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lorsque nous les avons vus se servir de la religion comme d'un moyen pour multiplier les obstacles devant le parti révolutionnaire; mais que dirons-nous, de quelles paroles faudra-t-il se servir pour flétrir les étranges et odieux excès que nous allons raconter?

Le temps pascal approchait. « Il amena de nouvelles intrigues, dit Ferrières. Tout ce que l'astuce, le mensonge, la mauvaise foi, peuvent inventer pour troubler les consciences et alarmer les faibles, pour exciter le fanatisme, fut mis en œuvre par les prêtres insermentés; et tout ce que la rage de dominer, la fureur de nuire, l'esprit de persécution, peuvent fournir de moyens violents à des hommes qui ont la force en main, fut employé par les jacobins contre les prêtres qui avaient refusé de prêter le serment, contre les dévotes qui s'obstinaient à entendre leurs messes, contre les religieuses qui ne voulaient pas reconnaître les nouveaux évêques et les nouveaux curés. Mais ce qui caractérise le véritable esprit qui animait les uns et les autres, ce fut de voir un tas de femmes sans mœurs, de grands de la cour athées, d'hommes pour lesquels la religion n'était qu'un mot vague, sans expression et sans devoir, déclamer contre le schisme, fréquenter les églises, entendre régulièrement la messe, tant un même intérêt a le pouvoir de concilier les passions les plus opposées.

« Les aristocrates et les évêques méditaient un coup plus important. Il s'agissait d'empêcher le roi de se rendre la semaine sainte à sa paroisse, et surtout d'empêcher qu'il n'y fit ses pâques. La sanction donnée au décret de l'assemblée sur le serment n'était pas, selon les évêques, une reconnaissance réelle de la constitution civile du clergé; la violence avait évidemment arraché cette sanction; d'ailleurs, le roi pouvait avoir protesté secrètement, au lieu que l'assistance de Louis XVI à la paroisse eût paru un consentement volontaire. Cet exemple aurait entraîné les conséquences les plus funestes. En effet, dès que l'on se serait convaincu que le roi adoptait la constitution, que, réuni sincèrement à l'assemblée, il travaillait de concert avec elle à organiser le gouvernement et à le faire marcher, tous les obstacles disparaissaient: les curés séduits se soumettaient; ceux qu'enchaînaient au parti aristocrate les belles espérances dont on les berçait, l'abandonnaient et cherchaient dans le nouvel ordre de choses un état et des avantages que l'ancien ordre ne pouvait plus leur procurer. Il fallait donc montrer à tous que la conduite du roi, en apparence si conforme à la constitution, n'était que le résultat d'une politique adroite qui dissimule pour agir plus sûrement. Ce fut dans ce dessein qu'on décida que le roi irait passer les fêtes à Saint-Cloud. » (Mém. de Ferrières.)

TOME V.

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Ce bruit courut, ce prétexte fut imaginé, comme l'atteste Ferrières; mais c'eût été une mauvaise idée, si le projet eût été sérieux, car il était trop évident que tel ne pouvait être le but de l'éloignement du roi, et un motif qui n'est pas de nature à être accepté est plus propre à inspirer la défiance que l'absence même de tout motif. Il y a donc lieu de croire qu'en mettant ce prétexte en avant, on donnait le change sur quelque fin que l'on se proposait d'atteindre à l'aide du prétexte même, et des soupçons qu'il inspirerait. Le roi, en effet, avait une chapelle dans les Tuileries où il entendait habituellement la messe; il n'avait done pas besoin de sortir du château pour ses pâques, Cette circonstance était connue de tout le monde. En outre, il ne manquait pas de prêtres; on savait que l'ancien appartement des tantes du roi avait été arrangé de manière à recevoir plusieurs des évêques réfractaires qui s'y étaient en effet établis au nombre d'une douzaine. La presse s'était chargée de dénoncer le fait en l'ornant de réflexions propres à le signaler d'une manière particulière à l'attention. Il est donc probable qu'en prétextant un éloignement pour faire la pâque, on voulait laisser soupçonner que le véritable motif était de sortir de Paris. La suite de ce récit nous apprendra pourquoi on tenait à faire courir un pareil bruit et à provoquer une émeute par ce moyen.

