Page images
PDF
EPUB

cachet leur enjoignant de quitter la ville avant trois heures pour se rendre en exil en tel lieu qu'il leur plairait. Ils devaient emporter avec eux la sympathie qu'ils avaient su, pour certains d'entre eux du moins, inspirer au public. Et, si rien, dans nos sources n'indique que leur départ ait été marqué de manifestations de dévouement à leur égard, ou de colère envers les agents du pouvoir royal, c'est peut-être que ceux-ci inspiraient une certaine crainte à la population; peutêtre aussi redoutait-elle la mauvaise humeur de ses nouveaux juges; beaucoup enfin, notamment le Corps municipal, étaient tout à la joie d'avoir échappé au danger de la suppression complète du Parlement de Grenoble, au profit de Valence la ville rivale. Mais lorsque, quelques années plus tard, les exilés reviendront, c'est au milieu des ovations de toute la province qu'ils reprendront leurs sièges. Parmi tous ceux qui méritèrent cette réputation et cette popularité, vient, au premier rang, Mgr de Bérulle (1). Il appartenait à une antique et noble race; sa famille, dont un des membres, Amaury, avait combattu le 26 août 1346 à Crécy, avait donné à Grenoble deux premiers présidents, René et Pierre-Nicolas (2). Le fils de ce dernier, Pierre-Thomas, était intendant du Bourbonnais lorsqu'il fut nommé,

(1) Cf. Bibl. de Grenoble, Journal de la Réintégration, U, 1116. Même référence pour les renseignements sur les autres magistrats. PIOLLET Thomas et Albert de Bérulle. (Grenoble 1888.)

(2) Pierre nommé à la fin du XVIIe siècle, laissa en 1720 sa charge à son fils Pierre-Nicolas. Ce dernier mourut en 1730.

en 1760, premier président à Grenoble, en remplacement de M. de Piolenc; il avait alors trente-quatre ans. L'auteur du Journal de la Réintégration dit de lui qu'il était

[ocr errors]

plein de candeur, de probité ». Il avait déjà mené la lutte contre l'intendant Chastellier-Dumesnil avec une remarquable énergie, et son mérite l'avait à ce point. signalé au Chancelier, que par trois fois celui-ci lui envoya son frère, le chevalier Maupeou, pour lui offrir la première présidence du nouveau Parlement de Paris, au mois de février 1771. Malgré les offres les plus séduisantes, «< content d'être vertueux, il sacrifia sa fortune et sa liberté à son devoir ». Il fut exilé dans sa terre de Foissy (canton de Villeneuve-l'Archevêque, arrondissement de Sens, Yonne), où il subit une cruelle maladie.

Sa femme le suivit dans l'exil, et donna, dit le même auteur, « l'exemple d'une vertu et d'un patriotisme sans égal ». Il ajoute qu'ils furent en butte « à la tyrannie d'un gouvernement asiatique ». Tout en tenant compte de l'exagération habituelle du chroniqueur, on ne peut juger trop sévèrement les sentiments inhumains dont Maupeou fit preuve. La fille du Premier Président, Mme de Champigny, était venue auprès de son père pendant sa convalescence. En quittant Foissy, elle tomba gravement malade en route, atteinte d'une fièvre violente, ne permettant pas de la transporter, et qui devait l'emporter. Son père, désespéré, sollicita la permission de s'établir au chevet de sa fille mourante; elle lui fut refusée; et, obligé de ne point « découcher de Foissy », il dut faire tous les

jours 8 lieues, pour avoir enfin la douleur de fermer les yeux à sa fille.

Il ne cessa jamais de porter ni le titre, ni le costume. de sa dignité.

