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«Alors, quand elle a été partie, à chaque fois que Paul, ou Louis, ou Léon voulaient se mettre à crier, ou bien qu'ils allaient toucher à quelque chose, je leur disais : «Chut! ne criez pas, ça ferait fàcher l'ami « Croquemitaine, » ou bien : «Ne touchez pas; l'ami «Croquemitaine ne serait pas content, et il ne voudrait « plus nous garder. »

« Et même pour les empêcher de crier ou de tomber, je leur ai dit : «Venez. » Et je les ai fait tous asseoir dans un coin. Et alors, tout doucement, tout doucement, j'ai commencé le jeu de pigeon vole.. Vous savez bien : « Pigeon vole! cafetière vole! serin vole! papa << vole ! »>

<« Ça avait bien l'air de ne guère les amuser; mais n'importe, ça les faisait rester tranquilles, c'était tout ce qu'il fallait.

«Voilà que tout d'un coup, en regardant du côté de la maison, je vois l'ami Croquemitaine à la fenêtre.

« Ça me fit peur. Je me dis: « Est-ce qu'il trouve « que nous faisons encore trop de bruit? Ah! alors je << ne saurais pas comment faire. Il faut pourtant que « nous nous amusions à quelque chose. »>

« Mais voilà qu'il m'appelle : « Marguerite! - Plaît-il, l'ami Croquemitaine?

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Viens donc, monte avec ton frère et les autres. « Vous devez vous ennuyer là-bas. Venez, vous regar« derez les images. »

« Voilà que nous montons tous dans sa chambre, dans sa belle chambre; là où il y a toute espèce de belles choses, des armoires brodées, des chaises en bois noir, des tableaux blancs aux murs, et aussi des bêtes blanches, des bonshommes en plàtre sur le buffet, sur la cheminée, des sabres, des chapeaux avec des plumages, des habits de soldats, des pots rouges, verts, des assiettes bleues... Est-ce que je sais ce qu'il n'y a pas ?

«Puis aussi, sur une grande échelle droite, il y avait un grand tableau, d'une belle dame que l'ami Croquemitaine était en train de faire, avec une robe de soie, des cheveux frisés, des manches longues, pointues..!

«Et il y avait aussi Toulou et Titine, qui dormaient sur leurs coussins.

«L'ami Croquemitaine nous donna deux grands livres tout pleins d'images, et il nous dit : « Regardez. >>

« Les autres se mirent à regarder les images, tout contents assis par terre, en disant : « Ça c'est un arbre, « ça c'est un chien. Oh! la belle maison! oh! le dròle « de monsieur ! »

«Mais moi, voyant que l'ami Croquemitaine faisait sa belle dame, je fus me mettre derrière lui, pour bien voir comment il faisait.

-))

--))

« Alors il me dit : « Tu ne regardes donc pas les << images? Non, j'aime mieux regarder comment tu fais. Eh bien! regarde. » «Mais voilà qu'en ce moment les autres se chamaillaient à qui aurait le livre devant soi. Léon tirait d'une part, Paal tirait de l'autre, et Louis pleurait parce qu'il ne pouvait pas voir. Ils faisaient un tapage !... Je leur dis: « Mais taisez-vous donc, vous allez ennuyer l'ami « Croquemitaine. »

« Lui : « Et laisse-les! il faut bien qu'ils s'amusent. »> «Et tout en disant ça, pourtant voilà qu'il se lève, et qu'il frappe du pied, et qu'il crie d'une grosse voix en disant un vilain mot que je ne veux pas dire pour ne

pas faire pleurer le bon Dieu : « Mais vous allez dé«< chirer mon livre! >>

« Et il leur ôte le livre.

«Et il avait frappé du pied et crié si fort, que Léon, et Paul et Louis en avaient ressauté, et qu'ils en étaient tout effrayés; si effrayés, que tous trois à la fois ils se mirent à pleurer, les poings sur les yeux.

« Toutou et Titine s'étaient réveillés, et ils jappaient. «L'ami Croquemitaine leur jeta son bonnet, vlan! Toutou et Titine retournèrent se coucher.

