Page images
PDF
EPUB

et qu'en conséquence on déclare que le roi peut et doit être jugé. » (Le Patriote français, du 15.)

Il n'est pas besoin de dire que cette conclusion, que cette violente attaque contre le parti constitutionnel ne fut pas reproduitė par le Moniteur.

Robespierre aussi apporta son tribut dans cette interminable discussion, où le mot de république commençait à s'introduire par les soins de Brissot et de quelques autres. Robespierre fit à ce sujet une protestation qu'il est intéressant d'enregistrer. Voici comment il s'exprima dans la séance du 15 juillet : «On m'a accusé d'être républicain; on m'a fait trop d'honneur, je ne le suis pas. Si on m'eût accusé d'être monarchiste, on m'eût déshonoré; je ne le suis pas non plus. Pour beaucoup d'individus, les mots de république et de monarchie sont vides de sens. Le mot de république ne signifie aucune forme particulière de gouvernement, il appartient à tout gouvernement d'hommes libres qui ont une patrie. » Robespierre reprocha plus tard à Brissot d'avoir mal à propos jeté le mot de république au milieu de cette discussion sur la déchéance du roi.

Les constitutionnels de l'assemblée nationale voyaient cependant avec peine la tournure que prenait cette discussion. Ils sentaient que leur autorité diminuait à mesure qu'elle avançait et qu'ils allaient la perdre peut-être tout à fait; mais, par une mesure maladroite, que l'on ne comprend pas de la part de gens aussi habiles, ce furent eux-mêmes qui y portèrent le dernier coup. Il paraît que, déjà, depuis quelques jours, ils avaient choisi, pour s'entendre, un autre point de réunion que les salles des jacobins. Ils avaient pris un local aux Feuillants. Bientôt, ils ne se bornèrent pas à ce petit à parte. Espérant, sans doute, entraîner avec eux tous les hommes de quelque valeur siégeant aux Jacobins, croyant par là détruire l'influence de cette société et recueillir son héritage, en un mot pour exercer une sorte de scrutin épuratoire, ils déclarèrent leur scission en fondant un nouveau club qui prit le nom de club des Feuillants; mais cette séparation, qui fut définitive, n'eut lieu que postérieurement au 17 juillet. Nous en parlerons plus tard.

Le public, comme il a été déjà dit, ne restait point étranger à ces discussions, ni à ces incertitudes; il en ressentait le contrecoup; l'inquiétude était générale; l'agitation et le doute avaient atteint tous les esprits. On ne fut donc pas fâché de trouver quelques occasions de distraire l'attention populaire. On se souvient qu'il avait été décrété que les restes de Voltaire seraient transportés au Panthéon. Par un hasard heureux ou plutôt préparé, ils arrivaient alors sur les limites du département de la Seine, et l'on

fit aussitôt les préparatifs d'une imposante cérémonie, dont on occupa la population pendant deux jours. Ce projet ne fut pas parfaitement accueilli de tout le monde. Quelques braves gens de la section de Saint-Médard rédigèrent et firent afficher une pétition pour réclamer contre cette étrange apothéose; mais on passa outre, et en conséquence, le dimanche 10 juillet, le département et la municipalité, suivies d'un long cortége, allèrent prendre le corps du grand homme. Le sarcophage entra par la barrière de Charenton et fut déposé sur un monument, élevé pour la circonstance, sur l'emplacement de la tour de la Bastille, où Voltaire, disait-on, avait été enfermé. La translation définitive devait avoir lieu le lendemain. Malheureusement le temps était à la pluie, et les cataractes du ciel versèrent un déluge d'eau pendant toute la nuit et toute la matinée; incident qui, pour dissiper les motions et les délibérations en plein vent, valait au moins autant que l'espèce de fête qu'on avait préparée. Il en résulta un jour de repos de plus pour les autorités municipales; mais cet orage gâta étrangement le catafalque de la Bastille, ainsi que les bannières, les fleurs et les guirlandes dont on l'avait orné. La cérémonie de la translation fut fixée au lendemain 12 juillet. Elle eut lieu avec une pompe toute païenne. Le sarcophage était placé sur un char traîné par douze chevaux gris de lin attachés sur quatre de front et conduits par des hommes revêtus de tuniques grecques. Sur le sarcophage était la statue de Voltaire. Elle était en carton doré. Ajoutez à cela de la musique, des députations de l'assemblée, des clubs, toutes les autorités du département, beaucoup de gardes nationaux, les membres des académies, des députations des comédiens de tous les théâtres, etc., des bannières en grand nombre, les bustes de Rousseau, de Mirabeau et de Désilles, le plan de la Bastille en relief, le procès-verbal des électeurs de 1789, portés par des hommes toujours habillés à la manière antique (style du temps), et vous aurez une idée du cortége dessiné par Cellerier et David. Mais la pluie se mêla encore de la fête. Elle tomba si bien, surtout au moment où on approchait du Panthéon, que la statue de Voltaire en fut tout entière détrempée et, qu'au moment où on l'enlevait pour la porter dans le temple, la tête, dit-on, se détacha du corps. Le cortége avait suivi la route la plus longue; aussi les spectateurs comme les acteurs eurent tout le temps d'être mouillés, et l'on s'amusa beaucoup de la piteuse mine du maire Bailly qui, dans cette affaire, jouait un des principaux rôles. Deux sortes de personnes s'accordèrent à blâmer le faste de cette cérémonie : les hommes religieux d'abord, puis les patriotes qui en pénétraient facilement le motif. Pourquoi cette

