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d'une question que les déceptions de la diplomatie avaient enveloppée d'un nuage. Il n'était pas bien difficile de le percer, ce nuage, en prenant pour guide l'intérêt, ce mobile unique des gouvernemens bien plus encore que des hommes. On aurait alors vu que si, je ne dis pas après Waterloo, mais même le 1er avril, un autre homme que Napoléon eût été mis à la tête du gouvernement, les armées coalisées n'en auraient pas moins continué la guerre. Les prétextes n'auraient pas manqué. Le préambule du traité du 20 novembre prouve assez qu'ils auraient alors voulu combattre l'esprit de la Révolution, ou demander des garanties contre l'ambition qu'aurait pu déployer un des chefs de la France, dans les siècles futurs.

Ce qui rendit la bataille de Waterloo si désastreuse pour nous, fut notre situation politique intérieure. Nous avons déjà vu qu'au 20 mars, un élément, pour ainsi dire hétérogène, était venu se lancer au milieu de ceux qui s'accumulaient pour hâter une explosion politique, et leur avait donné une direction inattendue. La cause de la liberté constitutionnelle, qui ne pouvait trouver ni appui ni garantie dans une dictature établie par la force des circonstances, risquait d'être encore une fois compromise. Cependant l'indépendance nationale était menacée, et pour la défendre, il fallait que la cause constitutionnelle triomphât. D'un autre côté, la gloire dont

pu

avait brillé l'empire français, et qu'un nuage avait obscurcir, mais non effacer, semblait être un gage de confiance en faveur du gouvernement de fait, dont la France ne pouvait plus séparer ses destinées. Le voile qui avait couvert les causes des malheurs de 1814 était levé, pour la grande majorité des Français; ces causes, purement politiques, ne suffisaient pas pour diminuer aux yeux de la multitude la confiance qu'inspiraient les trophées accumulés par le même homme, aux soins duquel allait être confiée la défense de la France: jamais la gloire militaire de Napoléon n'avait brillé d'un plus bel éclat que pendant la campagne de 1814. Ces deux sentimens opposés, quoique bien loin d'être incompatibles, furent la cause première de l'état d'incertitude, et presque même d'anxiété, qui s'empara de tous les patriotes éclairés, et qui, un peu plus tard, abattit les âmes les moins fortement trempées. Ils expliquent en même temps la nature du problème que Napoléon avait à résoudre : justifier la confiance d'un côté, en défendant l'indépendance de la France; la mériter de l'autre, en faisant franchement disparaître toutes les traces du gouvernement impérial passé, et donnant à la nation des garanties constitutionnelles inattaquables. Telles étaient les conditions auxquelles seules il pouvait espérer de conserver le trône sur lequel il venait se rasseoir.

Son acte additionnel contenait en lui un triple

défaut. D'abord, en portant sur une hypothèse qui n'existait pas, en prenant pour base un pacte qui avait été déchiré, il mettait la nation en contradiction avec elle-même, et l'entraînait dans un cercle vicieux, dans une véritable pétition de principes. En second lieu il était imparfait, et les limites mal tracées entre cet acte nouveau et d'anciens actes réprouvés par l'opinion publique, lui donnaient une couleur provisoire, peu propre à inspirer la confiance. Enfin c'était une concession, et cette forme, toujours offensante pour un pacte qui ne tire sa validité et ses garanties que du consentement mutuel, tranchait trop despotiquement pour ne pas augmenter les inquiétudes intérieures. Cependant il fallait, pour sauver la France de l'anarchie, que le gouvernement se constituât. L'acte additionnel, malgré tous ses vices, présentait une base constitutionnelle assez large, pour y établir successivement toutes les garanties conservatrices des droits de la nation. La situation critique où se trouvait la France, et le danger imminent dont elle était menacée, nécessitaient de grands efforts de toute espèce. La création et le développement des moyens de défense ne pouvaient point souffrir de retard. Il fallait donc promptement se décider, ou à laisser le gouvernement se prévaloir de la dictature, qu'on lui confirmait en refusant l'acte additionnel, pour les créer lui-même; ou le réduire à des mesures constitutionnelles, en l'obli

geant à réunir promptement une législature. Le choix n'était pas douteux. Pour garantir l'indépendance au dehors et sauver la liberté au dedans, il fallait que le gouvernement reçût de la législature le titre dont il pourrait se prévaloir, pour prendre les mesures qui importaient au salut de l'état. Ces mesures ne pouvaient recevoir un caractère national, que par la sanction du corps législatif: il était par conséquent nécessaire que les représentans de la France, défenseurs-nés des droits nationaux, fussent réunis pour maintenir le gouvernement dans les limites de la constitution, en fixant la nature et les bornes des moyens d'exécution qu'ils mettaient à sa disposition.

L'acte additionnel fut donc accepté, et l'opinion publique ne tarda pas à se prononcer, dans le choix des députés que se nommèrent tous les départemens. Bien peu se montrèrent indignes du mandat, aussi honorable que difficile, qu'ils avaient reçu. Un bien plus petit nombre encore d'ennemis de la patrie s'y glissèrent à la faveur du masque de 93 (*).

Dès ses premières relations avec le gouvernement, et dans son adresse à l'empereur Napoléon, la chambre des représentans avait montré qu'elle

(*) Nous mettrons dans cette classe l'auteur de l'odieuse motion, tendante à faire mettre hors de la loi les parens des Individus qui s'étaient soulevés dans l'ouest, et à détruire leurs maisons: motion qui fut repoussée avec indignation.

n'entendait pas être un instrument passif. Sa marche et son but furent bientôt décidés. Saisissant l'aveu fait par le gouvernement lui-même, de la nécessité de réviser les constitutions de l'empire, et de les coordonner dans un scul acte constitutionnel, elle avait annoncé, dans son adresse même, la résolution de ne pas attendre que le gouvernement prît l'initiative sur un point qui était aussi important. En effet, il résultait du mélange contradictoire des dispositions de l'acte additionnel et des anciens sénatus-consultes, qu'il n'y avait point de pacte fondamental assuré. Pour éviter les désastres de l'anarchie, il n'y avait eu d'autre voie de salut, que celle de se réunir au gouvernement établi de fait. Mais il fallait sortir le plus tôt possible de l'état douteux d'une constitution provisoire, par cela même qu'elle était imparfaite. Cette vérité fut sentie par la majorité de la chambre des représentans, et la détermination de travailler au nouvel acte constitutionnel fut prise, pour ainsi dire, au bruit du canon qui annonçait la victoire de Ligny (*).

Telle était la situation de l'esprit public en France, lorsque la bataille de Waterloo fut livréc. Après avoir vaincment essayé de rallier quelques partics de l'armée à Genappe, Napoléon avait continué sa route sur Charleroi, où il arriva le 19, à cinq heures du matin. Il donna, en passant par

(*) Séance de la chambre des représentans, du 20 juin.

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