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Dans ces dernières lignes, Vidaud, pour la première fois, nous laisse entrevoir un peu d'amertume; lui qui avait pris son rôle tellement à cœur, il lui fallait maintenant résilier, entre les mains de quelqu'un qui ne l'aimait guère, des fonctions qui lui avaient permis de partager durant ces trois années l'intimité du premier ministre de Louis XV; surtout à cette amertume se joint une crainte qu'il ne peut pas dissimuler : à l'heure où il va retrouver pour confrères et pour chefs tous les ennemis de Maupeou, trop longtemps réduits au silence, recevra-t-il d'eux l'accueil cordial auquel il aspire? Et par avance il se justifie de ses actes. Sa crainte était fondée. M. de Bérulle ne devait pas lui pardonner sa docilité de 1771: au mois d'avril 1775, Vidaud cherchera sans y réussir à provoquer une discussion pour s'expliquer sur certains griefs que le futur Premier Président a formulés contre lui auprès du Garde des sceaux (1).

lement le maintien des Chambres telles qu'elles avaient été organisées par l'édit de 1771, Grand' Chambre, Enquêtes et Tournelle. On verra que son conseil fut écouté. Cf. page 11, le passage de cette lettre où Vidaud expose les inconvénients du roulement des Chambres.

(1) Il s'agit d'un incident qui nous est rapporté par une lettre de Vidaud à Miromesnil, du mois d'avril 1775 (elle ne porte pas de date, mais seulement milieu de la semaine sainte»; or, en 1775, Pâques tombe le 16 avril). « Je viens d'apprendre avec surprise que M. de Bérulle s'est plaint ce << matin à tous amèrement de mes procédés vis-à-vis de lui. »

En ce qui concerne son occupation de l'Hôtel de la Présidence, Vidaud explique qu'il a, le 7 novembre 1771, lors de sa nomination, fait dire à M. de Bérulle de ne pas presser son déménagement, et qu'il lui laissait tout le temps qu'il voudrait. Cela a duré jusqu'au 1er juin 1772, et c'est seulement le 17 de ce mois qu'il a, dit-il, couché pour la première fois à l'Hôtel de la Première Présidence. Il s'était engagé en outre à prendre tous les

Il ne fera pas revenir M. de Bérulle sur son attitude. Déjà, lorsqu'il lui écrivait, le 28 mars 1775:

Vous allez reprendre, Monsieur, les rènes d'un gouvernement que je vais repasser entre vos mains avec autant de plaisir que j'ai eu de peine à m'en charger. J'ai devancé le moment pour offrir à Mme de Bérulle et à vous, Monsieur, l'usage des meubles que j'ai à l'Hôtel de la Première Présidence. Vous y trouverez à peu près tout ce qui peut être nécessaire à la représentation de votre place, vous pouvez en disposer jusqu'aux vacances, temps auquel vous aurez plus de loisirs pour y faire transporter vos meubles. Je serais enchanté que mon offre entrât autant dans vos arrangements que j'éprouve de satisfaction à vous la faire. Si contre mon désir vous ne l'agréez pas, je donnerai les ordres nécessaires pour laisser l'Hôtel entièrement libre à votre arrivée. J'ai l'honneur d'ètre, avec un respectueux attachement.... »

Signé: Vidaud.»

M. de Bérulle répondait le même jour :

« Je suis reconnaissant, Monsieur, comme je le dois, de la proposition que vous avez bien voulu me faire de me servir

meubles que M. de Bérulle éprouverait de la difficulté à vendre, notamment les trumeaux, et cela non pas au prix d'estimation, mais au prix qu'ils avaient coûté : « Je n'ai pas eu de réponse, mais on a dit à Grenoble qu'on « aurait mieux aimé briser les glaces et brûler les cadres que me les ven<< dre ».

Voici un second grief plus grave encore: M. de Bérulle se serait plaint que Vidaud lui eût renvoyé de force là où il était en exil le plus jeune de ses fils, alors mourant, qu'il avait dû laisser à Grenoble. — Vidaud déclare qu'il est plus étonné encore d'une telle accusation; une seule fois il s'est préoccupé de cet enfant : arrivant à l'Hôtel, il conseilla de le changer d'appartement pour le mettre dans une pièce plus confortable, et il l'a laissé disposer plus de six mois de l'Hôtel.

de vos meubles lorsque je retournerai à Grenoble. J'ignore encore l'instant où je ferai ce voyage, mais il m'y a été offert, il y a déjà longtemps, un asile par des personnes que je considère et que j'aime, auxquelles je croirais manquer si je n'acceptais pour le moment l'offre obligeante qu'elles ont eu la bonté de me faire. J'ai l'honneur d'être, avec les sentiments les plus distingués... » (1).