mascarade, disait-on; pourquoi tant d'argent dépensé, lorsque tant d'ouvriers sans travail manquent de pain? Les spectateurs eux-mêmes ne s'épargnaient ni les sarcasmes, ni la critique; si bien que l'officiel Moniteur dit qu'on avait remarqué dans la foule des émis

saires qui critiquaient la cérémonie avec amertume, mais que les

raisonnements des gens sensés les avaient bientôt réduits au silence. Le Moniteur assure aussi qu'il ne plut qu'au moment juste où la cérémonie finissait.

Le 14 était l'anniversaire de la prise de la Bastille et de la fédé– ration. La fête, ce qui était très-significatif, se composa uniquement des cérémonies officielles. Un cortége formé sur les ruines de la Bastille, mais composé uniquement, d'après le Moniteur, des officiers municipaux, des députés des sections, de vingt-quatre membres de l'assemblée nationale, et de la garde nationale, se rendit au champ de Mars. L'évêque de Paris officia sur l'autel de la patrie; on chanta un Te Deum. Le soir, Paris fut illuminé sur l'invitation du corps municipal. (Moniteur.)

On peut considérer encore comme un des moyens employés pour distraire l'opinion publique de la question brûlante du moment, la publication de la liste des candidats au titre de gouverneur du dauphin qui fut publiée et affichée par ordre de l'assemblée nationale. On y remarquait, parmi une centaine de noms, ceux-ci d'Allonville; l'abbé Auger; Bernardin de Saint-Pierre; Berquin; Beugnot; Bigot de Préameneu; l'abbé Bossu; Bourbon-Conti; Cérutti; Emmanuel de Coëtlogon; Condorcet; Dacier; Devon de Forbonnai ; Ducis; Guyton-Morveau; Héraut de Sechelles; Jourdan; Kersaint; Lametherie; Malesherbes; Mollien; Monge; Montbel; Necker; Pastoret ; Quatremère de Quincy; Lacépède; Saint-Martin ; Ségur; Servan; l'abbé Sicard; etc.

Dans cet immense conflit d'intrigues et de tentatives de toutes sortes, la cour avait aussi mêlé quelques démarches; car, il est certain, comme nous l'avons déjà vu, que Louis XVI avait trouvé le moyen de rétablir des rapports avec ses agents secrets. On en trouve une nouvelle preuve dans les pièces extraites de l'armoire de fer. Il en existe une, datée du 10 juillet, où l'on rend compte d'une conversation entre Thouret, Chapelier et Desineuniers, sur la situation politique que nous venons de retracer. (Pièce cotée no CXXXIII.)

[ocr errors]

CHAP. II. Question de la déchéance du roi. Les comités proposent de décider que le roi ne sera pas mis en cause et de décréter d'accusation ceux qui ont favorisé l'évasion. - Discussion. - Discours de Pétion. Il demande la réunion d'une convention nationale. - Discours de Vadier, de Robespierre, de Goupil, de Grégoire, de Barnave. Explications données par le comité sur la position provisoire du roi. - Articles de Salles décrétés. Le projet de comité adopté.

