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générale de leurs armes dans l'église. Quelques-unes étaient chargées à balles, et les fragments de quelques corniches et de quelques vitres brisées tombèrent sur les spectateurs. Un d'eux fut même blessé assez grièvement. Il était dix heures lorsque le cortége sortit de Saint-Eustache; il était minuit lorsque le cercueil fut déposé dans l'église de Sainte-Geneviève.

N'oublions pas de mentionner un dernier détail dont beaucoup de gens furent choqués. Immédiatement après le cercueil, on portait le cœur du mort dans un vase recouvert d'une couronne de comte.

Rien ne montre mieux quel rang occupait Mirabeau dans l'opinion de ses contemporains, que ce soin minutieux de recueillir les plus petits détails dès qu'ils le concernent. La presse s'occupa de lui longtemps après sa mort. Voici les réflexions inspirées, dans le premier moment, aux journalistes par ce grave événement. On y voit percer les tendances secrètes de chacun. Plus tard, les articles furent plus étudiés et la pensée se cacha.

Jugements de la presse. « M. Mirabeau est mort. Toutes les passions et tous les partis se sont réunis à donner les mêmes regrets et les mêmes larmes au talent que la patrie a perdu. Son nom est celui que la postérité rencontrera le plus souvent dans les événements, dans les lois et dans les monuments oratoires de la révolution. Dévoué à la cause de la liberté et de la nation, par ces engagements qui lient un homme dans tous les points de son existence, il a pu flotter dans le choix des moyens de faire triompher cette cause, jamais dans la résolution de tout sacrifier au désir et au besoin de lui assurer un triomphe immuable. Parmi les acclamations qui accompagnaient son nom depuis deux ans, de graves inculpations, il est vrai, se faisaient aussi entendre; mais les premières étaient méritées par des talents et par des services dont on ne pouvait contester l'éclat; les secondes, environnées pour ses ennemis mêmes des obscurités de l'incertitude jusqu'à ce qu'elles fussent prouvées avec évidence, devaient être regardées comme les vengeances d'un parti qui a succombé, ou des envieux que Mirabeau désolait autant que les aristocrates. » (Journal de Paris, 3 avril.)

« J'ai dit assez librement ma façon de penser sur ce fameux personnage, quand il vivait, pour avoir acquis le droit de faire éclater mes sentiments à sa mort. Je me borne aujourd'hui à parler de l'effet qu'a produit dans l'assemblée cette nouvelle. Une consternation générale a paru peinte sur tous les visages. On dit même que des membres distingués du côté droit se sont vus forcés de cacher leurs larmes, tandis que d'autres du côté gauche s'efforçaient avec un égal soin de déguiser leur joie. C'est du côté droit qu'est partie la demande

de l'impression et de l'insertion au procès-verbal du discours composé par M. de Mirabeau contre les testaments. » (L’Ami du Roi, 6 avril.)

« M. de Mirabeau est mort. Nous qui l'avons connu particulièrement, et qui chérissions sincèrement son caractère aimant et sensible, en admirant hautement ses talents supérieurs, nous lui devions des larmes, et nous en avons versé. Mais ce deuil universel des patriotes ne doit pas être un découragement pour nous, ni une fête pour les ennemis de la patrie et de la liberté. Il naîtra, je le jure, des cendres du grand Mirabeau, des milliers d'athlètes et d'orateurs qui doubleront les plus intrépides défenseurs du peuple. Son ombre, dégagée d'une dépouille mortelle, présidera dans toute la pureté des vrais principes au milieu de nous, et ses vaillants collègues, émules de ses talents et de sa gloire, redoublant de zèle et d'énergie, s'il le faut, feront voir à nos ennemis que l'œuvre de notre sainte constitution ne dépend pas d'un seul homme, mais de la face des choses et de la volonté suprême de la Providence. Donnons-lui des pleurs, amis! Mais retournant sur-le-champ au combat, montrons plus d'ardeur et d'intrépidité que jamais. » (Carra, Annales patriotiques, 3 avril.)

<«< M. Mirabeau avait de grands torts aux yeux de ses compatriotes; mais il avait rendu de grands services à la patrie; et ce qui prouve la rectitude de l'instinct du peuple, c'est la différence d'accueil que l'homme extraordinaire qui nous est ravi obtint pendant sa vie, au lit de mort et dans le cercueil. Quand du haut de la tribune, lors du décret sur le droit de paix et de guerre, il prononça ce mot éloquent et profond : Il n'y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne! malgré sa pénétration, il n'avait pas encore le décret du peuple à son égard, et le peuple lui-même ne savait pas combien il était attaché à ce même homme, qu'il traitait parfois avec tant de sévérité. Sa tombe devint la véritable pierre de touche de son mérite; tous les souvenirs honorables formèrent une garde autour du grand homme qui achevait de vivre, et ne laissèrent approcher rien de ce qui pouvait les affaiblir et les contrister. » (Révolutions de Paris, no LXLI.)

