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faires, et lui confier toute son autorité, comme autrefois les rois de France la donnoient aux maires du palais, et comme les princes orientaux la confient encore aujourd'hui à celui qu'on nomme grand visir en Turquie. Pour abréger, j'appellerai visirat cette sorte de ministère.

Ce monarque peut aussi partager son autorité entre deux ou plusieurs hommes qu'il écoute chacun séparément sur la sorte d'affaire qui leur est commise, à-peu-près comme faisoit Louis XIV avec Colbert et Louvois. C'est cette forme que je nommerai dans la suite demi-visirat.

Enfin ce monarque peut faire discuter dans des assemblées les affaires du gouvernement, et former à cet effet autant de conseils qu'il y a de genres d'affaires à traiter. Cette forme de ministère, que l'abbé de Saint-Pierre appelle pluralité des conseils ou polysynodie, est à-peu-près, selon lui, celle que le Régent, duc d'Orléans, avoit établie sous son administration; et, ce qui lui donne un plus grand poids encore, c'étoit aussi celle qu'avoit adoptée l'élève du vertueux Fénélon.

Pour choisir entre ces trois formes, et juger de celle qui mérite la préférence, il ne suffit pas de les considérer en gros et par la première face qu'elles présentent; il ne faut pas non plus opposer les abus de l'une à la perfection de l'autre, ni s'arrêter seulement à certains moments passagers

de désordre ou d'éclat, mais les supposer toutes aussi parfaites qu'elles peuvent l'être dans leur durée, et chercher en cet état leurs rapports et leurs différences. Voilà de quelle manière on peut en faire un parallèle exact.

CHAPITRE III.

Rapport de ces formes à celles du gouvernement suprême.

Les maximes élémentaires de la politique peuvent déja trouver ici leur application: car le visirat, le demi-visirat, et la polysynodie, se rapportent manifestement, dans l'économie du gouvernement subalterne, aux trois formes spécifiques du gouvernement suprême, et plusieurs des principes qui conviennent à l'administration souveraine peuvent aisément s'appliquer au ministère. Ainsi le visirat doit avoir généralement plus de vigueur et de célérité, le demi-visirat plus d'exactitude et de soin, et la polysynodie plus de justice et de constance. Il est sûr encore que comme la démocratie tend naturellement à l'aristocratie, et l'aristocratie à la monarchie, de même la polysynodie tend au demi-visirat, et le demi-visirat au visirat. Ce progrès de la force publique vers le relâchement, qui oblige de renforcer les ressorts, se re

tarde ou s'accélère à proportion que toutes les parties de l'état sont bien ou mal constituées; et, comme on ne parvient au despotisme et au visirat que quand tous les autres ressorts sont usés, c'est, à mon avis, un projet mal conçu de prétendre abandonner cette forme pour en prendre une des précédentes; car nulle autre ne peut plus suffire à tout un peuple qui a pu supporter celle-là. Mais, sans vouloir quitter l'une pour l'autre, il est cependant utile de connoître celle des trois qui vaut le mieux. Nous venons de voir que, par une analogie assez naturelle, la polysynodie mérite déja la préférence; il reste à rechercher si l'examen des choses mêmes pourra la lui confirmer; mais, avant que d'entrer dans cet examen, commençons par une idée plus précise de la forme que, selon notre auteur, selon notre auteur, doit avoir la polysynodie.

CHAPITRE IV.

Partage et départements des conseils.

Le gouvernement d'un grand état tel que la France renferme en soi huit objets principaux qui doivent former autant de départements, et par conséquent avoir chacun leur conseil parti

culier. Ces huit parties sont, la justice, la police, les finances, le commerce, la marine, la guerre, les affaires étrangères, et celles de la religion. Il doit y avoir encore un neuvième conseil, qui, formant la liaison de tous les autres, unisse toutes les parties du gouvernement, où les grandes affaires, traitées et discutées en dernier ressort, n'attendent plus que de la volonté du prince leur entière décision, et qui, pensant et travaillant au besoin pour lui, supplée à son défaut, lorsque les maladies, la minorité, la vieillesse, ou l'aversion du travail, empêchent le roi de faire ses fonctions: ainsi ce conseil général doit toujours être sur pied, ou pour la nécessité présente, ou par précaution pour le besoin à venir.

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A l'égard de la manière de composer ces conseils, la plus avantageuse qu'on y puisse employer paroît être la méthode du scrutin; car par toute autre voie, il est évident que la synodie ne sera qu'apparente, que les conseils n'étant remplis que des créatures des favoris, il n'y aura point de liberté réelle dans les suffrages, et qu'on n'aura,

sous d'autres noms, qu'un véritable visirat ou demi-visirat. Je ne m'étendrai point ici sur la méthode et les avantages du scrutin; comme il fait un des points capitaux du système de gouvernement de l'abbé de Saint-Pierre, j'en traite ailleurs plus au long. Je me contenterai de remarquer que, quelque forme de ministère qu'on admette, il n'y a point d'autre méthode par laquelle on puisse être assuré de donner toujours la préférence au plus vrai mérite; raison qui montre plutôt l'avantage que la facilité de faire adopter le scrutin dans les cours des rois.

Cette première précaution en suppose d'autres qui la rendent utile, car il le seroit peu de choisir au scrutin entre des sujets qu'on ne connoîtroit pas, et l'on ne sauroit connoître la capacité de ceux qu'on n'a point vus travailler dans le genre auquel on les destine. Si donc il faut des grades dans le militaire, depuis l'enseigne jusqu'au maréchal de France, pour former les jeunes officiers et les rendre capables des fonctions qu'ils doivent remplir un jour, n'est-il pas plus important encore d'établir des grades semblables dans l'administration civile, depuis les commis jusqu'aux présidents des conseils? Faut-il moins de temps et d'expérience pour apprendre à conduire un peuple que pour commander une armée? Les connoissances de l'homme d'état sont-elles plus faciles

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