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Ainsi, les insurrections mêmes avoient en Pologne une forme légale. Mais dans les assemblées qui en étoient la suite, le droit du liberum veto restoit suspendu, la pluralité des suffrages alors faisoit loi; et c'étoit ainsi que ce droit de confédération, dont l'exercice étoit de nature à mettre le comble au désordre, étoit souvent ce qui contribuoit le plus efficacement à le faire cesser. Au reste, la confédération une fois dissoute, tous ces réglements cessoient avec elle; pour qu'ils devinssent des lois, il falloit qu'ils reçussent la sanction d'une diete unanime; et la république reprenoit sa forme accoutumée.

« Dans cet état des choses un roi électif, qui ne battoit point monnoie, qui ne faisoit point la guerre en personne, qui ne pouvoit ni la déclarer ni faire aucun traité, ni même se marier sans l'aveu de la diéte, dont les actes administratifs se réduisoient à des nominations et des concessions qu'il ne pouvoit révoquer, et dont les revenus ne suffisoient guère qu'à la dépense de sa table, n'avoit sans doute qu'une ombre de pouvoir réel; mais ces nominations et concessions en si grand nombre, et dont on a vu plus haut que le droit lui appartenoit exclusivement, lui donnoient une force d'opinion et une influence bien en contraste avec l'esprit dont les nobles polonois étoient constamment animés, et c'est ce qui explique, d'une part, pourquoi à chaque élection cette couronne étoit si ardemment briguée et poursuivie; de l'autre, pourquoi le droit du liberum veto, celui de confédération, et toutes les autres entraves données à l'autorité royale, s'établirent successivement pour en balancer la puissance.

Chaque élection en effet étoit toujours l'époque des restrictions nouvelles mises à une autorité déja si bornée, restrictions que le prince nouvellement élu juroit de respecter, ainsi que toutes les lois fondamentales de la république, désignées généralement sous le nom ae pacta conventa.

« Les effets naturels d'un état politique ainsi constitué sont faciles à concevoir, et on ne peut qu'en croire l'historien moderne qui nous trace ainsi le tableau de l'état intérieur de la Pologne à l'époque même où Rousseau rêvoit pour elle ce que la force des choses rendoit impossible à réaliser. « La république, dit Rul«hière, presque toujours destituée d'une autorité «<législative et souveraine, se trouva dans une impuis<< sance absolue de suivre les progrès que l'administra«<tion commençoit à faire dans la plupart des autres « pays. Tout ce qui exigeoit des dépenses continues « devint impraticable... Les grands établissements qui << annoncent la perfection des arts, et les soins toujours « actifs du gouvernement, ne purent seulement pas « être proposés... Les Polonois, dont les mœurs sont <«< faciles, adoptèrent chacun séparément une partie de «< ces progrès rapides que le luxe et la société faisoient chez les autres peuples; mais ils n'admirent aucun « de ceux que faisoit l'administration publique. De « tant de changements introduits en Europe, la poli« tesse et le luxe furent les seuls qui s'introduisirent parmi eux. » Hist. de l'anarchie de Pologne, tom. 1, p. 49 et 127.

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« La Russie, qui dès 1733 avoit imposé par la force Auguste III, pour roi à la Pologne, réussit par le même

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moyen à faire décider en 1764 l'élection de Stanislas Poniatowski son successeur. Celui-ci, dont le titre le plus signalé pour obtenir cette couronne étoit d'avoir été l'amant de Catherine II, étoit déja sous ce rapport doublement odieux aux Polonois. Le caractère et les actes de ce souverain, et l'ascendant toujours plus marqué de sa protectrice, n'étoient pas propres à affoiblir cette impression, et avoient décidé la formation de plusieurs confédérations particulières, toujours vainement dissipées par les armées russes, et qui se réunirent en 1768 en une confédération générale formée à Bar en Podolie. Ces confédérés réussirent à faire soulever les Turcs contre les Russes; mais la guerre entre les deux empires fut désastreuse pour les Turcs, et n'accabla pas moins les confédérés. Ceux-ci néanmoins profitèrent pour se soutenir de l'épuisement où cette guerre avoit jeté la Russie, et des embarras que lui suscitoit la cour de Vienne : c'est dans le cours des hostilités commencées sur la fin de 1768, et de la suspension d'armes dont elles furent suivies en 1771, que, se flattant d'un avenir plus heureux, ils songèrent à asseoir sur de plus sûrs fondements le bonheur de leur patrie.

« Comme s'il n'eût pas existé chez cette nation malheureuse assez d'éléments d'anarchie et de dissolution, le fanatisme religieux en avoit introduit encore un autre en faisant naître parmi les Polonois une classe de dissidents. On désignoit ainsi les nobles attachés soit à l'Église grecque, soit à la réforme, et ils étoient en assez grand nombre. Mais la cour de Rome avoit conservé en Pologne tout son empire, et la superstition

s'y montroit dans tous ses excès. Profitant de cette disposition, les nobles catholiques en grande majorité s'obstinoient à n'accorder aux dissidents aucuns droits politiques, et ils étoient en effet parvenus à les exclure de tous les emplois. Les dissidents avoient formé, pour le soutien de leurs droits, des confédérations particulières en opposition, même en guerre ouverte avec la confédération générale, et la Pologne fut en proie à leurs dévastations réciproques. Ces confédérés de Bar, dont nous verrons Jean-Jacques exalter les vertus patriotiques, avoient des étendards qui représentoient la vierge Marie et l'enfant Jésus; ils portoient, comme les croisés du moyen âge, des croix brodées sur leurs habits, prêts à vaincre ou mourir pour la défense de la religion et de la liberté. C'est du prétexte de défendre les intérêts des dissidents et de les faire réintégrer dans leurs droits que Catherine coloroit ses vues d'envahissement, se donnant encore par là aux yeux des gens de lettres françois dont elle recherchoit l'approbation, le mérite de combattre le fanatisme en Pologne, et d'y prêcher la tolérance les armes à la main. Le résultat de ce beau zéle ne fut autre que l'oubli total des dissidents et de leurs demandes et de leurs droits, dont il ne fut pas même question dans les actes définitifs qui firent cesser pour quelque temps les troubles de la Pologne.

CONSIDÉRATIONS

SUR

LE GOUVERNEMENT DE POLOGNE.

CHAPITRE I.

État de la question.

Le tableau du gouvernement de Pologne fait par M. le comte de Wielhorski, et les réflexions qu'il y a jointes, sont des pièces instructives pour quiconque voudra former un plan régulier pour la refonte de ce gouvernement. Je ne connois personne plus en état de tracer ce plan que lui-même, qui joint aux connoissances générales que ce travail exige, toutes celles du local, et des détails particuliers, impossibles à donner par écrit, et néanmoins nécessaires à savoir pour approprier une institution au peuple auquel on la destine. Si l'on ne connoît à fond la nation pour laquelle on travaille, l'ouvrage qu'on fera pour elle, quelque excellent qu'il puisse être en lui-même, péchera toujours par l'application, et bien plus encore lorsqu'il s'agira d'une nation déja tout instituée, dont les goûts, les mœurs, les préjugés

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