Page images
PDF
EPUB

quablement présenté des chances, qui pouvaient nous rendre tous les avantages que ce mouvement paraissait nous faire perdre. S'ils ne bougeaient pas, les opérations de la journée du 18 se bornaient à la jonction pure et simple des Anglais et des Prussiens. L'armée était sauvée, mais le but qui avait fait commencer les hostilités était manqué. Cette considération était déjà d'un grand poids, car dans la situation équivoque où se trouvait le gouvernement impérial, il n'y avait que de grands succès qui pussent le consolider (*). Un mouvement rétrograde le 18, détruisait tous les résultats qu'on avait espérés de la victoire du 16; et une guerre défensive, qui aurait pu être bonne, si on s'y était décidé dès le premier instant, devenait dangereuse, lorsqu'elle était commandée par le renversement de toutes les combinaisons offensives. Cette considération aurait cependant cédé à la nécessité de ne pas exposer à la destruction, la seule armée organisée que la France eût alors. Mais rien ne détruisait encore l'espérance de voir arriver le maréchal Grouchy à Saint-Lambert; il pouvait avoir passé la Dyle à Limale et même à Moustiers, et cette probabilité expliquait

(*) La correspondance d'un de ses ministres qui joua un grand rôle peu après, avec le prince de Metternich, avait déjà ouvert les yeux à Napoléon, sur les trames qui s'ourdissaient jusque dans son conseil. Il sentait que la victoire seule pouvait donner une direction unique à l'esprit public, et faire disparaître les dangers dont il était menacé, autant par les menées de quelques-uns des agens mêmes qu'il employait, que par les intrigues du parti qui préparait sa chute.

encore pourquoi le mouvement de Bülow, de Wavre à Saint-Lambert, n'avait pas été arrêté.

er

Quelques personnes prétendent que Napoléon aurait dû, dès qu'il connut la marche de Bülow, changer sa ligne d'opérations et la transporter sur la route de Nivelles. Il est certain que ce mouvement pouvait se faire sans danger. Il suffisait de faire passer le 6° corps à gauche, et de rapprocher le 1o de la route de Nivelles; les parcs et les équipages, qui étaient à Genappe, pouvaient facilement gagner Nivelles; l'armée française s'éloignait des Prussiens, en même temps qu'elle débordait la position des Anglais, et le château de Goumont tombait de lui-même, dès que les hauteurs en arrière étaient enlevées. Le général Gourgaud nous dit que Napoléon balança s'il ne prendrait pas ce dernier parti (*); nous en doutons, et cela par les réflexions mêmes qu'il ajoute un peu plus bas. En effet, le corps du maréchal Grouchy se trouvait tout-à-fait isolé, et toutes les communications entre cette aile droite et le reste de l'armée étaient abandonnées. Le corps de Bülow, dégagé, suffisait pour contenir Grouchy dans les défilés de Saint-Lambert, et le reste de l'armée prussienne arrivait sans obstacle sur la gauche des Anglais. Il pouvait même arriver que le corps du maréchal Grouchy, engagé au milieu de l'armée prussienne, éprouvât une défaite totale. Pouvait

(*) Page 118.