« Signé De Bérulle. »

Lorsque Vidaud sut que c'était chez le président d'Ornacieux, dont l'hôtel touchait le sien, que descendait son invité, un ressentiment dut l'étreindre au souvenir de cette lettre insolente.

Aussi, après le rétablissement de la Cour royale à Grenoble, malgré des lettres où il écrit:

<< Le Parlement reprit hier ses fonctions, et j'y rentrais << avec d'autant plus de satisfaction qu'on parut généra<«<lement m'y voir avec plaisir; j'ai reçu de tous les Corps << des distinctions honorables, et j'ai pu m'apercevoir << qu'elles n'étaient pas accordées simplement à ma << place >> (2).

Ou encore:

« Je voulais voir l'accueil que me feraient les anciens << magistrats qui sont rentrés. J'ai à me louer de plusieurs « et je n'ai à me plaindre d'aucun en général; il paraît qu'on me désirait de préférence à tout autre... » (3).

(1) Journal de la Réintégration, p. 68. Bibl. de Grenoble, U, 1116. (2) Lettre du 14 juin 1775 au Garde des sceaux.

(3) Lettre du 10 juillet 1775 à Bertin, ministre et secrétaire d'État.

Il se rend nettement compte de cette animosité sourde, qui le préoccupe assez pour qu'il en parle constamment, et il s'installe à sa propriété de Montbives, à Biviers, sans garder d'appartement à Grenoble, bien qu'il reprenne ses fonctions de Procureur général.

Une phrase encore de cette dernière lettre est un nouvel aveu de cette préoccupation :

<< Ce n'est pas que le feu qui couve encore sous la <«< cendre ne puisse se développer et me lancer quelque << étincelle; mais j'ai du courage et ne crains pas que la << persécution m'énerve.... »

Et, le 28 août 1775 (1), c'est sans aucun regret qu'il remerciera le Garde des sceaux qui vient de lui faire connaître sa nomination aux fonctions de Conseiller

d'État, et qu'il quittera, avec ses fonctions de Procureur général, le siège de son ancienne splendeur (2).

Cependant la plupart des anciens Parlements étaient rétablis à tour de rôle, peu après celui de Paris: celui de

(1) Lettre à Miromesnil. Ces trois lettres se trouvent à la Bibl. de Grenoble, Q, 5, fo 152, 155, 156.

(2) 11 resta Conseiller d'État jusqu'en 1790, époque à laquelle il se retira à Velleron (Vaucluse). Il devait, quelques années plus tard, périr sur l'échafaud, à l'âge de 56 ans, en même temps que sa vieille mère, née Jeanne-Marguerite Gallet de Mondragon, âgée de 84 ans, condamnés tous deux par la Commission populaire d'Orange. Son arrestation fut motivée par ce fait qu'il avait été Président à Grenoble et Conseiller d'État. Une démarche de la municipalité de Velleron, non plus qu'une pétition signée par trente-sept patriotes dévoués à la République, ne parvinrent à le sauver Ils furent exécutés le 7 messidor, An II.

SOULLIER, La Révolution d'Avignon, t. II, pp. 236 et 248.

Rouen, le 12 novembre 1774; celui de Douai, le 2 décembre; la Cour des Aides de Clermont, le 5; le Parlement de Rennes, le 13; celui d'Aix, le 12 janvier 1775; celui de Bordeaux, le 2 mars, celui de Toulouse, le 14 mars; celui de Dijon, le 3 avril; celui de Besançon, le 7 avril. Nous allons assister ensuite au retour des anciens magistrats de Grenoble, et il ne restera plus à rappeler que ceux de Metz et de Pau, qui reviendront le 5 octobre et le 13 novembre 1775 (1).

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Grenoble à la veille de la réintégration
de son Parlement.

Dans les premiers mois de 1775, MM. de ClermontTonnerre, lieutenant général, et Pajot de Marcheval, intendant de Dauphiné, s'étaient rendus à Paris pour prendre des instructions et aussi, dit-on, pour obtenir d'être chargés de procéder à la réintégration, alors qu'ailleurs on y avait délégué un Conseiller d'État. Ils en repartirent vers le 20 avril 1775. Ils avaient été précédés de M. de Lesseville, mousquetaire et gendre de Marcheval, qui apportait, pour les anciens magistrats, les lettres de cachet signées le 11 avril par le Roi. Elles furent remises le 25 du même mois. Elles étaient ainsi conçues:

(1) Les procès-verbaux de toutes ces séances sont à la Bibl. de Grenoble, aux numéros suivants, dans l'ordre ci-après :

I, 10194; 10202; 10207; 10208; - 10229; 10273; 10274 ; - 10399: - 10407.

10257: 10258

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