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seroit celle de votre étendue. Vos vastes provinces ne comporteront jamais la sévère administration des petites républiques. Commencez par resserrer vos limites si vous voulez réformer votre gouvernement. Peut-être vos voisins songent-ils à vous rendre ce service. Ce seroit sans doute un grand mal pour les parties démembrées; mais ce seroit un grand bien pour le corps de la nation.

Que si ces retranchements n'ont pas lieu, je ne vois qu'un moyen qui pût y suppléer peut-être; et, ce qui est heureux, ce moyen est déja dans l'esprit de votre institution. Que la séparation des deux Polognes soit aussi marquée que celle de la Lithuanie: ayez trois états réunis en un. Je voudrois, s'il étoit possible, que vous en eussiez autant que de palatinats. Formez dans chacun autant d'administrations particulières. Perfectionnez la forme des diétines, étendez leur autorité dans leurs palatinats respectifs; mais marquez-en soigneusement les bornes, et faites que rien ne puisse rompre entre elles le lien de la commune législation, et de la subordination au corps de la république. En un mot, appliquez-vous à étendre et perfectionner le système des gouvernements fédératifs, le seul qui réunisse les avantages des grands et des petits états, et par là le seul qui puisse vous convenir. Si vous négligez ce conseil, je doute que jamais vous puissiez faire un bon ouvrage.

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Je n'entends guère parler de gouvernement sans trouver qu'on remonte à des principes qui me paroissent faux ou louches. La république de Pologne, a-t-on souvent dit et répété, est composée de trois ordres; l'ordre équestre, le sénat, et le roi. J'aimerois mieux dire que la nation polonoise est composée de trois ordres : les nobles, qui sont tout; les bourgeois, qui ne sont rien; et les paysans, qui sont moins que rien. Si l'on compte le sénat pour un ordre dans l'état, pourquoi ne compte-t-on pas aussi pour tel la chambre des nonces, qui n'est pas moins distincte, et qui n'a pas moins d'autorité? Bien plus; cette division, dans le sens même qu'on la donne, est évidemment incompléte; car il y falloit ajouter les ministres qui ne sont ni rois, ni sénateurs, ni nonces, et qui, dans la plus grande indépendance, n'en sont pas moins dépositaires de tout le pouvoir exécutif. Comment me fera-t-on jamais comprendre que la partie, qui n'existe que par que par le tout, forme pourtant, par rapport au tout, un ordre indépendant de lui? La pairie, en Angleterre, attendu qu'elle est hé

réditaire, forme, je l'avoue, un ordre existant par lui-même. Mais en Pologne, ôtez l'ordre équestre, il n'y a plus de sénat, puisque nul ne peut être sénateur s'il n'est premièrement noble polonois. De même il n'y a plus de roi, puisque c'est l'ordre équestre qui le nomme, et que le roi ne peut rien sans lui: mais ôtez le sénat et le roi, l'ordre équestre et par lui l'état et le souverain demeurent en leur entier; et dès demain, s'il lui plaît, il aura un sénat et un roi comme auparavant. Mais, pour n'être pas un ordre dans l'état, il ne s'ensuit pas que le sénat n'y soit rien; et quand il n'auroit pas en corps le dépôt des lois, ses membres, indépendamment de l'autorité du corps, ne le seroient pas moins de la puissance législative, et ce seroit leur ôter le droit qu'ils tiennent de leur naissance que de les empêcher d'y voter en pleine diete toutes les fois qu'il s'agit de faire ou de révoquer des lois; mais ce n'est plus alors comme sénateurs qu'ils votent, c'est simplement comme citoyens. Sitôt que la puissance législative parle, tout rentre dans l'égalité; toute autre autorité se tait devant elle; sa voix est la voix de Dieu sur la terre. Le roi même, qui préside à la diéte, n'a pas alors, je le soutiens, le droit d'y voter s'il n'est noble polonois.

On me dira sans doute ici que je prouve trop, et que si les sénateurs n'ont pas voix comme tels

à la diète, ils ne doivent pas non plus l'avoir comme citoyens, puisque les membres de l'ordre équestre n'y votent pas par eux-mêmes, mais seulement par leurs représentants, au nombre desquels les sénateurs ne sont pas. Et pourquoi voteroient-ils comme particuliers dans la diéte, puisque aucun autre noble, s'il n'est nonce, n'y peut voter? Cette objection me paroît solide dans l'état présent des choses; mais quand les changements projetés seront faits, elle ne le sera plus, parce qu'alors les sénateurs eux-mêmes seront des représentants perpétuels de la nation, mais qui ne pourront agir en matière de législation qu'avec le concours de leurs collègues.

Qu'on ne dise donc pas que le concours du roi, du sénat et de l'ordre équestre est nécessaire pour former une loi. Ce droit n'appartient qu'au seul ordre équestre, dont les sénateurs sont membres comme les nonces, mais où le sénat en corps n'entre pour rien. Telle est ou doit être en Pologne la loi de l'état : mais la loi de la nature, cette loi sainte, imprescriptible, qui parle au cœur de l'homme et à sa raison, ne permet pas qu'on resserre ainsi l'autorité législative, et que les lois obligent quiconque n'y a pas voté personnellement comme les nonces, ou du moins par ses représentants comme le corps de la noblesse. On ne viole point impunément cette loi sacrée; et l'état de

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foiblesse où une si grande nation se trouve réduite, est l'ouvrage de cette barbarie féodale qui fait retrancher du corps de l'état sa partie la plus nombreuse, et quelquefois la plus saine.

A Dieu ne plaise que je croie avoir besoin de prouver ici ce qu'un peu de bon sens et d'entrailles suffisent pour faire sentir à tout le monde! Et d'où la Pologne prétend-elle tirer la puissance et les forces qu'elle étouffe à plaisir dans son sein? Nobles Polonois, soyez plus, soyez hommes : alors seulement vous serez heureux et libres; mais ne vous flattez jamais de l'être tant que vous tiendrez vos frères dans les fers.

Je sens la difficulté du projet d'affranchir vos peuples. Ce que je crains n'est pas seulement l'intérêt mal entendu, l'amour-propre et les préjugés des maîtres. Cet obstacle vaincu, je craindrois les vices et la lâcheté des serfs. La liberté est un aliment de bon suc, mais de forte digestion; il faut des estomacs bien sains pour le supporter. Je ris de ces peuples avilis qui, se laissant ameuter par des ligueurs, osent parler de liberté sans même en avoir l'idée, et, le cœur plein de tous les vices des esclaves, s'imaginent que, pour être libres, il suffit d'être des mutins. Fière et sainte liberté! si ces pauvres gens pouvoient te connoître, s'ils savoient à quel prix on t'acquiert et te conserve; s'ils sentoient combien tes lois sont plus austères que n'est

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