«Moi, voyant que Léon, et Paul et Louis avaient tant de chagrin, je fus vers eux, et je leur dis: « Venez, <«allons-nous-en d'ici; nous ennuyons l'ami Croque<< mitaine. >>

« Et je les poussais, je les emmenais. Ils pleuraient toujours.

«Mais l'ami Croquemitaine vint en courant m'arrêter par le bras en disant :

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- Mais non, mais non, restez donc là. »

« Et comme les autres s'en allaient quand même, en pleurant, il frappa encore du pied en criant : « Mais, << sapristi, resterez-vous là ! »

«Ça les arrêta net, mais ça ne les fit pas taire. « Et l'ami Croquemitaine ramassait son bonnet, et il disait : « Diables d'enfants, va! »

<« Il me dit : « Voyons, Marguerite, console-les; dis« leur que c'est pour rire que je me suis faché. Tiens, « voilà le livre; fais-le-leur regarder. Et s'ils le déchi« rent, eh bien, tant pis! »>

« Alors, moi, je m'assis au milieu de la chambre, et j'ouvris le livre sur mes genoux, et je les appelai : « Venez, nous allons regarder les images tous en<< semble. »>

«Ils se mirent tous autour de moi.

« L'ami Croquemitaine était retourné faire sa belle dame.

«Paul et Louis et Léon avaient fini de pleurer; mais ils n'avaient pas grand plaisir à regarder les images: ils les avaient assez vues. Je dis : « Qu'est-ce que nous « pourrions done faire pour nous amuser sans ennuyer <«<l'ami Croquemitaine ? »

« Léon me dit : « Ah! nous pourrions bien jouer à «cache-cache. Ce serait commode ici; il y a beaucoup « d'endroits, de coins pour se cacher, celui qui le se« rail s'irait mettre là-bas derrière ce grand rideau. » « Je lui dis : « Attends, je vais demander à l'ami «Croquemitaine. >>

«Mais l'ami Croquemitaine avait sûrement entendu ; il dit : « Oui, oui, je veux bien; jouez à cache-cache. » «-Oh! tu sais, que je lui dis, nous ferons tout << doucement, tout doucement, ça ne t'ennuiera pas. Oui, c'est bien ! jouez à cache-cache. »

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« Il voulut bien. Une fois la robe de chambre bien repliée sur moi, je fis : « Coucou ! »

« Et voilà mon Louis qui se met à chercher, à chercher; il ne me trouvait pas. Et je riais. Et l'ami Croquemitaine aussi.

« Pourtant, Louis vit le bout de mes jambes, et il me trouva. Alors, en sortant, je dis à l'ami Croquemitaine, qui riait : « Hein! ça t'amuse, notre jeu. Tu voudrais « peut-être bien jouer avec nous. Oh! nous te voulons! » Et je dis aux autres : «N'est-ce pas, que nous le vou<«lons? Allons, cache-toi, c'est moi qui l'est cette fois. » « Et je m'en fus derrière le rideau. J'entends : «Coucou ! » Je sors, et du premier coup je prends l'ami Croquemitaine. Pardi! il s'était tout bonnement mis contre le tableau de la belle dame.

« Alors il alla derrière le rideau. Je lui dis : « Ne « regarde pas, au moins. >>

«Voilà que nous cherchons des endroits pour nous bien cacher. Moi, j'allai me mettre sous le canapé ; j'entends : « Pouf! patatra ! »

« C'était Léon qui avait voulu monter sur l'armoire brodée, et en grimpant il avait fait tomber une bonne femme en plâtre. Ah! elle était jolie la bonne femme !

des miettes!

«J'entends encore une fois : « Pouf!» et puis encore le vilain mot qui fait peur au bon Dieu. C'était l'ami Croquemitaine qui avait encore frappé du pied, en sortant tout colère de dessous son rideau.

