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cette coalition M. Lameth et le généreux colonel qui, dans votre dernière séance, a déclaré qu'il marcherait à l'ennemi comme simple soldat, si l'on croyait que sa place pût être mieux remplie. »

M. Ræderer. « Avant que M. Antoine descende de la tribune, je lui demanderai la permission de lui faire deux questions qui n'auront aucun trait aux personnes. >>

M. Antoine. « Je connais aussi le patriotisme du préopinant. >> Plusieurs voix. Au fait, la conclusion.

M. Antoine. « Méfiez-vous de la coalition des nobles et des militaires : pourquoi ne viennent-ils pas ici nous échauffer de leur patriotisme, ou plutôt y puiser des lumières et y prendre des leçons d'égalité? Voyez ce qu'ils ont fait; voyez leur fureur depuis qu'ils ont perdu l'espoir de se faire continuer dans leur législature. Songez que de tous les maux, celui de l'oligarchie est le pire; méprisons qui nous menace de la division, car la division est absolument nécessaire entre les intrigants et les vrais amis de la liberté; et surtout ne désespérons pas de la patrie. » (On applaudit.)

- M. le président annonce que le résultat du scrutin a donné pour président M. Bouche, et pour secrétaires, MM. Antoine, Billecoque, Laclos, René neveu et Bourdon.

CHAP. IV. Effet de la nouvelle du 21 juin dans les départements. Joies et imprudences de la noblesse. Armement général des villes et des campagnes. La France tout entière est sur le pied de l'attente.

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On n'aurait qu'une idée très-incomplète des conséquences du voyage de Varennes sur l'opinion publique en France, si l'on ne tenait compte que de ce qui se passa à Paris et des quelques adresses lues dans les séances de l'assemblée et des clubs. Quoique nous ne possédions que des renseignements très-incomplets sur les départements, il paraît évident, d'après ce que nous savons sur quelques points, que l'effet de la fuite du roi fut analogue à celui que devaient produire, trente-neuf ans après, les ordonnances de Charles X en juillet 1830. Partout, la conduite de Louis XVI fut considérée par le peuple comme une abdication de la royauté, comme une trahison qui rendait désormais le monarque indigne de la confiance de la nation; tandis que la noblesse, dispersée dans les provinces, la considérait comme un retour à l'ancien régime, et presque comme une résurrection de ses priviléges. Il résulta de cette double opinion, si opposée, que partout le peuple se resserra autour des magistrats qu'il avait élus, qu'il releva avec vigueur l'étendard de la révolution, qu'il se prépara, en un mot, comme à Paris, con

tre toutes les éventualités, mais que, de plus qu'à Paris, il se rua avec violence sur les gentilshommes imprudents dont les démarches ou la joie provoquaient sa colère.

D'abord, dans les districts et les départements placés aux environs de Varennes, le mouvement qui avait commencé dans cette petite ville rayonna avec une extrême rapidité dans tous les environs. Toutes les campagnes se soulevèrent et prirent les armes, et pendant plusieurs jours de suite, des bandes de gardes nationaux se mirent en marche, les unes occupant les passages, les autres accourant vers le lieu où le roi avait été arrêté ou sur sa route. Ce n'était pas un petit embarras pour l'administration obligée de nourrir, de loger, de dissiper ces rassemblements et surtout de calmer l'effervescence générale.

Les royalistes montrèrent des dispositions non moins unanimes et non moins insurrectionnelles. Dans presque toute la France, dit Ferrières, les nobles et les prêtres se conduisirent avec plus d'imprudence peut-être que la cour. A la première nouvelle, tous crurent la contre-révolution faite. Ils s'abandonnèrent à des transports qui leur coûtèrent cher dans la suite. Les uns formèrent des rassemblements dans leurs châteaux; les autres, sans attendre des détails ultérieurs, se mirent en chemin pour rejoindre le roi. Plus de trois cents gentilshommes bretons et bas-poitevins tentèrent de s'embarquer aux Sables-d'Olonne. Ils furent contraints de se réfugier dans les bois, où la plupart périrent misérablement. Un grand nombre d'officiers quittèrent leur corps. (Mém., tome II, page 377.) Tel est le tableau général tracé par un contemporain. Nous allons voir, d'après les renseignements que nous avons pu réunir, qu'il n'est point exagéré.

