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moyens, et le directoire vient avec elle vous annoncer aujourd'hui que le calme se rétablit; mais ils seraient coupables s'ils vous dissimulaient que leurs inquiétudes ne sont pas dissipées. Depuis longtemps, les ennemis de la constitution ont placé leur espoir dans l'anarchie; ils ont compté sur l'exagération du patriotisme et sur l'excès de cette ardeur impatiente que produit la conquête rapide de la liberté; ils ont calculé cette habitude de défiance d'un peuple toujours abusé, cette haine longtemps comprimée d'un gouvernement oppresseur, ces mouvements de crainte et de mépris qu'inspirent tous les actes de l'autorité, quand elle est usurpée. Ces sentiments, qu'ils ont dû trouver partout, ils les ont employés avec la plus funeste adresse contre tous les pouvoirs légitimes conférés par un peuple libre. Le temps et les lumières dissiperont sans doute ces funestes agitations, mais peut-être trop tard, peut-être après des maux que vous devez épargner aux peuples.

I faut que le système complet des lois nouvelles fasse enfin cesser l'impunité, résultat nécessaire de l'intervalle entre des lois qui ne sont encore abrogées que par l'opinion et des lois qui n'existent pas encore. Hâtez la publication du code pénal, afin de contenir ces hommes audacieux qui, par des provocations publiques, excitent à la violence, soit contre les personnes, soit contre les propriétés, et qui prêchent avec un enthousiasme factieux la désobéissance aux lois et la révolte contre les autorités constitutionnelles. Ne croyez pas que nous venions nous plaindre ici de la liberté illimitée dans les discours et dans les écrits; cette liberté est un feu sacré qui doit être conservé religieusement; sa flamme salutaire doit épurer toutes les idées, toutes les opinions, tous les sentiments; mais l'homme qui, abusant de cette liberté, conseille le crime à ses concitoyens, celui-là doit être puni, et ce grand délit, si multiplié, est une des causes les plus puissantes de nos maux.

Il est une autre loi dont le besoin est urgent, celle sur le droit de pétition, droit qu'il ne faut pas confondre avec l'exercice des pouvoirs résultant des différentes représentations politiques. Vous penserez aussi peut-être que les actes émanés des autorités constitutionnelles devraient avoir dans le mode de leur publication un caractère qui les distinguât de ceux étrangers à l'ordre public. Ne faudrait-il pas que les citoyens pussent les reconnaître par la manière dont ils leur sont présentés, et que les actes produits par des individus ou par des sociétés particulières ne pussent plus se montrer sous la forme et avec l'appareil de la loi? Voilà les trois objets sur lesquels le directoire et la municipalité viennent vous demander des lois promptes et précises. Ils ne les ont point sollicitées pen

dant l'orage; mais c'est dans les moments de calme qu'il faut prévenir le retour d'un orage nouveau.

La ville que les législateurs habitent doit donner l'exemple de la soumission et de l'obéissance. Les citoyens de Paris sont pénétrés de ce sentiment, et si l'on avait pu le révoquer en doute, l'énergie avec laquelle la garde nationale, un moment égarée, vient de le manifester, fera connaître à tout l'empire que ceux qui, les premiers, ont acquitté le saint devoir de l'insurrection contre le despotisme, seront aussi les plus fermes soutiens de la constitution et de vos lois.

Pendant que les autorités parisiennes demandaient au pouvoir législatif des moyens pour assurer l'ordre dans l'avenir, la capitale était agitée par la nouvelle du départ du roi pour Saint-Cloud. Le motif de ce voyage était, répétait-on, de ne point faire ses pâques à sa paroisse, afin de ne point reconnaître, par un acte personnel, la constitution civile du clergé. Le voyage, ajoutait-on, était positivement arrêté; déjà on avait fait partir un corps de la garde nationale pour tenir garnison au château. Le soir, dit Ferrières, des motions, des lectures incendiaires agitèrent le peuple; les groupes exécuteurs se concertèrent. Il y a tout lieu de penser que l'arrêté du club des Cordeliers était déjà imprimé et colporté à cette heure. Quoi qu'il en soit, lorsqu'on le lut affiché sur les murs, le lendemain matin, le peuple dut croire à la légitimité des dispositions qui lui avaient été inspirées la veille. Tout, au reste, semblait préparé pour remuer la population: dès le 18 au matin, le bruit courut que le bois de Boulogne était plein d'hommes portant des cocardes blanches; que trois mille aristocrates se préparaient à enlever le roi pour le conduire auprès des princes émigrés et des Autrichiens. On fut si persuadé de ce fait, qu'une masse considérable d'hommes se mit en marche pour le bois de Boulogne, et alla en fouiller les avenues ainsi que toutes les routes de Saint-Cloud. Cependant on criait dans Paris l'article suivant de l'Orateur du Peuple:

