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dès-lors entraîner la perte de la bataille. Il ordonna au comte de Valmy de se porter en avant, avec son corps, pour la soutenir. Les deux divisions accoururent au galop. La cavalerie de réserve de la garde suivit ce mouvement, sans en avoir cependant reçu l'ordre. Dans le moment où ces divisions arrivèrent sur le plateau, la cavalerie anglaise et hollandaise venait d'arrêter la eharge des cuirassiers de Milhaud, et de les forcer de se replier à côté du premier corps. Ce dernier se trouvait cependant engagé sur toute sa ligne (28), et son feu, bien nourri, portait le ravage dans les rangs ennemis; sa gauche était maîtresse de la Haye-Sainte, et repoussait de là une nouvelle tentative que fit l'ennemi pour s'emparer de ce poste (*).

L'arrivée des deux divisions du comte de Valmy, et de celle du général Guyot, ranima le combat; la cavalerie ennemie fut repoussée à son tour, et la nôtre couronna de nouveau le plateau. Là s'alluma un combat dont il n'y a peut-être pas d'exemple dans l'histoire, tant à cause de son acharnement, que de la disposition des troupes. Les régimens ennemis étaient formés en carrés, qui furent attaqués tour à tour

(*) Un des romanciers anglais dont nous avons déjà parlé, place ici l'aventure merveilleuse du colonel Halkett, commandant une brigade de la division Clinton, qui se porta seul sur une colonne française, et fit prisonnier le général qui était à sa téte. Nous la renverrons à un mélodrame pour orner le rôle du capitan.

et en tous sens par notre cavalerie. Au milieu de ces carrés, furent fournies et reçues plusieurs charges des escadrons français, hollandais et anglais, souvent entremêlés. Dès que notre cavalerie s'éloignait d'un carré ennemi, pour se remettre en ligne, il se déployait pour recommencer son feu; s'approchait-elle de nouveau, le carré se reformait. De temps à autre une charge heureuse entamait un carré; trois même furent enfoncés et détruits. La brigade du général Halkett (m) reçut à elle seule onze charges; le carré du 69° régiment anglais fut taillé en pièces, et les deux tiers des autres couchés par terre. Ce combat effrayant dura, dans le même état, jusqu'à sept heures du soir. Le duc de Wellington, le prince d'Orange et lord Uxbridge, au milieu de cette mêlée, obligés de s'enfermer eux-mêmes à chaque instant, dans un carré, ne pouvaient qu'encourager leurs troupes à tenir ferme, malgré leurs pertes énormes; il n'était pas possible de faire aucune disposition: un déploiement aurait entraîné la déroute de l'armée. Jamais la situation d'un général n'avait été plus critique, que ne l'était en ce moment celle du duc de Wellington. Il était temps que le secours des Prussiens vint l'en tirer. Ne pouvant pas, pendant que la cavalerie française était tout contre ses lignes, atteignant partout par des charges sans relâche, faire un mouvement ni en avant ni arrière, la fermeté, ou, disons mieux, l'im

mobilité était le seul moyen de salut qui lui restât. Il fallait supporter tous ces chocs, dans l'espoir qu'il lui resterait encore quelques hommes debout à l'arrivée des Prussiens. Toutes ses réserves étaient engagées, même la division Chassé, qui avait été obligée d'entrer en ligne. La division Picton, foudroyée par l'artillerie du premier corps, voyait ses carrés se fondre et disparaître l'un après l'autre. On vint dire à Wellington, vers sept heures, que cette division n'avait plus que quatre cents hommes dans les rangs : « Il «faut qu'ils restent en place jusqu'au dernier «homme, fut la seule réponse qu'il pût leur donner. La division Alten était épuisée des efforts qu'elle avait à soutenir. Le général VanMerlen était tué, avec les commandans de brigade Ompteda et Duplat; les généraux Alten, Collaert, Kempt, Pack, Halkett, Adams, Doernberg, Bylandt, blessés. Les batteries de la première ligne étaient réduites au silence; celles de la seconde, à chaque instant abandonnées pour sauver les canonniers dans les carrés. Ce fut dans ce moment terrible que l'angoisse de sa position, et la douleur d'un carnage pareil lui arracha des larmes, et cette exclamation du désespoir : « Il faut en« core quelques heures pour tailler en pièces «ces braves gens. Plût au ciel que la nuit ou « les Prussiens arrivassent avant! » Près de quinze mille hommes de l'armée anglo-batave étaient tués ou blessés; un grand nombre d'autres s'é

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tait employé à transporter les blessés, et un bien plus grand nombre avait quitté les rangs, entraîné par la frayeur. Dès la première attaque du 1 corps, tous les bagages qui étaient sur la route de Bruxelles, s'étaient enfuis à vau-de-route, à travers la forêt de Soigne. La terrible attaque des deux corps de cavalerie ý jeta les fuyards des troupes combattantes. La grande route et les chemins latéraux présentaient l'image du plus affreux désordre; couverte des décombres de voitures brisées, elle était encore obstruée d'hommes de toutes armes, blessés ou non, qui allèrent porter l'épouvante à Bruxelles et jusqu'à Anvers. A sept heures du soir, il restait à peine au duc de Wellington trente mille hommes dans les rangs. Lui-même comptait alors si peu sur la victoire, qu'il ordonna de faire rétrograder sur Anvers la batteric de dix-huit, qui devait joindre son armée, et qui avait déjà dépassé Malines. Les fuyards, qui encombraient cette route, jetèrent le désordre dans le convoi, et une partie des. pièces fut jetée dans le canal. Qu'il nous soit permis de rendre hommage à la valeur des divisions de cavalerie française, qui soutinrent une aussi brillante lutte, pendant ces deux sanglantes heures. Atteintes de toutes parts par le feu des bataillons ennemis, au milieu desquels elles promenaient la terreur et la mort, elles ne se rebutèrent pas un instant de la continuité de leurs efforts, ni des pertes nombreuses qu'elles firent.

Cependant Bülow avait continué son mouvement en avant, dès que les 13 et 14° divisions de son corps furent à sa portée, et, poussant devant lui la ligne de nos tirailleurs et notre cavalerie légère, avait abordé le 6o corps. Le combat s'engagea et se soutint de pied ferme; même une charge de notre cavalerie repoussa celle de l'ennemi devant Planchenoit. Vers cinq heures et demie, les 13° et 14° divisions prussiennes ayant rejoint, Bülow déploya tout son corps sur deux lignes (29) par divisions; la 15° et la 13° à droite, la 16° et la 14° à gauche. Il débordait ainsi le 6 corps, et le comte de Lobeau se vit obligé, pour couvrir sa droite, de faire occuper Planchenoit. Le général Bülow, de son côté, fit alors former en colonnes d'attaque la 16o division, et la porta sur Planchenoit, qu'il fit attaquer par six bataillons. Le faible détachement du 6o corps, qui défendait ce village, soutint le choc avec la plus grande valeur, et l'ennemi ne put s'emparer que des maisons avancées; ses efforts échouèrent à l'attaque du cimetière. L'empereur Napoléon, attentif à ce qui se passait à sa droite, avait aperçu le déploiement de Bülow; il avait sur-le-champ envoyé la division Duhesme (jeune garde), avec deux bataillons de la moyenne garde et une batterie de douze de la réserve, pour prolonger la ligne du 6o corps. La tête de la colonne de la jeune garde porta sur Planchenoit et en chassa l'en

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