils iraient aujourd'hui, 15 juillet, se presser et s'unir au sein de la patrie, pour y faire une pétition tendante à ce que vous suspendiez toute détermination sur le sort de Louis XVI jusqu'à ce que le vœu bien prononcé de tout l'empire français ait été effectivement émis.

<< Mandataires d'un peuple libre, détruiriez-vous un héritage que vous avez solennellement consacré, et le remplaceriez-vous, sous le règne de la liberté, par celui de la tyrannie? S'il en était ainsi, attendez-vous que le peuple français, ayant reconnu ses droits, est disposé à ne plus les perdre.

<< Ils ont tous signé sur l'autel de la patrie, et dans cette séance, ils ont nommé pour commissaires MM. Massulard et Virchaux. »> Suivent seulement six noms : Girouard, Gaillemet, Ch. Nicolas, Gillet fils, Bonnet, Massulard; ce dernier a inscrit dans son paraphe: rédacteur de la pétition.

[ocr errors]

Cette pétition fut apportée, le 15, à l'assemblée nationale par les commissaires dont on vient de lire les noms. Ils étaient suivis d'une foule immense; mais ils trouvèrent toutes les avenues de la salle barrées par la garde nationale. Ils demandèrent à parler au maire; c'était à peu près au moment du vote du décret contre lequel ils venaient protester. Enfin ils purent approcher de Bailly, qui les assura que tout était fini. Ils ne voulaient pas le croire; on leur en imposait, disaient-ils; c'était un prétexte dont on se servait pour écarter leur pétition. Renonçant à les convaincre, Bailly autorisa six d'entre eux à entrer dans un bureau, où ils trouvèrent Robespierre et Pétion, qui leur répétèrent que tout était fini et les en

gagèrent à se retirer. La plupart s'éloignèrent en effet; mais parmi ces six députés se trouvait un sieur Virchaux, originaire de Neufchâtel. Ce personnage, dont on s'expliquait difficilement l'intervention dans une affaire toute française, fut retenu d'abord, puis relâché, et enfin arrêté dans la nuit. Ce fut la participation de cet homme à la manifestation dont il s'agit, qui fit plus tard accuser, ainsi que nous le verrons, les pétitionnaires d'être soudoyés par l'étranger.

La foule fut rapidement instruite de ce qui s'était passé à l'assemblée. Alors, de son sein, s'élevèrent des cris et des menaces de toute sorte. Les députés furent hués à leur sortie, et s'ils n'eussent été protégés par une haie de garde nationale, les insultes dont on les chargeait se fussent peut-être converties en violence. Ferrières dit qu'un homme, ayant reconnu Ch. Lameth, s'élança sur lui un couteau à la main, et que le coup allait être porté, quand il fut détourné par un garde national.

La foule ensuite se dispersa; une partie alla au champ de Mars, puis de là, ne sachant qu'y faire, au Palais-Royal; une autre partie courut de théâtre en théâtre; et, comme si la décision de l'assemblée eût été une calamité publique, elle intima aux directeurs l'ordre de faire relâche. Partout on lui obéit, partout les théâtres furent fermés ainsi que le constate la pièce suivante :

Séance du corps municipal, 15 juillet au soir. « Le corps municipal étant informé par M. le maire et les administrateurs au département de police des mouvements qui se sont manifestés aujourd'hui dans les environs des Tuileries, de l'assemblée nationale et au Palais-Royal; instruit que quelques particuliers se sont portés aux portes des spectacles, et qu'ils les ont presque tous fait fermer; a arrêté que le commandant général demanderait et ferait incessamment parvenir au corps municipal, les motifs qui ont pu déterminer les commandants de chacun des postes à laisser pénétrer dans les spectacles, et à les laisser fermer. »

Pendant que le conseil municipal prenait cette décision, tout était encore en mouvement dans Paris. On délibérait au Palais-Royal; on délibérait aux Jacobins. Cette société, dès ce jour, devint le point central de la résistance.

Club des Jacobins, séance du 15. « Un membre dénonce un citoyen, pour avoir, ce matin, tenu dans une maison particulière, des propos grossièrement injurieux contre M. Robespierre. Cette dénonciation produit un soulèvement général. Le citoyen accusé monte à la tribune et nie une partie de l'accusation. Sur le tout, la société arrête de passer à l'ordre du jour; mais une partie de ceux

TOME Y.

55

« PreviousContinue »