« Mon pauvre Léon avait les deux poings sur les oreilles. Je me disais : « Aïe ! qu'est-ce que l'ami Cro«quemitaine va lui faire? »

«Eh bien, faut croire que l'ami Croquemitaine vit bien que Léon ne l'avait pas fait exprès. Il alla ramasser les miettes de la bonne femme; il les jeta dans la cheminée et il dit : « Ce n'est rien; allons, cachez-vous. « C'est moi qui l'est. »

« Pendant qu'il retournait derrière le rideau, je vis qu'il riait, et qu'il levait les épaules, et qu'il arrangeait tout drôlement son bonnet; je lui dis : « Pourquoi donc «ris-tu, et pourquoi donc lèves-tu les épaules en ar<rangeant ton bonnet? >>

« Il me répondit : « C'est parce que je m'amuse « beaucoup ! »>

« Ça me fit peur.

«Mais voilà encore que comme j'allais crier : « Coucou ! » Louis se met à dire : « Ah! j'ai soif! » « Puis Léon : « Et moi j'ai faim ! »

« Puis Paul: « Moi, je boirais bien aussi. »>

« Moi, je ne disais rien, parce que ce n'est pas honnète de demander comme ça; mais j'avais envie de manger tout de même.

« Alors l'ami Croquemitaine dit : « Eh bien, si vous « avez faim et soif, venez. »

« Et il nous emmena dans la salle à manger, et il mit sur la table tout ce qu'il trouva dans le buffet. Il nous passa à chacun une serviette au cou, et il nous donna à manger, à boire : des cerises, des confitures, du fromage, des biscuits, du beurre, de l'eau rougie, de l'eau sucrée : « Tiens, toi, mange! bois done, toi! »

« Louis s'était bourré de biscuits et de cerises; il n'en pouvait plus ; il faisait : « Ouf! ouf! »

« Alors je dis : « Maintenant il faut aller jouer au

« jardin; nous ferons des rondes. »

«L'ami Croquemitaine a dit : « Oui, allez. »

« Je lui ai dit : «Est-ce que tu en sais des rondes, « toi ? »

« Il m'a répondu : « Non.

((— Oh! si! tu en sais bien ! Viens, tu nous les chan<< teras, et nous les ferons tous ensemble. »

« Et il est venu en disant : « Eh bien, oui, allons, « j'en sais des rondes, je vais vous en chanter. » «Et il s'est mis à nous en chanter. Mais c'étaient les mêmes que nous savions. Je lui ai dit : « Je croyais que << tu en savais d'autres: celles-là nous les savons. >> << Il m'a demandé si je n'étais pas contente de lui pour ses rondes. Je lui ai répondu : « Non. » « Il m'a dit : « Alors, tu me fais de la peine. »>

« Je lui ai répondu : « Voyons, je ne peux pas te dire <« que je suis contente, puisque je ne suis pas contente. «li ne faut pas mentir.

((— - Eh bien! je m'en vas travailler.

- Oui, c'est ça, va travailler. »>

« Et il s'en alla.

<«<Léon venait de trouver une grande corde sur le bane du jardin. Il nous dit : « Jouons au postillon. Je << serai le postillon, vous serez les chevaux.

-))

Oui, jouons. >>

<«Il nous attache tous par le bras avec la corde, il prend une branche à un arbre, pour lui servir de fouet, Et « Hue ! » nous nous mettons à courir par les allées du jardin.

« Ça allait bien, très-bien; nous nous amusions joliment. Voilà que, tout en courant, Paul butte, et il s'étale tout de son long; et il se met à pleurer.

« Nous croyions qu'il n'avait que tombé; mais non : il s'était cogné au nez et au front; il avait le front tout rouge à deux places, et la bouche toute pleine du sang qui sortait de son nez.

« Alors je me mets à appeler: « L'ami Croquemi<«<taine! l'ami Croquemitaine! »

« Et je veux courir pour le chercher. Je ne pensais pas que j'étais attachée avec Paul, je tire, ça lui donne un coup, vlan! le voilà encore par terre. Et vous pensez s'il criait.

«L'ami Croquemitaine arrive : « Qu'est-ce qu'il y a << done?»>

« Il veut prendre Paul pour l'emmener; mais comme nous étions tous trois attachés ensemble, me voilà, moi, et voilà Louis par terre.