A côté de lui, combien d'autres figures sympathiques : le président d'Ornacieux et M. de Meyrieu, auteurs des protestations dont nous avons parlé; le président de Quinsonnas (1), « doué de la plus belle âme qui sortit des mains de la nature », le seul qui ait obtenu grâce auprès de Letourneau, qui dit « que son exil touche les honnêtes gens » c'est le plus bel hommage qui pouvait lui être rendu; le président de Barral de Monferra, frère du conseiller de Barral de Rochechinard, qui refusa la place de M. de Pina, démissionnaire. M. du Sozey avait aussi une grande réputation; pendant son exil, le Parlement eut à juger un très gros procès entre lui et sa sœur, Mme la présidente de la Coste; ce magistrat aima mieux ne pas le suivre que de demander la révocation de la lettre de cachet qui l'avait exilé. Certains considèrent cette attitude comme la marque d'un orgueil sans bornes; pour tous ces hommes qui méprisaient les honneurs à une époque où, plus encore que de nos jours, on n'était rien contre le pouvoir, l'orgueil eût-il été un mobile suffisant de leurs actions?

Il faut reconnaître aussi que certains des magistrats

(1) Joseph-Gabriel de Pourroy de Lauberivière, marquis de Quinsonnas, seigneur de Sève, de Villion, baron de Mérieu, épousa M. de Chaponay. Mort à Vénissieux en 1788.

mis à l'écart ne donnaient pas grand relief à leur Compagnie. Il paraît que M. Roux de Laric était d'une vanité et d'une prétention sans bornes. Il poursuivait le dessein de substituer au nom de Roux celui de Ruffo, nom d'une illustre famille italienne. Ce n'était là qu'un travers; mais il avait été, en 1770, interdit pendant six mois par ses collègues, ce qui était plus grave.

Faut-il s'étonner outre mesure que, dans un Corps aussi nombreux, et malgré les examens auxquels étaient soumis les concessionnaires d'offices, il s'en soit trouvé quelques-uns d'inférieurs? En tous cas, il faut constater, et l'opinion publique ne s'y est pas trompée, qu'on garda ceux-là de préférence.

S V.

Installation des nouveaux membres.
Incident des démissions.

Les autres magistrats, en effet, trouvèrent le 7 novembre une lettre de cachet les convoquant pour le lendemain, à 8 heures, au Palais, où ils devaient être installés dans leurs nouvelles fonctions. En conséquence, le 8 novembre au matin, dans le même apparat que la veille, MM. de Clermont-Tonnerre et de Marcheval reprirent le chemin du Palais; ils se rendirent dans la Chambre du Conseil, où vinrent les rejoindre les quarante-trois officiers qui en avaient reçu l'ordre. Le double du procès-verbal envoyé au Roi par l'Intendant nous indique quels événements se déroulèrent au cours de cette séance. Dès le début, une petite difficulté s'éleva: quelle place allait prendre

chacun? et quelques-uns, peu décidés sans doute à faciliter les choses, prétendirent qu'après ce qui s'était passé la veille, ils n'en avaient aucune. Mais l'incident prit fin, sur l'invitation par le Commandant de reprendre celle qui leur était habituelle, invitation qui deviendrait un ordre, en tant que besoin, pour ceux dont les intentions seraient peu conciliantes. Le calme revenu, les lettres de commission furent, selon le cérémonial, lues et enregistrées. Après quoi, M. de Tonnerre dit qu'il était chargé d'apporter un édit portant création d'offices dans son Parlement, édit sur lequel M. l'Intendant allait expliquer plus particulièrement les intentions de Sa Majesté. M. Pajot de Marcheval, après les salutations d'usage, de sa place, assis et couvert, prononça ce dis

cours :

« Messieurs, le Roi, en vous rappelant aux fonctions de la magistrature, satisfait les voeux d'une province, qui est aussi chère à son cœur, que vous l'êtes vous-mêmes aux peuples qui la composent. Ces fonctions augustes, pour un moment d'interruption qu'elles viennent d'éprouver, n'en ont que plus d'éclat et de stabilité. C'est le Roi, Messieurs, qui vous choisit sans y être déterminé par d'autre considération que celle de vos vertus et de vos talents. Il vous choisit pour remplir un ministère d'autant plus flatteur à remplir, qu'il répond mieux à la pureté de vos intentions et à la noblesse de votre état: je parle, Messieurs, de la distribution gratuite de la Justice. Elle faisait depuis longtemps l'objet de vos désirs et de vos ambitions. Un tribunal établi sur des principes aussi respectables, et composé de magistrats aussi vertueux, ne peut manquer de se perpétuer dans son intégrité, par l'avantage que vous aurez de proposer

« PreviousContinue »