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tion qui venait d'être prise. Napoléon répondit : « Je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez. Je désire que mon abdication puisse « faire le bonheur de la France, mais je ne l'espère « pas; elle laisse l'état sans chef, sans existence politique. Le temps perdu à renverser la mo<«<narchie aurait pu être employé à mettre la « France en état d'écraser l'ennemi. Je recom« mande à la France de renforcer promptement « les armées : qui veut la paix doit se préparer à « la guerre. Ne mettez pas cette grande nation à la « merci des étrangers; craignez d'être déçus de vos espérances: c'est là qu'est le danger. Dans quel« que position que je me trouve, je serai toujours bien, si la France est heureuse. Je recom«mande mon fils à la France. J'espère qu'elle n'oubliera point que je n'ai abdiqué que pour « lui. Je l'ai fait aussi, ce grand sacrifice, pour le « bien de la nation; ce n'est qu'avec ma dynastie qu'elle peut espérer d'être libre, heureuse et «< indépendante (*). »

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A quatre heures la chambre reprit sa séance, et on passa au scrutin, pour la nomination des membres du gouvernement provisoire. Les noms de Carnot et de Fouché sortirent au premier tour, celui de Grenier, au second. Jusque vers trois heures la majorité de la chambre était dé

(*) Mémoires pour servir à l'histoire de la vie privée, etc., de Napoléon en 1815, par M. Fleury. Londres, 1820. Tome 11, page 234.

cidée en faveur du parti à la tête duquel on avait mis M. de Lafayette. Si elle avait persisté dans sa première ligne de conduite, il n'y a pas de doute que l'indépendance nationale aurait été sauvée, et que des garanties certaines nous auraient évité les agitations et les réactions déplorables qui ont suivi. Rien n'était plus facile, si l'on avait voulu; car il suffisait de défendre Paris jusqu'à l'arrivée des souverains. Aussi menaçans qu'aient été Blücher et Wellington, ils n'auraient pas dévoré la capitale et deux cent mille hommes qui pouvaient la défendre, avant l'arrivée de l'armée russe: alors tout était gagné. Mais après quatre heures, les intrigues du ministre de la police prévalurent. Lafayette, dont on n'avait plus besoin, fut écarté, et bientôt après éloigné, et Fouché se plaça dans le gouvernement, dont il était certain d'obtenir la présidence. Dès-lors, ainsi que nous le verrons plus bas, tout fut combiné de manière à ce que Paris fût rendu avant l'arrivée des autres armées coalisées. La chambre des pairs s'était assemblée à une heure et demie, et avait reçu peu après le message relatif à l'abdication de l'empereur Napoléon. Le ministre de l'intérieur ayant ensuite fait part des détails contenus dans la dépêche du maréchal Soult (voyez ci-dessus), le maréchal Ney s'éleva avec force contre les assertions qu'elle contenait, et qu'il déclara fausses. Selon lui, le maréchal Grouchy avait, tout au plus, pu rallier huit mille hommes, et le maré

chal Soult, rien du tout. Une discussion très-vive s'alluma entre le maréchal Ney, le ministre de l'intérieur et le général Flahaut; mais le premier persista dans son opinion. Il est pénible de penser que l'irritation, contre des inculpations injustes, ait pu porter le maréchal Ney à une discussion aussi dangereuse, et qui manquait de fondement. L'effet en fut bien funeste, en ce qu'il contribua puissamment à paralyser l'énergie nationale et à abattre tous les courages Dans le cours de cette même séance, la chambre des pairs adopta la résolution des représentans, au sujet de l'abdication, et nomma les deux autres membres du gouvernement provisoire, qui furent le ministre des relations extérieures et M. Quinette.

Ainsi finit cette journée mémorable, dont les suites ont été d'une si haute importance. Nous ne pouvons pas cependant terminer ce chapitre sans examiner, en peu de mots, quelques propositions qui se trouvent dans un ouvrage qui a paru, il y a quelque temps. L'auteur nous dit d'abord qu'il ne restait à l'empereur que trois partis à prendre le premier, d'ajourner les chambres, en employant la force militaire, ce qu'il appelle faire rentrer la chambre dans le cercle constitutionnel; le second, de caresser la faction qui menait les chambres, et de la laisser s'emparer de l'autorité, et envoyer aux coalisés des plénipotentiaires pour traiter de la paix en son nom; le troisième était d'abdiquer en faveur de son fils.

Ces propositions, et les réflexions qui les accompagnent nous paraissent mériter quelques observations. Nous répéterons encore que rien ne nous paraît prouver, avec quelque degré d'évidence, que Napoléon voulût prendre le premier parti. Mais quand il l'aurait voulu, l'effet que produisit le bruit seul d'une mesure pareille, avait dû lui prouver qu'il faudrait verser des torrens de sang pour y parvenir. Et les conséquences! elles sont tout entières dans les expressions effrayantes qu'on lit dans le même ouvrage : « Encore fallait« il être prêt à se porter aux actes les plus arbi« traires et les plus terribles. Dictateur, il fallait « gouverner par la hache du licteur, et par l'im

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pulsion d'une populace furieuse qu'il fallait dé«< chaîner. » Nous n'ajouterons aucune réflexion à des principes peu propres à servir celui pour lequel leur auteur a écrit. L'auteur nous dit que le second parti ne valait rien, parce que, « cons« tans dans leur politique fallacieuse, les souve« rains alliés flatteraient les députés des chambres, «et, sûrs de n'être plus arrêtés dans leurs pro«jets de conquête et de spoliation, aussitôt qu'ils « auraient écarté le seul homme qui pût y mettre « obstacle, ils promettraient tout, à condition que « Napoléon fût éloigné du timon de l'état. » L'événement a donné à cette opinion un air prophétique; mais il paraît que le 21 juin, ce n'était pas celle du conseil de Napoléon, puisqu'il fit annoncer aux chambres qu'il allait traiter en son nom.

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Enfin, quoiqu'on nous dise que Napoléon balança seulement entre le premier parti et le troisième, les faits nous démontrent le contraire. Soit que le premier ait été écarté d'abord ou jugé impraticable, il n'en est pas moins constant que la délibération arrêtée par la commission réunie, dans la nuit du 21 au 22, et à laquelle il se serait soumis, n'était autre chose que le second parti. La conséquence naturelle était d'en revenir au troisième, et Napoléon s'y soumit encore.

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