Dans les grandes villes, le premier effet de la nouvelle fut de mettre la garde nationale sur pied; dans quelques-unes, comme à Troyes, par exemple, où cette institution était tombée, elle reprit à l'instant la vie. Partout les divisions furent effacées devant le danger public; la plus parfaite unanimité s'établit entre les corps, les magistrats et les sociétés des Amis de la Constitution. L'esprit des proclamations fut le même. Là où il y avait des garnisons, on invita les officiers à renouveler leur serment. Comme la troupe était acquise à la constitution, on n'éprouva de résistance nulle part; les officiers se soumirent de bonne grâce et par conviction, ou bien prirent la fuite sans attendre les résultats d'une opposition inutile. Le mouvement était irrésistible. A Tours, M. de Suffren, le colonel du 25° régiment qui y était en garnison, fut arrêté dans sa fuite, et la municipalité eut beaucoup de peine à le dérober à la

colère du peuple. A Lille, le peuple voulut que les clefs de la ville fussent déposées à la municipalité; on lui obéit. A Sedan, peuple et garnison prirent la pioche et se mirent à travailler aux fortifications. A Beauvais, une compagnie de gardes du corps, qui y était en garnison, remit ses armes. Dans tous les grands centres, en un mot, la population montra un ensemble remarquable, et les régiments, des dispositions révolutionnaires, sur lesquelles sans doute la cour, dans ses projets, était loin d'avoir compté. Dans beaucoup de villes, ces mouvements furent comme une sorte de fête; les prestations de serment des troupes furent des cérémonies publiques; les soldats furent en quelque sorte enlevés par les citoyens, conduits dans les sociétés populaires ou dans des réunions moins sérieuses. A Tours, on fit une illumination générale.

En Bretagne, dans les villes, le mouvement fut d'autant plus déterminé, le zèle d'autant plus vif, que l'on craignait la noblesse, qui, malgré l'émigration, était encore nombreuse, et que surtout on redoutait les campagnes que l'exécution de la constitution civile du clergé avait profondément remuées et presque complétement détachées de la cause révolutionnaire. A Rennes, à Nantes, à Vannes, à Lorient, à Brest, à Quimper, les administrations des départements, des municipalités et des districts se mirent en permanence, et veillèrent aussi bien de nuit que de jour.

C'était le général Dumouriez qui commandait à Nantes; il se rendit, avec ses aides de camp (le 22 juin) au comité de toutes les administrations. Il déposa, entre les mains du président, sa croix de Saint-Louis, et déclara qu'il ne la reprendrait qu'après avoir prêté serment à la nation et à la loi. Après lui, se présentèrent MM. de Champagné et de Lezey, commandants du château et des troupes, à la tête de leurs corps d'officiers; ils déposèrent sur le bureau une déclaration ainsi conçue « Lorsque nous avons prêté le serment à la nation, à la loi et au roi, nous ne l'avons prêté au roi que subordonnément à la nation et à la loi. Le roi, auquel nous avons prêté le serment, est le roi reconnu par la nation et autant qu'il est fidèle à la loi. Du moment qu'il abandonne la nation, nous ne connaissons plus que la nation elle-même, les lois qu'elle a consenties et le roi qu'elle reconnaîtra. » Après la lecture de cette déclaration, tous ces officiers prononcèrent un serment dont voici quelques phrases: « Je promets, sur mon honneur, d'être fidèle à la nation et à la loi... consentant, si je manque à cet engagement, à être regardé comme un homme infàme, indigne de porter les armes et d'être compté au nombre des citoyens français. » Les corps administratifs de la ville de Nantes ne restèrent pas en arrière; ils

rédigèrent une proclamation qui commençait par ces mots : « Citoyens, le roi est parti; mais le véritable souverain, la nation reste, et les Français, dignes de la liberté, sont plus que jamais maîtres de leur sort... >>

Le zèle des Nantais fut presque aussitôt mis à l'épreuve. La garde nationale fut obligée de se mettre en campagne, pour attaquer et réprimer les tentatives insurrectionnelles de quelques châtelains du voisinage. Un rassemblement de six cents royalistes, aux environs de Machecoul, sous les ordres de M. de la Lezardière, fut aussi obligé de se disperser. En même temps, dans la ville, on faisait des visites domiciliaires et l'on mettait un embargo sur les bâtiments anglais qui se trouvaient dans le port. On proposait d'imposer extraordinairement les ennemis de la constitution, de bannir les prêtres réfractaires, de réunir dans la ville tous les suspects, etc. On allait à Nantes beaucoup plus vite et beaucoup plus loin qu'à Paris.