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<< Distinguons deux hommes dans M. Mirabeau la seconde partie de sa carrière politique a terni l'éclat de la première. Pourquoi faut-il qu'il n'ait point associé aux talents de Cicéron l'incorruptible probité du consul de Rome? Pourquoi faut-il que le vil amour de l'or ait desséché en lui les sources pures du patriotisme? Oh! c'est alors que son tombeau serait arrosé des larmes de tous les siècles! On vante son éloquence, et on oublie l'usage perfide qu'il en a fait

en faveur du veto, de la loi martiale, etc. On vante son éloquence; mais le diable, dans Milton, est éloquent aussi ! » (L'Orateur du Peuple, t. V, p. 297.)

Le même Desmoulins, que nous avons vu si profondément ému à la première nouvelle de la mort de Mirabeau, reprend quelques jours après son style satirique, même en parlant du convoi. On ne sait si son recueillement est sérieux. Il met en doute les mots que rapporte la Chronique de Paris; il parle des appointements que Mirabeau recevait de la liste civile; enfin, venant à son testament, il demande où l'orateur révolutionnaire, qui n'avait, il y a quelques années, que des dettes, et qui avait été réduit à mettre une boucle de col au Mont-de-piété, avait trouvé les fonds pour laisser en héritage: « à un enfant qui lui était cher, 24,000 liv.; à son secrétaire, 24,000 liv.; à son médecin, 24,000 liv.; à chacune des demoiselles du Saillant, 2,800 liv. de rentes; à chacune de ses autres nièces, 600 liv. de rentes; à M. de Lamarck, sa bibliothèque, achetée 200,000 liv.; à madame Le Jay ce qu'elle peut lui devoir, et à M. du Saillant, plus d'un million. » Desmoulins, enfin, dément une histoire qui avait couru, que Mirabeau aurait eu une conversation de deux heures avec l'abbé Lamourette, et il lui reproche son immoralité, son matérialisme et son athéisme.

« On a dit, s'écrie Brissot, que Mirabeau était le premier des Français à ce compte, qui voudrait être le second?» Puis parlant sur la séance du 3: « Les sections et le département sont venus demander un deuil public pour ce citoyen éloquent et VERTUEUX (Mirabeau lui-même, je l'ai connu assez pour l'affirmer, eût rayé ce mot). Il ne convient pas à des hommes libres de mentir sur sa tombe, et on ne s'honore point, on n'honore point par un mensonge un homme célèbre d'ailleurs; ils demandaient en outre son inhumation au champ de la fédération.

<< Cette opposition, cette demande subite, ont été suivies d'un profond silence, qui a duré cinq à six minutes. Quelle en était la cause? Diversa ex diversis. Il n'est pas temps encore de le dire. » (Patriote français, 4 avril.)

Le secrétaire de Mirabeau se frappa d'un coup de canif pendant l'agonie de ce dernier. Le bruit courut que c'était pour avoir soustrait une somme de 22,000 francs, dont il allait devoir rendre compte. D'autres prétendirent qu'il avait été gagné pour empoisonner Mirabeau, et que, lorsqu'on l'avait trouvé dans sa chambre, il s'était écrié Lumière, tu éclaires un grand scélérat! Tous ces faits sont démentis par une lettre de l'exécuteur testamentaire de

Mirabeau, Frochot, et par ses héritiers, Lamarck, etc. Cette lettre est insérée dans le numéro du 27 avril du Patriote français.

Oraison funèbre de Riquetti, par Marat.