on se décider légèrement à sacrifier une portion aussi considérable de la seule armée qui fût alors sur pied? D'un autre côté, en forçant l'aile droite des Anglais et la rebouchant sur le centre et même sur l'aile gauche, on la jetait au-devant des Prussiens, et l'on hâtait la jonction. Les plus grands avantages qu'on pouvait espérer, n'auraient donc conduit qu'à une victoire tactique, dont le résultat aurait été une retraite forcée sur Nivelles et sur Mons. Comment alors communiquer avec le maréchal Grouchy, lui faire parvenir des ordres de retraite, et lui indiquer un point de réunion? L'empereur Napoléon prit un parti mitoyen. Ce fut celui de suspendre l'offensive à son aile droite, de jeter le 6o corps au-devant de Bülow, et de se rendre maître de la communication de ce dernier avec les Anglais. Il fallut joindre une division de la garde au 6 corps; mais alors Bülow fut contenu, et bientôt après, la division Durutte ayant emporté Smohain, le général prussien se vit forcé à un mouvement rétrograde. Il était donc évident que toutes les forces des Prussiens avaient été engagées sur ce point. Il était six heures; la lutte, qui durait depuis midi, devenait d'instant en instant plus sanglante; il était temps de la terminer. C'est peut-être ici que l'on peut accuser Napoléon d'un peu d'hésitation. Nous suivons en cela l'opinion de quelques généraux expérimentés, qui étaient sur le champ de bataille. Il est nécessaire, pour mettre le lecteur en état de juger, de

er

rapporter son attention sur la situation de la battaille contre les Anglais, et particulièrement sur une circonstance, dont les conséquences se sont développées plus tard. Le maréchal Ney avait, d'après l'ordre qu'il reçut, arrêté le mouvement offensif du 1 corps et rendu le combat stationnaire devant l'aile gauche anglaise. Vers cinq heures du soir, l'ennemi attaqua à son tour. La défense courageuse du 1" corps, et une charge de cavalerie de celui de Milhaud l'arrêtèrent. Mais la cavalerie de la garde, que Napoléon avait déjà portée en avant (page 36), suivit le mouvement des cuirassiers. Il ne paraît pas qu'il y ait eu un ordre positif donné à cet égard, ni par Napoléon, ni par le maréchal Ney; le mouvement fut spontané, et tint à ce que l'absence du duc de Trévise, resté en arrière pour cause de maladie, avait privé la garde d'un chef supérieur, qui en dirigeât les opérations. Quoi qu'il en soit, non-seulement la cavalerie de la garde échappa à Napoléon, mais il fut obligé de faire soutenir les trois divisions qui déjà étaient sur le plateau de la Haye-Sainte, exposées à un feu meurtrier et menacées par plus de dix mille chevaux ennemis, de les faire soutenir, dis-je, par les deux divisions du comte de Valmy. Le maréchal Ney a été accusé par le général Gourgaud (*), d'avoir imprudemment débouché sur le plateau de la Haye-Sainte. Cette accusation mérite d'être

(*) Ouvrage cité, page 97.

examinée, par l'influence que cet emploi de la cavalerie eut sur le sort de la journée. D'abord il n'existe aucune preuve que le maréchal Ney ait disposé de la cavalerie de la garde, qui n'était pas sous ses ordres. On ne peut donc attribuer qu'à un zèle de valeur mal entendu l'empressement que cette cavalerie mit à suivre les cuirassiers de Milhaud. Quant à ces derniers, le maréchal Ney ne pouvait pas se dispenser de s'en servir, pour couvrir sa gauche, séparée du 2o corps par une assez grande distance, et qui pouvait être de nouveau menacée par une attaque de flanc. Le 2o corps était arrêté par le château de Goumont, devant lequel il était à peu près entassé. Le maréchal Ney, en se maintenant à la Haye-Sainte, n'avait pas fait un pas en avant de la position qu'il occupait depuis trois heures; il n'avait fait que l'assurer par les seules troupes dont il pût disposer.

Dans cette situation, le parti qu'avait à prendre l'empereur Napoléon, était celui de profiter du relâche que lui donnait la suspension de l'attaque de Bülow, pour porter un grand coup sur le centre des Anglais. Il fallait pour cela porter le 2o corps et toute la garde sur le plateau de la Haye-Sainte, par un mouvement rapide. Cette attaque aurait dû avoir lieu avant sept heures. Il suffisait de laisser une seule division devant Goumont, dont la perte même n'aurait été d'aucune conséquence, şi l'attaque principale réussissait. Malgré les pertes déjà faites par le 2 corps, Napoléon pouvait

« PreviousContinue »