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Elles ne renferment rien de bien précis, mais, en rapprochant les dates, peut-il s'agir d'autre chose que de la rentrée du Parlement breton, et de la mise en accusation de son ennemi le duc d'Aiguillon? N'y retrouve-t-on pas aussi un rappel de la théorie de l'unité, et enfin la manifestation de cette pratique, si mal vue du pouvoir, par laquelle, pour maintenir leur unité d'action, les Parlements avaient coutume dans les affaires politiques de se communi

« partagés et distribués aux différents ressorts sont dirigés par les mêmes << principes, animés des mêmes vues et du même zèle pour le bien de l'État ; «<le maintien des Lois, le bonheur des sujets, et la gloire du Souverain << dont elle tient son autorité, tels ont toujours été, Messieurs, les motifs et « le but de nos démarches. Nous nous flattons que vous en trouverez la « preuve dans les pièces dont nous avons l'honneur de vous envoyer copie; « elles vous instruiront des différentes circonstances où nous nous sommes

« trouvés, et des principaux événements arrivés depuis l'ouverture de nos « séances à la Saint-Martin 1769, jusqu'à Pâques de cette année.

« Nous sommes avec une ardeur fidèle et sincère, Messieurs, vos chers « frères et bons amis.

29 mai 1770.

« Les Gens tenant le Parlement de Bretagne. »>

Réponse du Parlement de Grenoble.

« MESSIEURS,

«Nous avons reçu avec une vive reconnaissance la lettre que vous nous « avez fait l'honneur de nous écrire le 26 avril dernier et les pièces qui y « étaient jointes. Les motifs qui vous animent et les principes qui ont « dirigé votre conduite répondent au zèle et à la fermeté dont vous avez « donné tant de preuves éclatantes. Nous ne doutons pas que votre persé«< vérance ne soit enfin aussi utile à votre province qu'elle vous a été glo«rieuse; elle vous devra le parfait rétablissement de sa tranquillité; vous «< ne travaillez que pour y parvenir; c'est le but de toutes vos démarches. « Nous prendrons toujours une part infinie aux succès que vous devez « attendre de la justice de Sa Majesté. Elle sera touchée des malheurs de «la Bretagne, du zèle de son Parlement, et le meilleur des Rois recon<< naîtra les services de ses plus fidèles sujets.

« Nous sommes, etc... ».

Arch. de l'Isère, B, Reg. 2314, f° 169.

quer les pièces, l'instrument même de leur résistance? Aussi bien la nouvelle de la suppression du Parlement de Paris, arrivant à Grenoble, y provoqua-t-elle une stupeur générale. A la hâte, le Parlement se réunit; le 1o février 1771, les syndics exposèrent ce qui s'était passé, et la Cour arrêta : << Considérant que cet événement «< compromet la gloire du souverain, l'honneur de la Magistrature, les droits de la Nation et les Lois fonda« mentales de l'État, » qu'elle délibérerait le 14 février sur l'attitude à prendre. A cette date, on se décida pour des remontrances.

Cependant à l'oeuvre de ruine du Chancelier il fallait maintenant ajouter quelque chose. Quel organisme meilleur allait-il substituer à celui qui avait mérité ses coups? Le 22 février, il tint à Paris le Conseil solennel au cours duquel fut lu l'édit réorganisant la magistrature (1). Cet édit intervenait bien à point pour permettre aux rédacteurs des remontrances de Grenoble de s'élever contre une mesure que n'avait encore jamais osée le pouvoir.

Le 4 mars, le Parlement s'assemble à nouveau et arrête l'objet des remontrances. Il convient de rappeler au Roi que « sa toute puissance ne va pas sans la limite de la

(1) Sur cette séance et sur l'édit, cf. FLAMMERMONT, op. cit., ch. vII. Les bases de la réforme sont : 1o la création de Conseils supérieurs au nombre de six, sans aucune attribution politique, qui s'ajoutent au Parlement de Paris dont ils morcellent le ressort; 2° la suppression de la vénalité des charges; 3° la gratuité de la justice. Le Parlement de Grenoble fait l'objet d'un édit de réorganisation particulier qui sera étudié plus loin.

<< justice et de la raison qui restreint sa discrétion », qu'il est un principe essentiel dans la constitution de la monarchie française: « l'adhésion libre de la nation à chaque « loi nouvelle, qu'elle fût convoquée au Champ de Mars, << dans les États Généraux, ou représentée par le seul Corps

qui reste intermédiaire à cette heure entre le Roi et ses << sujets ». De cet usage est née pour le monarque l'obligation d'adresser aux Cours souveraines toutes les Lois et Ordonnances, et jamais, si loin que l'on recherche, la royauté n'a osé prétendre que l'enregistrement n'était qu'une règle de forme. Charles IX l'a solennellement reconnu par la voix de son ambassadeur auprès du Pape, et, cette règle est si vraie, que la diplomatie a exigé l'enregistrement par les Cours souveraines des traités de Madrid, de Vervins et d'Utrecht.