« Peuple, rends grâces aux dieux! ton plus redoutable ennemi vient de tomber sous la faux de la Parque: Riquetti n'est plus! Il meurt victime de ses nombreuses trahisons, victime de ses trop tardifs scrupules, victime de la barbare prévoyance de ses complices atroces, alarmés d'avoir vu flottant le dépositaire de leurs affreux secrets. Frémis de leurs fureurs, et bénis la justice céleste. Mais que vois-je? Des fourbes adroits dispersés dans tes groupes ont cherché à surprendre ta pitié, et déjà dupe de leurs faux discours, tu regrettes ce perfide comme le plus zélé de tes défenseurs. Ils t'ont représenté sa mort comme une calamité publique, et tu le pleures comme un héros qui s'est immolé pour toi, comme le sauveur de la patrie! Seras-tu donc toujours sourd à la voix de la prudence, et perdras-tu toujours la chose publique par ton aveuglement? La vie de Riquetti fut souillée de mille forfaits : qu'un sombre voile en couvre désormais le hideux tissu, puisqu'il ne peut plus te nuire, et que leur récit ne scandalise plus les vivants. Mais gardetoi de prostituer ton encens; garde tes larmes pour tes défenseurs intègres; souviens-toi qu'il était l'un des valets nés du despote; qu'il ne fronda la cour que pour capter tes suffrages; qu'à peine nommé aux états pour défendre tes intérêts, il lui vendit tes droits les plus sacrés; qu'après la chute de la Bastille il se montra le plus ardent suppôt du monarchisme; qu'il abusa cent fois de ses talents pour replacer dans les mains du monarque tous les ressorts de l'autorité; que c'est à lui que tu dois tous les funestes décrets qui t'ont remis sous le joug et qui ont rivé tes fers: celui de la loi martiale; celui du veto suspensif; celui de l'initiative de la guerre; celui de l'indépendance des délégués de la nation; celui du marc d'argent; celui du pouvoir exécutif suprémé; celui de la félicitation des assassins de Metz; celui de l'accaparement du numéraire par de petits assignats; celui de la permission d'émigrer accordée aux conspirateurs, etc. Jamais il n'éleva la voix en faveur du peuple que dans les cas de nulle importance. Après l'avoir trahi mille fois consécutives, un seul jour, depuis la journée des poignards, il refusa de tremper dans une nouvelle conspiration, et ce refus devint pour lui l'arrêt de sa mort. » (L'Ami du Peuple, no CDIX.)

« Voilà donc les pères conscrits se constituant sans pudeur arbitres de la renommée et distributeurs de brevets d'immortalité. Non contents d'avoir usurpé les droits de la génération présente, ils

usurpent encore ceux des générations futures. Ce ne sera done plus à l'histoire à juger les morts, ni à la postérité à faire les réputations ainsi l'ont décidé les faiseurs de décrets; et pour montrer ce qu'on doit attendre de la sagesse de leurs decisions, c'est à un homme sans mœurs, sans probité, sans âme, à un homme qui trafiqua perfidement des droits et des intérêts de la nation avec le monarque, et qui n'employa ses talents qu'à tromper le peuple, qu'ils décernent la première place dans le temple du civisme, où doivent être placées les images des bienfaiteurs de la patrie.

« Bien mériter de la patrie, c'est lui consacrer ses lumières, ses travaux, ses veilles, sa liberté, ses jours; c'est lui faire de grands sacrifices, en ne cherchant d'autre récompense que le plaisir et la gloire de la servir; et non tirer avantage des choses qui tendent au bien commun. Ainsi le philosophe qui éclaire la nation sur ses droits, le législateur qui lui donne de bonnes lois, le magistrat qui les fait exécuter avec intégrité, l'orateur courageux qui épouse avec zèle la défense des opprimés, le guerrier qui expose sa vie pour repousser l'ennemi, le négociant généreux qui ramène l'abondance dans des temps de disette; voilà les bienfaiteurs de la patrie, et non le citoyen qui s'enrichit à faire prospérer l'agriculture, les manufactures et le commerce, et non le citoyen qui s'enrichit ou se distingue à faire fleurir les lettres, les arts, les sciences; et non le citoyen qui fait la guerre pour s'avancer en grade ou cueillir des lauriers.

« Le but de l'assemblée nationale est de faire du prétendu temple des vertus civiques, une galerie d'hommes célèbres, monument de pure ostentation nationale. Bientôt y seront placés les bustes de Corneille, de Racine, de Boileau, de La Fontaine, de Turenne, de Vendôme, de Vauban, en un mot de tous les personnages qui ont illustré le siècle de Louis XIV, et qui sans doute l'auraient mieux mérité que Descartes, Voltaire et Desilles.

« Si cet établissement subsiste, il servira aussi de réceptacle à la tourbe académique moderne, aux fonctionnaires publics qui auront joué un rôle principal, aux valets de la cour qui auront mené la bande et nous y verrons déposer avec pompe l'effigie d'un Mottié, d'un Bailly, d'un Bouillé,{d'un Buffon, d'un Réaumur, d'un La Caille. « Enfin, il servira de réceptacle à tous les petits ambitieux ayant de la fortune, dont ils priveront leurs héritiers, pour la léguer quelque intrigant qui s'engagera de leur procurer une niche. Aussitôt les cabales agiteront le sénat; l'intrigue seule ouvrira les portes du temple de l'immortalité, et la récompense des vertus civiques sera le prix de l'adulation, des bassesses, d'une bourse d'or, et des faveurs d'une catin, comme les places à l'Académie. Alors arriveront

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