«Enfin il nous tire tous trois; il nous emmène, et, dans la salle à manger, il coupe la corde avec un couteau. Puis il met un gros sou sur la bosse du front de Paul, et il le lave, et il le fait boire. Et il disait encore: « Diables d'enfants, va! Pourvu que ce ne soit rien ! » «Quand Paul fut bien lavé, bien essuyé, qu'il ne pleura plus, l'ami Croquemitaine nous dit : « Venez chez « moi : au moins, comme ça, je serai sûr qu'il ne vous << arrivera rien. »

«Mais Paul n'allait guère vite: il le prit sur ses bras, et il le porta jusque dans sa chambre. Il lui dit : « Veux-tu dormir un peu pour te guérir en plein? « Oui, » fit Paul.

« Alors l'ami Croquemitaine le mit sur le canapé, bien couché, bien arrangé; il le couvrit avec un habit de soldat qui était là, pendu, et il tira les rideaux de la chambre. On aurait dit que c'était la nuit.

« Puis il nous dit : « Maintenant, ne faites pas de « bruit pour que Paul puisse dormir. Regardez-les << images. >>

« Ça me fit rire, moi; je lui dis : « Ah bien oui! mais

« on n'y voit rien dans ta chambre. Comment veux-tu

« qu'on regarde les images? »

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- Oh! nous la savons, celle-là. Une autre.

Le Petit Chaperon-Rouge.

Nous la savons. Une autre. >>

«Alors il fit : « Diable ! diable! » en faisant un soupir, ct en se grattant sous son bonnet.

« Je lui dis : « Qu'as-tu donc à te gratter comme ça?» « Il me répondit : « Je cherche une histoire.

-))

- Ah, bon! cherches-en une belle. >>

<«< Enfin, voilà qu'il ne se gratte plus, et qu'il dit : « Ça y est! Il y avait une fois... » Et alors... oh! si vous saviez la belle histoire!... et longue! et longue!... Ah! c'est celle-là qui était longue au moins!... Je ne me souviens pas bien de tout, mais il y avait là une méchante fée qui avait des pieds de serpent et des bras de loup. Il y avait Brimbillon d'Azur; c'était un petit garçon qu'on avait trouvé au clair de la lune dans le nid de l'oiseau bleu; il avait des cheveux couleur de ciel et des yeux couleur de lumière. Que sais-je ? moi. Enfin, une longue et belle histoire tout à fait. Et en nous la contant, de temps en temps l'ami Croquemitaine disait : « Attendez un peu. » Et il allait voir Paul. Il le touchait au visage, aux mains, tout doucement. Et il revenait en disant : « Allons, il dort tranquille. Ce ne « sera peut-être rien. »>

« Et l'histoire durait toujours. Mais voilà qu'au plus beau moment, on sonne dans le jardin. L'ami Croqueinitaine va ouvrir, et il revient nous dire :

« C'est Françoise qui est de retour, allez en bas avec « elle; je vous conterai la fin de l'histoire une autre fois. « Moi, je resterai ici à veiller Paul qui dort. »

«Nous descendons... >>

La petite narratrice eût-elle clos là son récit que nous nous fussions, sans aucun doute, trouvés suffisamment édifiés sur la nature des motifs qui avaient pu suggérer à notre ami Julien l'idée d'une grave et pressante affaire, l'arrachant à l'improviste de sa retraite. Mais après avoir complété la relation de la première journée par une suite d'épisodes tout à fait propres à corroborer notre opinion, Marguerite aborda l'historique du second jour, dont je crois pouvoir me borner à rapporter les derniers incidents :

«... Voilà, continua-t-elle, nous avions joué toute la matinée dans le jardin; et même Paul et Léon avaient crié un peu fort, et l'ami Croquemitaine était venu derrière la vitre de la fenêtre pour savoir ce qu'ils avaient à crier si fort. Je les avais fait taire, parce que j'avais bien vu que l'ami Croquemitaine avait la mine ennuyée. « Au déjeuner, l'ami Croquemitaihe ne disait rien du tout. Il nous regardait d'un air tout drôle.