Les autres villes de la Bretagne manifestèrent à peu près les mêmes dispositions. Lorient et Malestroit se distinguèrent entre toutes. Elles firent chacune leurs petites expéditions militaires et quelques arrestations. (Duchâtellier, Hist. de la Révolut. en Bret. tome II, chap. 1.)

Aux environs de Lyon, ce ne fut pas l'esprit royaliste que les villes eurent à réprimer, ce fut le mouvement révolutionnaire des campagnes. Tous les hommes dont les opinions étaient suspectes, et à plus forte raison ceux qui faisaient parade de leurs sentiments aristocratiques, furent tout d'un coup menacés et pour ainsi dire en même temps. Plusieurs châteaux furent attaqués, visités et fouillés; on enlevait les armes et la poudre qu'on y trouvait; quelquefois on arrêtait les propriétaires. Au château de Poleymieux, on avait fêté la fuite du roi, comme un heureux événement, et à cette occasion, on avait tiré de petits canons qui ornaient les créneaux. Aussitôt un rassemblement se forme, il grossit; on veut visiter la petite forteresse. M. Guillin, le propriétaire, s'y refuse, et tire, dit-on, un coup de pistolet sur les parlementaires. Alors la fusillade s'engage, le tocsin sonne, et la garde nationale avertie accourt; mais elle trouve le château en feu, et le châtelain, mortellement blessé, tomba mort dans ses rangs. Sa femme et ses filles furent respectées et sauvées. (Hist. de Lyon, par J. Morin, tome I, par 430.);

Ainsi, partout, sans avis et sans ordre, le peuple s'arma et se plaça sur le pied d'observation. Partout, les autorités agirent avec une simultanéité et un ensemble qui semblaient dépendre d'une impulsion unique. Tout cela fut l'ouvrage des profondes convic

tions révolutionnaires qui animaient les masses. La pensée était la même; les actes furent semblables comme la pensée.

CHAP. V. - Arrivée de Monsieur et du comte d'Artois à Bruxelles. - Effet de l'événement de Varennes sur les émigrés réunis dans cette ville. -Discours de Monsieur aux émigrés. Le roi nomme Monsieur lieutenant général du

royaume.

Nous avons vu que Monsieur (plus tard Louis XVIII) était parti de Paris la même nuit que le roi. Ayant pris moins de précautions, il fut plus heureux. Il traversa la frontière et s'arrêta quelque temps à Mons, attendant les nouvelles qui devaient suivre la démarche du roi. Instruit du fatal résultat, il partit pour Bruxelles, où il arriva le 25 juin. Le comte d'Artois ne tarda pas à l'y rejoindre avec M. de Calonne.

« Cependant, la nouvelle de l'évasion du roi avait répandu une joie folle à Bruxelles; le cœur des émigrés s'était ouvert aux plus flatteuses espérances; ils ne doutaient pas que Paris ne fût inondé de sang; que la tête de Lafayette n'eût été promenée dans les rues au bout d'une pique. On se félicitait, on s'embrassait, on disposait des places du ministère; c'était un véritable délire. On prépara des fêtes dans l'attente du courrier qui devait annoncer que Louis XVI venait de franchir heureusement les frontières. Mais, lorsqu'après de vives inquiétudes, on apprit que ce prince était ramené dans la capitale, l'accablement du désespoir succéda à l'ivresse de la joie. M. le comte d'Artois, qui était accouru des environs de Mayence, ne trouva que Monsieur, encore tout étourdi de l'arrestation du roi. « Les nobles retirés en Brabant se rendirent à Bruxelles. Monsieur les convoqua quelques jours avant de quitter cette ville, et leur tint ce discours : « Messieurs, j'ai cru devoir vous assembler avant mon départ, pour vous marquer ma reconnaissance des sentiments que la noblesse française n'a cessé de me témoigner depuis mon arrivée. J'ai voulu aussi vous recommander l'union qui seule fait notre force, et surtout l'obéissance et le respect au gouvernement du pays, dont nous vous donnerons nous même l'exemple. Tous les gentilshommes français sont sans doute égaux par leur opinion; mais il est impossible qu'une si grande réunion reste sans chefs. Nous vous en proposons six: MM. les ducs d'Usez, de Villequier, les marquis de Laqueille de Frondeville, de Robin et de Jaucourt: nous vous demandons de la déférence pour eux. Ces messieurs seront chargés de correspondre avec nous et le gouvernement; ils vous feront parvenir nos avis (Vos ordres! s'écria-t-on).

TOME Y.

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