<«< Louis XVI, encore aujourd'hui roi des Français, arrête!... Où cours-tu? Tu crois raffermir ton trône, et il va s'abîmer! As-tu bien pesé les suites de ce départ, l'ouvrage de ta femme, de Guignard, de Montmorin, du cul-de-sac des Noirs, des parlements et du clergé, dont tu combles les vœux exécrables? Le peuple ignoret-il que, de Saint-Cloud, tu te disposes à partir pour Compiègne, et, de là, pour la frontière? En vain affectes-tu de répandre le bruit de ton retour pour la cérémonie de la cène; ne savons-nous pas

que la bouche des rois fut toujours l'antre du mensonge!... Avant jeudi, tu seras dans les bras de Condé. Une furie te pousse dans le précipice! Elle t'a inoculé sa rage contre les Français !... Roi des Français, vois vingt-cinq millions d'hommes; vois ton souverain t'écraser d'un coup d'œil! Tu t'y prends trop tard! nous avons goûté les charines de la liberté. Plutôt mourir que de redevenir esclaves! Tu comples sur des légions de mécontents; mais une belle nuit nous ferons pleuvoir leurs têtes dans ton camp! De quel front oses-tu fausser tes serments?... Nous te connaissons enfin, grand Restaurateur de la liberté française! Si ton masque tombe aujourd'hui, demain ce sera ta couronne!... Si tu pars, nous ne voyons plus en toi qu'un Tarquin chassé de Rome; nous saisissons tes chàteaux, tes palais, ta liste civile; nous proscrivons ta tête ! » (L'Orateur du Peuple, par, Fréron.)

Cet article ne fut pas seulement crié et colporté ; les orateurs populaires le lisaient au Palais-Royal, dans les marchés, dans les places publiques, jusque dans les rues, à la foule qu'ils rassemblaient autour d'eux. Ils faisaient plus que le lire : ils le commentaient. Le numéro de l'Orateur du Peuple fut épuisé en un instant; un exemplaire se vendait jusqu'à un petit écu. Tous les contemporains témoignent de la grande influence que cet écrit exerça sur le mouvement, le marquis de Ferrières aussi bien que Camille Desmoulins et Prudhomme. La populace s'ameuta d'abord; des enfants, car le gamin de Paris existait déjà, couraient de groupes en groupes, criant aux Turieries! on sonna le tocsin; on battit la générale; le véritable peuple vint, et la foule suivit la direction donnée. Le Carrousel, la place Louis XV, la route de Saint-Cloud, furent bientôt remplis. Lafayette accourut avec de nombreux détachements de gardes nationaux; mais la plupart partageaient les dispositions de la multitude et paraissaient prêts à la seconder; plusieurs mêine avaient passé la nuit au bois de Boulogne, dans le dessein d'y attendre le roi et de le ramener à Paris. On remarqua que la plupart des compagnies, en arrivant aux Tuileries, ôtaient leurs baïonnettes et portaient leurs fusils sous le bras gauche.

Ces dispositions du peuple et de la troupe ne changèrent point la détermination du roi. Au sortir de la messe, le roi, la reine, madame Élisabeth et le dauphin, montent en voiture à cette vue, le peuple ferme les portes; on entoure le carrosse, on saisit la bride des chevaux. Bailly et Lafayette ordonnent à la garde nationale d'ouvrir le passage; mais celle-ci reste immobile. Lafayette harangue les soldats; on lui répond par les cris: Point de départ! En même temps, le peuple, mêlé à la troupe, pousse des cris qui

TOME V.