« Je lui dis : « Ce matin nous t'avons ennuyé en criant « dans le jardin. Eh bien, tu ne sais pas : tantôt après « déjeuner nous irons nous amuser dans ta chambre; « tu nous donneras des livres d'images à regarder, et

« nous les regarderons sans faire de bruit. Je te le pro« mets. Veux-tu ?

་་ Oui, je veux bien. »>

« Voilà donc qu'après le déjeuner, il nous emmène tous dans sa chambre, et il nous donne des livres à regarder. Et nous étions bien tranquilles tous quatre. Nous ne faisions pas plus de bruit que Toutou et Tiline, qui dormaient sur leurs coussins. Et pourtant l'ami Croquemitaine toujours ne disait rien, et toujours ne riait pas.

« Tout à coup je vois qu'il ouvre la porte. Je lui dis : « Où vas-tu done? »>

« Il me dit : « Je reviens, je reviens; restez là; amu

« sez-vous. »

« Et il s'en va.

« Du moment qu'il n'était plus là, nous n'avions plus besoin de rester aussi tranquilles. Nous nous levons.

« Moi, je vais vers la fenêtre, et je vois, dans le jardin, l'ami Croquemitaine qui allumait un cigare. Puis, tout en faisant beaucoup de fumée, le voilà qui se met à se promener sous les arbres, toujours ne riant pas du

tout.

« Je dis aux autres « Regardez donc comme il a <«<l'air ennuyé. Qu'est-ce que nous pourrions donc ima<< giner pour le rendre gai, pour le faire rire? »

« Et voilà qu'en disant ça, je me retourne, et je vois qu'il avait laissé sur le banc, à côté du tableau de la belle dame, la petite planche où il y a du rouge, du bleu, du jaune, et aussi les petits morceaux de bois qui ont du poil au bout. Alors je dis : « Attends. Ça le fera << rire. >>

« Je monte sur une boîte pour être plus grande; je prends un des morceaux de bois qui ont du poil au bout, et, avec le poil, du bleu, du rouge, du jaune, vlan! vlan! je fais des fleurs sur sa robe, et sur ses mains, à la belle dame.

<«< Louis disait : « Ah! c'est joli, c'est beau, ça! En « veux-tu, en voilà! »

<< Pendant que je faisais ces fleurs, Paul avait décroché du mur un grand chapeau, et un grand sabre, et il était monté sur le banc; et il disait : « C'est moi qui « suis un grand soldat! »>

« Je dis : « Mais où est donc Léon?» et je l'appelle, « Léon! Léon! »

« Il était dans la chambre à côté. Il me crie : « At<< tends, tu vas voir. »>

« Voilà qu'il arrive. Figurez-vous qu'il s'était fait un chapeau avec un grand pot à eau en fer, et il y avait .attaché un plumeau, et il avait enfilé de grandes bottes qui lui venaient au ventre.

<«< Alors je dis : « Oh! la bonne idée! Voilà ce qu'il « faut faire nous allons tous nous arranger de quelque <«< façon, et nous irons trouver l'ami Croquemitaine au (་ jardin; ça le divertira bien. »>

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«Les autres disent : « Oui, c'est ça. »

« Je dis à Paul: « Je vais t'arranger. Quitte ce cha<«< peau : il est trop grand, il te tomberait sur les yeux; quitte aussi le sabre, tu te couperais. » Je trouve une grande paire de gants jaunes, je lui en fais enfiler un, et, l'autre, je le lui mets sur la tête... Ah! le drôle de chapeau que ça lui faisait! Il voulait absolument un sabre. Je lui dis : « Prends la pincette. »>

« Moi, je me fais un chapeau pointu avec un journal, et je passe mes bras dans les manches de l'habit de soldat.

« Léon, qui n'avait rien à faire, avait mis un cordon

au cou de Toutou et de Titine, pour les emmener avec nous, pour faire mieux rire l'ami Croquemitaine.

