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chante, et mémorable! Et ne vous en tenez pas à ce début. Ces hommes ainsi distingués doivent demeurer toujours les enfants de choix de la patrie. Il faut veiller sur eux, les protéger, les aider, les soutenir, fussent-ils même de mauvais sujets. Il faut à tout prix les faire prospérer toute leur vie, afin que, par cet exemple mis sous les yeux du public, la Pologne montre à l'Europe entière ce que doit attendre d'elle dans ses succès quiconque osa l'assister dans sa détresse.

Voilà quelque idéc grossière et seulement par forme d'exemple de la manière dont on peut procéder, pour que chacun voie devant lui la route libre pour arriver à tout, que tout tende graduellement, en bien servant la patrie, aux rangs les plus honorables, et que la vertu puisse ouvrir toutes les portes que la fortune se plaît à fermer.

Mais tout n'est pas fait encore, et la partie de ce projet qui me reste à exposer est sans contredit la plus embarrassante et la plus difficile; elle offre à surmonter des obstacles contre lesquels la prudence et l'expérience des politiques les plus consommés ont toujours échoué. Cependant il me semble qu'en supposant mon projet adopté, avec le moyen très simple que j'ai à proposer, toutes les difficultés sont levées, tous les abus sont prévenus, et ce qui sembloit faire un nouvel obstacle se tourne en avantage dans l'exécution.

CHAPITRE XIV.

Élection des rois.

Toutes ces difficultés se réduisent à celle de donner à l'état un chef dont le choix ne cause pas des troubles, et qui n'attente pas à la liberté. Ce qui augmente la même difficulté est que ce chef doit être doué des grandes qualités nécessaires à quiconque ose gouverner des hommes libres. L'hérédité de la couronne prévient les troubles, mais elle amène la servitude; l'élection maintient la liberté, mais à chaque règne elle ébranle l'état. Cette alternative est fâcheuse; mais avant de parler des moyens de l'éviter, qu'on me permette un moment de réflexion sur la manière dont les Polonois disposent ordinairement de leur couronne.

D'abord, je le demande, pourquoi faut-il qu'ils se donnent des rois étrangers? Par quel singulier aveuglement ont-ils pris ainsi le moyen le plus sûr d'asservir leur nation, d'abolir leurs usages, de se rendre le jouet des autres cours, et d'augmenter à plaisir l'orage des interrégnes? Quelle injustice envers eux-mêmes! quel affront fait à leur patrie! comme si, désespérant de trouver dans son sein un homme digne de les commander, ils étoient

forcés de l'aller chercher au loin! Comment n'ontils pas senti, comment n'ont-ils pas vu que c'étoit tout le contraire? Ouvrez les annales de votre nation, vous ne la verrez jamais illustre et triomphante que sous des rois polonois ; vous la verrez presque toujours opprimée et avilie sous les étrangers. Que l'expérience vienne enfin à l'appui de la raison; voyez quels maux vous vous faites et quels bien vous vous ôtez.

Car, je le demande encore, comment la nation polonoise, ayant tant fait que de rendre sa couronne élective, n'a-t-elle point songé à tirer parti de cette loi pour jeter parmi les membres de l'administration une émulation de zèle et de gloire, qui scule cût plus fait pour le bien de la patrie que toutes les autres lois ensemble? Quel ressort puissant sur des ames grandes et ambitieuses que cette couronne destinée au plus digne, et mise en perspective devant les yeux de tout citoyen qui saura mériter l'estime publique! Que de vertus, que de nobles efforts l'espoir d'en acquérir le plus haut prix ne doit-il pas exciter dans la nation! quel ferment de patriotisme dans tous les cœurs, quand on sauroit bien que ce n'est que par-là qu'on peut obtenir cette place devenue l'objet secret des vœux de tous les particuliers, sitôt qu'à force de mérite et de services il dépendra d'eux de s'en approcher toujours davantage, et, si la fortune les seconde,

d'y parvenir enfin tout-à-fait! Cherchons le meil– leur moyen de mettre en jeu ce grand ressort si puissant dans la république, et si négligé jusqu'ici. L'on me dira qu'il ne suffit pas de ne donner la couronne qu'à des Polonois pour lever les difficultés dont il s'agit: c'est ce que nous verrons toutà-l'heure après que j'aurai proposé mon expédient. Cet expédient est simple; mais il paroitra d'abord manquer le but que je viens de moi-même, quand j'aurai dit qu'il consiste à faire entrer le sort dans l'élection des rois. Je demande en grace qu'on me laisse le temps de m'expliquer, ou seulement qu'on me relise avec attention.

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Car si l'on dit: Comment s'assurer qu'un roi tiré au sort ait les qualités requises pour remplir dignement sa place? on fait une objection que j'ai déja résolue, puisqu'il suffit pour cet effet que le roi ne puisse être tiré que des sénateurs à vie; car puisqu'ils seront tirés eux-mêmes de l'ordre des gardiens des lois, et qu'ils auront passé avec honneur par tous les grades de la république, l'épreuve de toute leur vie et l'approbation publique dans tous les postes qu'ils auront remplis seront des garants suffisants du mérite et des vertus de chacun d'eux.

Je n'entends pas néanmoins que même entre les sénateurs à vie le sort décide seul de la préférence ce seroit toujours manquer en partie le grand but qu'on doit se proposer. Il faut que le

sort fasse quelque chose, et que le choix fasse beaucoup, afin d'un côté d'amortir les brigues et les menées des puissances étrangères, et d'engager de l'autre tous les palatins par un si grand intérêt à ne point se relâcher dans leur conduite, mais à continuer de servir la patrie avec zéle pour mériter la préférence sur leurs concurrents.

J'avoue que la classe de ces concurrents me paroit bien nombreuse, si l'on y fait entrer les grands castellans, presque égaux en rang aux palatins par la constitution présente; mais je ne vois pas quel inconvénient il y auroit à donner aux seuls palatins l'accès immédiat au trône. Cela feroit dans le même ordre un nouveau grade que les grands castellans auroient encore à passer pour devenir palatins, et par conséquent un moyen de plus pour tenir le sénat dépendant du législateur. On a déja vu que ces grands castellans me paroissent superflus dans la constitution. Que néanmoins, pour éviter tout grand changement, on leur laisse leur place et leur rang au sénat, je l'approuve. Mais dans la graduation que je propose, rien n'oblige de les mettre au niveau des palatins; et comme rien n'en empêche non plus, on pourra sans inconvénient se décider pour le parti qu'on jugera le meilleur. Je suppose ici que ce parti préféré sera d'ouvrir aux seuls palatins l'accès immédiat au trône.

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