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couvrent la voix du général, et profère des injures contre la famille royale. Cependant Lafayette prie le roi de rester dans sa voiture jusqu'à ce que le passage soit ouvert, et se jette avec Bailly au milieu de la foule, là où elle était le plus compacte, dans la place du Carrousel; mais il ne peut se faire entendre. Alors il se rend, toujours avec Bailly, à l'assemblée nationale. On y discutait encore la loi sur la marine « Messieurs, s'écrie Malouet, ce n'est point au milieu de la consternation générale qu'il est possible d'attacher votre attention à l'organisation de la marine : les lois fondamentales sont violées; la constitution est attaquée dans la personne du monarque. A l'ordre du jour! répond la gauche en masse; à bas Malouet! il jette des torches de discorde! - L'ordre du jour est l'ordre public,» répond Virieu. L'assemblée, néanmoins, passa à l'ordre du jour et reprit la question de la marine. — Lafayette et Bailly revinrent sans avoir rien obtenu. « Alors, dit Ferrières, chacun ayant fini de jouer son rôle, et comme s'il eût été convenu unanimement que cette comédie avait assez duré, le roi s'écrie à trois fois différentes : « On ne veut donc pas que je sorte? Il est donc impossible que je sorte? Eh bien! je vais rester. » Il descend de voiture; la reine le suit avec le dauphin et Madame royale : l'un et l'autre remontent dans leur appartement. » (Mémoires de Ferrières, t. II, p. 266.) M. Lafayette (Memoires) pensa aussi que toute cette affaire était une comédie. Le roi aurait voulu montrer qu'il était prisonnier; que, par conséquent, il n'avait rien accepté librement; que, par suite, ses promesses étaient nulles; qu'il avait le droit de les rompre et de se dérober par la fuite à une oppression devenue intolérable. Lafayette ajoute que la plupart des gardes nationaux étaient de bonne foi; que « quelques-uns pouvaient cependant être dans le secret, nommément Danton, soldé depuis longtemps par les provocateurs de cette émeute, et qui arriva avec son bataillon, sans que personne l'eût fait demander, sous prétexte de venir au secours de l'ordre public. » (Mémoires, t. III, p. 66.) « Deux circonstances confirmèrent M. Lafayette dans son opinion: d'abord ce fut qu'ayant supplié le roi d'attendre l'effet d'un dernier effort, qui eût été peut-être efficace (deux bataillons, qui étaient en fort bon ordre dans la grande avenue des Tuileries, lui ayant offert d'assurer le départ du roi), Louis XVI se fit prier par un officier municipal de remonter chez lui. En outre, le général ayant été proposer au roi de déclarer franchement à l'assemblée nationale qu'en même temps que, dans ses fonctions royales, il maintenait les décrets adoptés, il réclamait pour lui le droit que chaque homme a de pratiquer le culte qui lui convient; le prince parut touché d'a

bord; mais, le soir, il répondit à M. Lafayette qu'il avait consulté son conseil de conscience, et que ses directeurs lui avaient dit qu'il suffisait, pour le salut de son âme, de ne pas faire ses pâques à l'église assermentée. » (Mémoires cités, p. 66.)

Ainsi cette grande émeute aurait été fomentée et excitée par la cour? Celle-ci aurait profité de l'agitation des esprits, pour donner au peuple une impulsion favorable à ses desseins? Voici deux hommes graves, et placés pour être bien instruits, qui nous l'assurent. On doit y joindre le témoignage de madame de Campan; elle dit que cet outrage ne fut pas très-sensible au roi et à la reine, qu'ils y virent un motif de légitimer, aux yeux du peuple même, le projet qu'ils avaient de s'éloigner de Paris. (Mém., page 58.) C'est une manœuvre si odieuse de provoquer une violence pour avoir le droit de s'en plaindre, que l'on répugne toujours à y croire. Il est certain pourtant que l'à-propos et l'audace de l'arrêté du club des Cordeliers et de l'article de l'Orateur du Peuple, par Fréron, sont étranges; et que l'impunité qui les couvrit, lorsqu'on poursuivait des délits beaucoup moindres, est plus étrange encore.

Quant à Danton, voici ce qu'on lit textuellement dans les Mémoires de M. Lafayette. C'est ici le moment de citer cet important document:

« Danton s'était vendu à condition qu'on lui achèterait 100,000 1. sa charge d'avocat au conseil, dont le remboursement, d'après la suppression, n'était que de 10,000 liv. Le présent du roi fut donc de 90,000 liv. Lafayette avait rencontré Danton chez M. de Montmorin, le soir même où ce marché se concluait. Faut-il blâmer sévèrement le malheureux Louis XVI d'avoir voulu acheter le silence ou l'inaction des gens qui menaçaient sa tête et qui se seraient vendus aux orléanistes ou à l'étranger? Quant à Danton, il était prêt à se vendre à tous les partis. Lorsqu'il faisait des motions incendiaires aux Jacobins, il était leur espion auprès de la cour, à laquelle il rendait compte régulièrement de ce qui s'y passait. Plus tard, il reçut beaucoup d'argent. Le vendredi avant le 10 août on lui donna 50,000 écus. La cour, se croyant sûre de lui, voyait approcher avec satisfaction le mouvement prévu de cette journée, et madame Élisabeth disait : Nous sommes tranquilles, nous pouvons compter sur Danton. Lafayette eut connaissance du premier payement et non des autres. Danton lui-même lui en parla à l'hôtel de ville et, cherchant à se justifier, lui dit: Général, je suis plus monarchiste que vous. Comme Lafayette n'aurait pas souffert que les agents de M. de Montmorin cherchassent à servir une contre-révolution royaliste plutôt que l'ordre légal, on cessa bientôt de lui

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