«Louis rentre avec deux paniers qu'il était allé prendre à la cuisine. Françoise ne l'avait pas entendu. Il s'était mis un panier pour chapeau, avec une carotte plantée dedans pour plumet; l'autre panier il se l'était pendu au côté avec son mouchoir. Il voit derrière la porte une grande canne à pommeau: il la prend pour cheval. Il avait apporté aussi un balai sans manche il le donne à Paul.

« Je dis : « Partons! >>

:

« Nous voilà dans l'escalier, Louis chantait, Paul criait. Léon faisait comme la trompette: « Tu, tu, « tu!... » Moi, comme le tambour: « Ran plan plan! »> Toutou et Titine aboyaient et tâchaient de nous mordre, si bien qu'en arrivant dans le jardin, je dis à Léon: « Mais lâchez-les donc, ils nous mordent. >>

<< Il les lâcha.

<< L'ami Croquemitaine était au fond sous les arbres. Il nous regardait tout surpris, avec de grands yeux. Je croyais qu'il allait bien rire. Eh bien ! non! C'est à peine s'il fit: « Ah! ah!» en nous regardant par-dessous son bonnet, qu'il avait avancé d'un coup de poing.

« Je lui crie: « N'est-ce pas que nous sommes drôles « comme ça? »

« Il me dit : « Oui, tout à fait drôles. » Mais au lieu de rester à nous regarder en riant, voilà qu'il rentre vite dans la maison.

« Alors je dis aux autres : « Ah! tant pis pour lui s'il ne veut pas rire ! rions, nous! Ran plan plan!... »

« Et nous nous mettons à courir par le jardin. Puis quand nous avons assez couru, nous nous asseyons tous sur un banc pour nous reposer, en disant : « Ah! ah! « j'espère que nous nous sommes bien amusés! >> « Vrai! nous nous étions bien amusés. «Mais ne voyons-nous pas venir l'ami Croquemitaine qui avait mis son paletot, et son chapeau noir, et ses gants? Il nous dit : « Mes petits amours, j'en suis bien « fàché, mais il faut que vous veniez avec moi.

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Oh!... pourquoi donc ?

Parce que je suis obligé de m'en aller, moi, et a que vous ne pouvez pas rester ici tout seuls avec François. Mais vous reviendrez, et alors vous resterez tant « que vous voudrez, vous entendez, tant que vous « voudrez. >>

<< En disant ça, il nous embrassait les uns après les autres, et il disait encore : « Mais dépêchons-nous. Françoise va vous arranger. Vite, vite, nous manquearions le chemin de fer. Allons, allons! >>

« Et voilà que nous partons, et...

-))

Et vous arrivez ici. A merveille, mon petit his

a torien ! »>

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Je résolus donc de me borner à écrire; et toutefois pour les mêmes raisons me sembla-t-il convenable de différer jusqu'au moment où nous pourrions être censés le croire de retour de son prétendu voyage.

J'attendais, à cet effet, que la semaine au moins fût écoulée; mais, le surlendemain, une lettre de lui nous arriva, portant le timbre de la ville qu'habitaient sa tante et sa cousine.

L'enveloppe ouverte en toute hâte, voici ce que je pus lire :

« Vos enfants, mes chers amis, sont tout simplement les plus charmants lutins du monde. Si j'ai pu en douter longtemps, aujourd'hui, Dieu merci! je suis à même de le proclamer, en attestant mes plâtres brisés, mes tableaux retouchés, mes bibelots mis au pillage. — Oh! les bonnes heures qu'ils m'ont fait passer! et comme je remercie le ciel qui, après vous avoir enrichis de ces adorables petits êtres, a permis que je fusse mis pendant deux jours en pleine et entière jouissance de votre inestimable trésor.

