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AVERTISSEMENT.

Ce petit traité est extrait d'un ouvrage plus étendu, entrepris autrefois sans avoir consulté mes forces, et abandonné depuis long-temps. Des divers morceaux qu'on pouvoit tirer de ce qui étoit fait, celui-ci est le plus considérable, et m'a paru le moins indigne d'être offert au public. Le reste n'est déja plus'.

Montesquieu n'a parlé que des lois positives; il a laissé son bel édifice imparfait mais il falloit aller à la source même des lois, remonter à cette première convention expresse ou tacite qui lie toutes les sociétés. Le Contrat social a paru; c'est le portique du temple et le premier chapitre de l'Esprit des lois. C'est de l'auteur qu'on peut dire véritablement: Le genre humain avoit perdu ses titres; Jean-Jacques les a retrouvés. » (Note de Brizard, édition de Poincot, tome VIII.)

Que l'on conteste ou non sur la validité de ces titres ou sur les conséquences qu'on en peut tirer dans l'application, il est certain que l'objet de notre auteur dans cet ouvrage est parfaitement déterminé par cette note d'un précédent éditeur; c'est ce qui nous a engagé à la reproduire.

Au surplus, Rousseau lui-même a présenté la substance de son Contrat social dans le livre V de l'Émile, lorsqu'il est question de faire voyager son éléve, et il en a donné encore une analyse plus courte dans les Lettres de la Montagne (Lettre VI). En lisant ces deux morceaux après le Contrat social, on en saisira d'autant mieux l'ensemble et l'esprit général.

(Note de M. Pétitain.)

DU CONTRAT SOCIAL,

ου

PRINCIPES DU DROIT POLITIQUE.

LIVRE I.

Je veux chercher si, dans l'ordre civil, il peut y avoir quelque règle d'administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu'ils sont, et les lois telles qu'elles peuvent être. Je tâcherai d'allier toujours, dans cette recherche, ce que le droit permet avec ce que l'intérêt prescrit, afin que la justice et l'utilité ne se trouvent point divisées.

J'entre en matière sans prouver l'importance de mon sujet. On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la politique. Je réponds que non, et que c'est pour cela que j'écris sur la politique. Si j'étois prince ou législateur, je ne perdrois pas mon temps à dire ce qu'il faut faire; je le ferois, ou je me tairois.

Né citoyen d'un état libre, et membre du souverain, quelque foible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d'y

voter suffit pour m'imposer le devoir de m'en instruire: heureux, toutes les fois que je médite sur les gouvernements, de trouver toujours dans mes recherches de nouvelles raisons d'aimer celui de mon pays!

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CHAPITRE I.

Sujet de ce premier livre.

L'homme est né libre, et par-tout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d'être plus esclave qu'eux. Comment ce changement s'est-il fait? je l'ignore. Qu'est-ce qui peut le rendre légitime? je crois pouvoir résoudre cette question.

Si je ne considérois que la force, et l'effet qui en dérive, je dirois: Tant qu'un peuple est contraint d'obéir, et qu'il obéit, il fait bien; sitôt qu'il peut secouer le joug, et qu'il le secoue, il fait encore mieux: car, recouvrant sa liberté par le même droit qui la lui a ravie, ou il est fondé à la reprendre, ou on ne l'étoit point à la lui ôter. Mais l'ordre social est un droit sacré qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne vient point de la nature; il est donc fondé sur des conventions. Il s'agit de savoir quelles sont ces conven

tions. Avant d'en venir là, je dois établir ce que je

viens d'avancer.

mm.

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CHAPITRE II.

Des premières sociétés.

La plus ancienne de toutes les sociétés, et la scule naturelle, est celle de la famille: encore les enfants ne restent-ils liés au père qu'aussi longtemps qu'ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfants, exempts de l'obéissance qu'ils devoient au père; le père, exempt des soins qu'il devoit aux enfants, rentrent tous également dans l'indépendance. S'ils continuent de rester unis, ce n'est plus naturellement, c'est volontairement; et la famille elle-même ne se maintient que par convention.

Cette liberté commune est une conséquence de la nature de l'homme. Sa première loi est de veiller à sa propre conservation, ses premiers soins sont ceux qu'il se doit à lui-même; et sitôt qu'il est en âge de raison, lui seul étant juge des moyens propres à le conserver, devient par-là son propre maître.

La famille est donc, si l'on veut, le premier modéle des sociétés politiques : le chef est l'image du père, le peuple est l'image des enfants; et tous,

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