L'esprit qui a poussé le Roi à agir contre le Parlement de Paris «< ne peut être que la résolution prise d'attribuer << au monarque le pouvoir de commander en despote, et de prescrire à un peuple déjà soumis d'obéir en esclave ». On suppliera le Roi de distinguer quels sont ses meilleurs sujets, de ceux qui le poussent à une loi dangereuse ou de ceux qui encourent le malheur de sa disgrâce pour lui rappeler les lois et maximes du royaume; de comprendre que sa gloire est compromise aux yeux de ses peuples attentifs, depuis qu'il a chassé ses «< magistrats << blanchis dans l'étude des lois » pour leur substituer des juges amovibles à volonté. Et on rappellera les paroles de Maupeou dans une déclaration par lui faite en 1765, comme président du Parlement : « il affirmait la néces

« sitait que le magistrat, sûr de sa perpétuité, ne soit pas << exposé à plier son devoir et son intégrité au désir de se << maintenir ».

Et ces doléances seront signées par des hommes qui, dans la pleine possession de leurs droits, et au moment où ils pourraient concentrer toute leur sollicitude sur les dangers qui les menaçent, sont jaloux de donner la preuve la plus héroïque de leur vertu et de leur soin de la gloire royale (1).

Le 23 mars enfin, dans des considérants d'une énergie singulière, la Cour rend un arrêt de règlement adoptant les remontrances dont elle avait peu de jours avant jeté les bases (2).

M. Flammermont a consacré la première partie d'un de ses chapitres (1x) aux protestations soulevées par le

(1) Cf. Bibl. de Grenoble, X, 905; 0, 9715.

(2) Recueil des Édits et Déclarations du Roi, Arrêts et Règlements du Parlement de Dauphiné (Vve Giroud) t. XXV, no 86.

• Considérant que par un effet des nouvelles atteintes portées aux lois et maximes du Royaume, qui sont le gage de la liberté et de la sûreté des < peuples, lesdits Conseils n'ont été formés sur le plan de commissions « extraordinaires, qu'au détriment de l'ordre public, auquel ils ne sauraient « être associés, que leurs titres n'aient été préalablement et loyalement « vérifiés avec une entière liberté de suffrage par ceux qui peuvent en connaître ;

« Que l'intrusion de cette magistrature factice, avilie dès l'instant de son « origine, ne peut qu'alarmer toutes les classes des citoyens accoutumés à << des tribunaux réguliers, dépositaires de leur confiance illimitée et des titres de leur liberté légitime;

«Que c'est illusoirement que de telles créations, formées sans titres vala«bles, ont été revêtues de la promesse spéciale d'une justice rendue gra<tuitement, comme si on pouvait supposer qu'une telle forme regardée

coup de force de Maupeou. La première qu'il cite est ce beau manifeste de ceux qui déclaraient, le 4 avril, « pro<< tester comme gentilshommes pour la conservation des << droits de la noblesse, comme Pairs de France nés pour «< celle des droits des Pairs et des Pairies, et comme Princes << du sang pour les droits essentiels de toute la nation, les << leurs et ceux de leur postérité », manifeste qui valut l'exil

« depuis si longtemps comme trop dispendieuse pouvait être rejetée par « les Cours dès qu'il plaira audit Seigneur Roi de l'ordonner;

« Que ces prétendus corps de justice érigés seulement pour se fonder et « affermir le despotisme, mais dénués de tout caractère légal, ne sont que de vains prestiges, qui dans l'harmonie de l'ordre public ne peuvent être « reconnus par ses Cours anciennes intimement liées à la constitution de « l'État, ni se combiner avec elles;

<< Considérant enfin que dans la commotion générale qui excite le ren« versement des principes de la monarchie, l'état des Princes et Pairs « rendus désormais incertains, les propriétés des sujets dudit Seigneur Roi « compromises et autres dangereuses conséquences, la Cour se doit à elle« même de réclamer pour les droits de la nation, qui, sans le consentement « des États Généraux, ne saurait être dépouillée de la forme de gouverne«ment qui lui est propre ;

« Les gens du Roi mandés et retirés, ouï notre amé et féal Claude « Ignace de Trivio, conseiller, et vu l'édit du 22 février,

«La Cour a arrêté qu'il sera fait audit Seigneur Roi de très humbles et << très respectueuses remontrances, à l'effet de lui représenter que les dis<< positions dudit édit sont contraires aux lois et maximes du Royaume, à « l'ordre solennellement et religieusement observé, à l'intérêt des peuples << et au bien même de la Justice, qu'elle trahirait son devoir, contreviendrait « à la loi de son serment, si elle se permettait d'avouer et de reconnaître « comme Parlement, Cour supérieure ou de Justice, toute assemblée de « juges établie et substituée au Parlement de Paris; qu'elle ne peut accor« der aux actes émanés desdits juges aucune foi, autorité, authenticité, ni << confiance; en conséquence fait inhibition et défense à tous juges et offi«ciers de son ressort d'avoir égard aux dits actes, de sceller, accorder ou << faire exécuter aucun pareatis sur iceux; fait pareille inhibition ou « défense à tous huissiers, sergents de les signifier, le tout sous les peines « du droit et, afin que personne n'en prétende cause d'ignorance, « ordonne etc... » (suit la formule de règlement).

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