Cependant, l'assemblée nationale, subissant l'influence des hommes dont elle écoutait habituellement les avis, et conformément à ce qui avait été décidé dans la réunion La Rochefoucauld, travaillait à la consolidation immédiate de l'ordre public. D'abord, par diverses mesures de détail et encore plus par l'accueil qu'elle faisait aux adresses des provinces, elle s'efforçait de ramener le calme au sein des populations que l'événement du 21 juin avait si profondément émues. Ensuite elle vota rapidement deux lois que les circonstances rendaient également urgentes, l'une sur la police correctionnelle, l'autre sur la police municipale. Rien n'est plus propre à prouver son empressement que la lecture du compte rendu des séances consacrées à ce travail. On y voit de longues suites d'articles, acceptées le plus souvent, sur la présentation du comité, sans aucune discussion. Elle mit, avec la même activité, ordre aux finances par diverses mesures dont il sera question dans la seconde partie, et, entre autres, par l'émission d'assignats de 5 livres pour le payement du prêt des troupes et des fonctionnaires ecclésiastiques, ce qui prouve que l'argent monnayé commençait à manquer; et par la création d'une nouvelle monnaie, dans laquelle les pièces d'argent (pièces de 15 et de 30 sols) seraient assez mêlées d'alliage pour qu'il n'y eût aucun intérêt à les fondre ou à les exporter; ce qui montre que l'exportation de l'argent était définitivement considérée comme un fait réel et digne d'attention. C'était la noblesse en effet qui possédait la grande masse du revenu agricole de la France; et la noblesse, en émigrant, emportait avec elle son revenu. Enfin, l'assemblée décréta un grand nombre de dispositions pour la défense des frontières.

Pendant ce temps, ses comités cherchaient, non pas la solution, mais le moyen de faire accepter la solution convenue de la question qui occupait, en ce moment, l'opinion publique. Il fallait aussi se hâter dans cette affaire. Il devenait dangereux de laisser plus longtemps ce thème de discussion au libre arbitre des partis. L'autorité n'avait le droit de rien prescrire, ni de rien défendre, tant que l'assemblée nationale paraîtrait elle-même dans le doute ou

TOME V.

32

n'aurait rien décidé. La voie était ouverte à toutes les doctrines, et l'on en profitait largement. Grâces aux journaux, aux clubs, aux brochures et aux enseignements en plein vent, l'opinion publique commençait à tourner au républicanisme.

« Tout faisait un devoir aux constitutionnels de prononcer sur le sort de Louis XVI, dit Ferrières. Les esprits fermentaient. Les orléanistes et les jacobins agissaient dans les départements; les écrits se multipliaient avec une abondance inconcevable : la rage d'écrire et de discuter semblait s'être saisie de tous les Français. On voyait éclore chaque jour une multitude de pamphlets et de brochures. L'opinion commençait à s'égarer. On employait pour la séduire, la ressource des lectures publiques. Une douzaine de braillards, bien payés (Ferrières oublie de dire par qui) et largement abreuvés, hurlaient sur toutes les places et dans tous les lieux publics, contre les prêtres, contre les nobles, contre le roi, contre la monarchie. S'il avait été prudent de laisser calmer le premier mouvement d'effervescence, il était dangereux de laisser élever à Paris et dans la France une opinion, d'autant plus difficile à détruire que le long temps qu'on lui donnait pour se former devait la faire paraître le fruit du calcul et du raisonnement. » (Mémoires, t. II, p. 413.) Ce fut le 15 juillet que la question fut, presque à l'improviste, apportée à la tribune de l'assemblée nationale.

SEANCE DU 15 JUILLET. Elle commença par un rapport des commissaires envoyés dans les départements de la Meuse, de la Moselle et des Ardennes par l'assemblée nationale, le 21 juin précédent. Montesquiou, le rapporteur, parla avec enthousiasme et avec vérité, des excellentes dispositions des populations et des soldats. Il annonça que plus de cent cinquante officiers de cavalerie avaient donné leur démission, et que beaucoup de grades étaient également vacants dans l'infanterie. I insista sur la nécessité de pourvoir au remplacement de ces ofticiers; mais le fait sur lequel il s'arrêta le plus longtemps fut la nécessité de pourvoir rapidement à la réparation et à l'armement des places de la frontière. Il existait à Metz même une brèche considérable. Un grand nombre de gardes nationaux n'avaient pas de fusils. Les commissaires avaient donné des ordres en conséquence; les arsenaux étaient en pleine activité, et les réparations étaient commencées. D'ailleurs il y avait un approvisionnement abondant en vivres et en fourrages.

Ce rapport inculpait indirectement le comité militaire de l'assemblée; aussi Alexandre Lameth, qui en faisait partie, se hâta-t-il de prendre la parole. Selon lui, les détails présentés étaient peut

« PreviousContinue »