Cependant l'approche du temps pascal donnait aussi quelques inquiétudes aux révolutionnaires. L'évêque était institué; dès le 4, tous les curés des paroisses conservées avaient été installés. Mais les prêtres qui n'avaient pas prêté le serment ne manquaient pas d'églises; ils avaient toutes celles des couvents et particulièrement des couvents des religieuses dont la loi avait autorisé la conservation ou plutôt l'habitation provisoire. C'était là que se rendaient la plupart des véritables fidèles pour suivre les exercices religieux; c'était là que se pressait la foule, tandis qu'elle abandonnait les églises constitutionnelles. Le peuple, voyant entrer et sortir les fidèles en grand nombre, et rencontrant en quelques lieux de longues files de voitures stationnant aux portes des édifices que la loi ne reconnaissait plus pour religieux, s'attroupait et faisait ses réflexions. On disait d'abord que les fidèles étaient les meilleurs juges de la religion; qu'ils accouraient autour des prêtres insermetés; que ceux-ci étaient donc les bons prêtres. Bientôt il se forma un parti contraire. De là, des discussions, des disputes, et enfin quelques désordres aux portes de ces églises, de ces couvents non autorisés. Il y eut quelques troubles le 6 et le 7, où les révolutionnaires n'eurent pas l'avantage, mais qui n'étaient pas assez graves pour que la commune s'en occupat. Les autorités du département et de la municipalité ne voyaient là

qu'une question de liberté religieuse. Il n'en fut pas ainsi du parti du mouvement: il se mit en campagne avec son activité et son zèle ordinaires; on fit des motions au Palais-Royal, dans les carrefours et dans les marchés; les orateurs des rues se mirent à haranguer les passants qui voulaient s'arrêter pour les entendre. Une émeute se prépara, se forma et se grossit sans que personne y mît obstacle. Le 9 avril, elle se porta sur les couvents, en força les portes et maltraita, d'une manière odieuse, les personnes qu'elle y rencontra.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, il y a toujours, dans les grandes villes comme Paris, une masse d'individus, habitués à tous les genres de dépravation, consacrés en quelque sorte à tous les genres d'infamie et vivant de cette infamie même. Ils y vivent à l'abri des regards de la loi, et en dehors de toute moralité. Partout où il y a foule, dans toutes les occasions de trouble et de désordre, quand la police ne peut veiller, ces misérables se montrent et manifestent leurs détestables instincts. C'est ce qui arriva en cette circonstance. Nous laisserons parler les journaux :

« Depuis plusieurs jours, on entendait dire partout, écrit l'Ami du Roi, que le prélat qui a été assez hardi pour s'asseoir sur le siége de M. Juigné encore vivant, honteux et effrayé de la solitude des églises réputées schismatiques, avait conçu le projet de fermer aux catholiques l'entrée des monastères où ils se réfugiaient pour assister aux saints mystères, sans participer au schisme; que, pour seconder ses desseins et fournir un prétexte d'interdire l'accès des temples spécialement consacrés aux vierges saintes, on devait violer leurs asiles. En effet, un beau matin (le samedi, 9 avril), dans les différents quartiers de la capitale, à la même heure, une foule innombrable de femmes, parmi lesquelles se trouvaient, diton, beaucoup d'hommes déguisés, se porta sur les monastères et les communautés de filles.

« La municipalité aurait dû naturellement être avertie de ce qui se tramait, au moins par les bruits publics que les factieux ne manquent jamais de répandre, pour faire croire qu'ils se tiennent asstirés de la connivence et de la protection des corps administratifs. Mais, soit que, toujours pleine de confiance dans le respect de ce bon peuple pour la loi, la municipalité ne pût le croire capable des excès qu'on lui imputait de méditer; soit que l'infidèle renommée n'eût pas porté aux oreilles des municipaux une nouvelle universellement répandue, ils ne prirent aucune précaution, et les asiles de la pudeur, abandonnés sans défense, furent forcés et violés... Ccpendant le bruit des excès scandaleux qui se commettaient détermina le commandant de la garde parisienne à faire marcher sa

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troupe. Elle accourut, au premier ordre, avec l'activité et le zèle qu'elle témoigne dans toutes les occasions, et si l'on n'eût enchaîné les bras de ces protecteurs de la vraie liberté et de la tranquillité publique, ils auraient, par la seule terreur que leur présence inspire, non pas prévenu, car il était trop tard, mais du moins fait cesser les désordres :