« Pour peu que vous les ayez questionnés sur l'emploi de leur temps chez l'ami Croquemitaine, ils auront dû vous rapporter quelques-uns de leurs beaux exploits; mais auront-ils su, auront-ils pu tout vous dire? Je suis certain que non; c'est pourquoi, permettez-moi de les suppléer dans cette tâche intéressante; et vous verrez que tout ce qu'ils ont pu vous avouer laisse bien loin la réalité que je ne dois pas, que je ne veux pas tarder davantage à vous faire connaître... >>

-

-

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Diables d'enfants, va! m'écriai-je à mon tour en m'interrompant à cet endroit d'une épître qui, après avoir débuté par un évident mais plaisant persiflage, paraissait vouloir tourner tout à coup au plus regrettable sérieux; vous verrez qu'ils nous auront brouillés avec cet excellent garçon. Dieu sait, en tout cas, s'il fera bon maintenant l'exhorter aux idées de famille. Sans doute un argument manquait à ses intimes conclusions en faveur du célibat, et il était dit qu'un fàcheux hasard le lui ferait trouver dans cette déplorable expérience. Diables d'enfants, va! - Et je continuai de lire : « Ce que ces chers petits que Dieu bénisse! n'auraient su vous dire, c'est ce qui se passait en moi pendant que j'étais soumis à leur naïve tyrannic tout un monde de sensations cachées à leurs yeux, et qui pourtant leur étaient dues. Par quelles épreuves ne m'ont-ils pas fait passer? Quelles émotions ne m'ont-ils pas causées? J'étais seul, inquiet, pauvre par le cœur aussi bien que par l'esprit dans un monde froid, sombre, vide vos gais petits enchanteurs sont venus dont le souffle heureux m'a rajeuni, et transporté de mon morne élément dans une sphère riante et fortunée.

«Leur premier miracle: je m'ignorais, je me croyais tout autre; ils m'ont appris à me connaître, et, sans modestie, je ne suis rien moins que ravi de la connaissance faite.

« Puis ils m'ont appris qu'en compagnie de leurs àmes simples, candides, l'âme lasse des contacts décevants pouvait sans peine regagner à pleines ailes ces

belles régions de la simplesse, de la candeur, où la vie est si bonne.

« Cette sévérité, cette rigueur dont je me croyais si fortement armé, oh! comme elles se sont évanouies à leurs premières larmes! Mes emportements: pauvres, pauvres locons de neige dans les rayons de leur clair soleil.

<«< Ce bruit, ce mouvement que je redoutais, qui devaient m'irriter, m'agacer : comme ils m'ont fait comprendre que le silence de la pensée pouvait ne pas en être troublé!

«Ils ont joué autour de moi, et je les ai enviés; et quand ils m'ont dit : «Viens, si tu veux, jouer avec << nous, je suis allé jouer avec eux, tout heureux d'une faveur que je n'eusse pas osé demander.

<«< Ils se sont blessés, et, en les pansant, j'ai senti toutes les tristes douceurs de l'alarme; et, en voyant se dissiper leur mal, j'ai connu la joie du cœur qui s'allége.

«Ils m'ont dit : « Conte-nous des histoires. » Et alors où n'a pas vagabondé mon esprit, prenant en croupe leur sincère et charmante attention? Quel franc succès j'ai obtenu!

« Ils ont trouvé anciennes mes rondes, et m'ont manifesté leur mécontentement :-Oh! les critiques sans envie et convaincus!

« Mes friperies d'atelier-que Françoise doit à peine se permettre d'épousseter ils les ont décrochées, jetées çà et là; ils s'en sont affublés, ils les ont traînées sur le sable du jardin; et je n'ai fait que penser : « Comme << ils s'amusent! >>

« Cette toile, dont je ne souffrirais peut-être pas qu'un maître approchat son pinceau, je l'ai vue chamarrée; et je n'ai fait que dire en riant : « Devaient-ils se redresser << en accomplissant cette belle besogne! »

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« Ces dernières, ces solennelles épreuves ont mis brusquement fin à la profonde et abstraite préoccupation où m'avaient plongé les épreuves de la veille et qui faisait que les enfants s'étonnaient de mon air morose et de mon silence obstiné.