« Nos braves gardes nationaux eurent la douleur, comme à l'hôtel de Castries, de se voir, faute d'ordres (la proclamation de la loi martiale qui devait être faite par un officier municipal), condamnés à l'inaction au milieu des plus honteux excès....... Ils virent des vierges sacrées de tout âge, la jeunesse timide, la vieillesse infirme, des adolescentes, des octogénaires, des dames respectables recluses volontaires, mises toutes nues, battues de verges, poursuivies dans cet état affreux de nudité, dans tous les coins de leurs maisons et de leurs jardins, terrassées, meurtries de coups, accablées d'injures plus cruelles que la mort même. Ils virent jusqu'à ces pieuses filles de saint Vincent, dont le dévouement est si héroïque et l'humilité si profonde... ils les virent fustigées, ensanglantées par les mains mêmes de ces femmes, de ces hommes dont elles avaient si souvent nourri la misère, couvert la nudité, soigné les plaies cadavéreuses. Ils eurent, en un mot, la douleur de voir épuiser sur ces filles innocentes tout ce que la rage d'une soldatesque effrénée pourrait se permettre dans une ville prise d'assaut; et plusieurs heures se passèrent dans ces tourments... Enfin quand la rage des bourreaux fut épuisée, les profanateurs des couvents défilèrent à travers les haies de soldats sans être troublés dans leur marche triomphale.

« Et voilà ce qu'on appelle le règne de la liberté et l'empire des lois! Voilà le règne de cette philosophie qui réclamait la liberté et la tolérance! » (L'Ami du Roi, no CCCXXX.)

Cet acte odieux révolta tout Paris. Il n'y eut pas un parti sérieux qui n'en repoussât la responsabilité. Il n'y en eut pas non plus de positivement accusé. Personne ne méprisait assez ses ennemis pour leur imputer une pareille infamie. On a vu cependant que l'Ami du Roi indique assez clairement l'abbé Gobel, qui en était, sans doute, fort innocent; car rien n'était plus propre à éloigner tout le monde de lui. L'ensemble et la simultanéité qui présidèrent à l'attaque des couvents donnent l'idée d'un plan arrêté d'avance; mais ne suffisait-il pas, dans ce temps d'émeutes, des délibérations du Palais-Royal et des places publiques, d'un mot jeté la veille au milieu de la foule, pour donner aux rassemblements ces apparences de discipline. Quoi qu'il en soit, le même jour 9 avril,

le ministre de l'intérieur écrivit au directoire du département : « Le roi, messieurs, n'a pu apprendre sans une peine extrême les mauvais traitements exercés sur des personnes à qui leur sexe et leur état devaient servir de défense. Les mœurs et les lois sont également blessées par des violences de cette nature. Si cette licence coupable n'était pas enfin réprimée; si, à chaque événement, à chaque circonstance; si, dans la capitale, sous les yeux du roi et de l'assemblée nationale, de semblables scènes doivent se renouveler, il n'y aurait effectivement ni liberté, ni sûreté, et la constitution ne s'établirait jamais. C'est donc au nom de la constitution même, c'est au nom de l'ordre et pour l'honneur du gouvernement que le roi vous enjoint d'employer les moyens les plus prompts et les plus sûrs pour faire poursuivre et punir les auteurs de ces délits. Mais en même temps que Sa Majesté vous commande d'opposer l'autorité des lois à ces excès, elle désire encore davantage que, par l'autorité de la raison, vous puissiez faire régner cet esprit de tolérance et de modération qui convient à des hommes éclairés et libres, et qui doit être un des plus beaux résultats de notre constitution. »

A la suite de cette lettre, le directoire fit afficher, dès le lendemain 10, une proclamation dans laquelle, blâmant énergiquement les excès de la veille, il défendait les attroupements devant les églises ou maisons religieuses, proscrivait toute violence contre les personnes, ordonnait à la force publique de sévir à la moindre infraction, et enfin invitait l'évêque constitutionnel à prendre toutes les mesures pour empêcher les ecclésiastiques sans pouvoirs de s'immiscer dans aucune fonction publique ecclésiastique.

Le lendemain, 11 avril, le directoire, en partie, dit-on, sur la demande de l'évêque Gobel, prit un arrêté qui plus tard donna lieu à une discussion dans l'assemblée nationale. Considérant, disait-il, que la nation en se chargeant des frais du culte n'entend pas y consacrer plus d'édifices qu'il n'est nécessaire... que la liberté du citoyen dans ses opinions religieuses et dans tout ce qui ne blesse pas l'ordre public, doit lui être garantie contre toute espèce d'atteintes, arrête: 1° la municipalité nommera pour chaque église paroissiale un officier public, sous le nom de préposé laïque, lequel aura la garde de l'édifice, etc., et le soin de la police intérieure... 3o tout préposé laïque sera tenu d'empêcher qu'aucune fonction ecclésiastique ne soit remplie dans son église par d'autres que par des fonctionnaires publics ecclésiastiques salariés par la nation... 5o toute autre église appartenant à la nation, dans la ville de Paris, sera fermée dans les vingt-quatre heures, si elle n'est du

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