« Je suis descendu, j'ai dit aux enfants : « Venez. » Je vous les ai reconduits et du même pas je suis venu ici. J'ai pris à part ma bonne, ma belle petite cousine Jeanne, et je lui ai dit en la regardant dans le plus profond des yeux, après lui avoir conté tout ce qui venait de se passer sous mon toit:

« Penses-tu que l'homme qui s'est conduit comme je <«< viens de le faire avec des enfants qui ne raisonnent « guère, puisse ne pas rendre trop malheureuse une « femme qui raisonnerait un peu?»>

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« Et ma bonne, ma belle petite cousine Jeanne, qui baissait les yeux, - m'a répondu en me donnant, ou plutôt en me laissant prendre sa main qui était brûlante: « Oui, mon cousin, je le pense... » .

IV. RÉSULTAT.

Excellent et très-heureux mari, notre ami Julien est aujourd'hui un de ces papas exposés à s'entendre dire souvent par d'inintelligents célibataires, ou par de certains époux sans lignée : « Mon Dieu! comme vous les gatez! »

A ceux-ci, il répond : « Ah! que vous voudriez bien vous y voir!» - A ceux-là : « Priez le bon Dieu qu'on vous y voie! >>

EUGENE MULLER.

VOYAGE A TRAVERS L'EXPOSITION UNIVERSELLE ".

Les boutiques en planches.

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Un Partant

Une spéculation. Exhibitions feminines. Déguisements. Le nectar des souverains. Les dames blasonnées. Un mot sur les toilettes. - La salle et la scène. Le public de l'Exposition. Ce qu'on entend et ce qu'on voit en bavant de la bière. Femmes exotiques, on so disant telles. Une famille d'Auvergnats. Yankee. Un couple de sauvages apocryphes pour la Syrie. Deux dromadaires. Une miniature des La mosquée turque. Mahomet et le vieux chamelier. Le caravanserail. Les métiers égyptiens. Une carte de 1 Égypte. Musée égyptien et ninivile. Autre musée. Une armée commandée par un pekin. L'isthme de Suez. Un dromadaire inutile. néral Bonaparte. Les travaux du canal maritime.. Le cafe turc - Le palais tunisien.

catacombes de Rome

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panorama. sée chinois, les Chinoises, les chinoiseries et la musique chinoise. Le musée et le temple mexicains.-M. L. Ménédin. Une femme et son enfant. Les figurines mexicaines. Le billot et le couteau - Sacrifices humains. Uue divinité mexicaine. - L'autel des feux perpétuels.

Voulons-nous, mesdames et messieurs, au lieu de rentrer dans les galeries, achever une bonne fois l'exploration du parc et de ses curiosités ethnographiques? Il nous faut, en ce cas, traverser le quartier du Champde-Mars qui ressemble le plus à un champ de foire, à un bazar cosmopolite. Ce quartier, qui s'enrichit chaque jour de nouvelles baraques, masque entièrement, sur (1) Voir les numéros de mai, juin et juillet 1867.

une longueur d'environ cent mètres, la galerie extérieure du palais. C'est une innocente et très-intelligente spéculation de la société Le Play et Cie, qui n'a point voulu laisser improductifs les quelques centaines de mètres carrés situés dans cette partie de son domaine éphémère, précisément en face des brasseries allemandes, des restaurants espagnols, russes et scandinaves, où la faim, la soif, et plus encore un certain penchant qui tient à la fois de la gourmandise et de la curiosité, attirent incessamment la foule.

La société Le Play et Cie a donc construit là des boutiques en planches, et elle les a louées à toutes sortes de marchands chrétiens, juifs, musulmans et autres. Ceux qui ont vu le jour sur les rives de la Seine, de la Loire ou de la Garonne (ce sont de beaucoup les plus nombreux) s'efforcent, en général, de donner à leur marchandise et à eux-mêmes des airs exotiques. Plusieurs, pour mieux attirer les chalands, font tenir leurs comptoirs par des jeunes filles d'un physique agréable, affublées de déguisements pittoresques plus ou moins en rapport avec la provenance des denrées qu'elles débitent. Cette analogie est, au fond, le cadet de leurs soucis; l'essentiel est que le costume soit joli, qu'il attire les regards et qu'il s'harmonise avec le teint, les yeux et les cheveux de la personne. La manie des exhibitions féminines et des déguisements carnavalesques aura bientôt, de proche en proche, gagné tout

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