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l'autorité est l'attribut des êtres moraux et collectifs. Le pouvoir convient à une société dégénérée; une société de sages n'admettrait que l'autorité

L'époque de la concentration du pouvoir la plus excessive dont l'histoire ait retenu la mémoire est celle de la décadence de l'empire en qui s'était résumée la civilisation antique.

Les deux portions de ce vaste empire qui embrassait presque tout le monde connu étaient divisées en deux préfectures, les deux préfectures en diocèses ou vicariats, chaque diocèse en provinces, chaque province en cités.

Chaque préfecture était gouvernée civilement par un préfet du prétoire, et commandée militairement par un maître général de la milice.

Chaque diocèse était administré par des vicaires du préfet, des proconsuls ou des comtes.

Chaque province avait des présidents, des consulaires, des correcteurs; les provinces frontières avaient des commandants stationnaires.

Quelques cités s'administraient librement, par exception; le plus grand nombre était gouverné par des délégués de l'empereur.

Des myriades de fonctionnaires, comblés de dignités et d'honneurs, faisaient respecter partout la volonté souveraine c'étaient les illustres (consuls, préfets, commandants généraux, ministres du palais), les respectables (proconsuls, lieutenants-généraux, secrétaires ministériels); les honorables ou clarissimes (vicepréfets, gouverneurs, sénateurs), les perfectissimes (magistrats subalternes)..

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Au sommet de la pyramide dont cette légion innombrable de fonctionnaires formait la base, apparaissait la majesté impériale, divinisant le droit de la force pour se légitimer elle-même, et encensée par les poëtes comme l'expression de la souveraineté populaire', alors que la rapacité de ses officiers de tous les rangs ne songeait qu'à alimenter le fisc par d'intolérables exactions, qu'ils se faisaient pardonner par le peuple en lui donnant du pain et des jeux.

On sait ce que devint ce colosse de puissance devant les Alaric, les Genseric et les Attila. On sait aussi que, parmi les causes qui concoururent à sauver la civilisation de nos pères, apparaissent en première ligne la liberté chrétienne et la liberté municipale.

« C'est l'Église chrétienne, dit M. Guizot, l'Église avec ses institutions, ses magistrats, son pouvoir, qui s'est vigoureusement défendue contre la dissolution intérieure de l'empire, contre la barbarie, qui a conquis les barbares, qui est devenue le lien, le moyen, le principe de la civilisation entre le monde romain et le monde barbare. »

A l'influence de l'esprit chrétien il faut joindre celle de l'esprit municipal des Gaulois. Cet esprit se révéla, sous la domination romaine: dans les municipalités communales des villes alliées, des vectigales,

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Non tibi tradidimus dociles servire Sabæos,.

Romani qui cuncta diù rexere regendi

Qui nec Tarquinii fastus nec jura tulere

Cæsaris...

CLAUDE, poëme sur le 4e consulat d'Honorius.

des colonies et des municipes, et dans les municipalités provinciales, dont le rescrit d'Honorius, de l'an 418, posa les premières bases. Il survécut à l'invasion et à la conquête des Francs, et ne disparut quelque temps, sous l'oppression féodale des X et XIe siècles, que pour reparaître plus radieux, d'abord dans les villes à qui Louis-le-Gros et ses successeurs rendirent leurs antiques libertés, ensuite dans les campagnes où les seigneurs, suivant l'exemple donné par la célèbre ordonnance du roi Louis-le-Hutin, de l'an 1315, affranchirent les serfs de leurs domaines, à dater du XIVe siècle.

Le XIV siècle offre en effet l'imposant spectacle du travail des principes constitutifs de la monarchie, cherchant à se dégager des altérations qu'ils avaient subies par l'effet de la féodalité. Les grands vassaux, à demi ruinés par les croisades, eurent à combattre les communes affranchies, et le trône fortifié. Leurs priviléges reçurent chaque jour une nouvelle atteinte. Le trône s'enrichit de leurs dépouilles, et la liberté politique qu'ils avaient anéantie ressuscita, sous le patronage des successeurs de Louis-le-Gros, dans les assemblées communales, provinciales et nationales.

Ce fut l'époque des grandes institutions civilisatrices, des corps de métiers, de la chevalerie, des ordres religieux, militaires et scientifiques, des trouvères et des troubadours. Ce fut l'époque du rétablissement des assemblées nationales, interrompues depuis trois cents ans. Les communes, déjà illustrées par leur vaillant concours dans les guerres contre les Anglais, y furent admises dès 1303, sous le règne de Philippe-le-Bel,

en récompense de leurs bons et loyaux services. « En cinquante ans, dit M. de Châteaubriand, depuis la première convocation des États sous le roi Jean, les principes politiques se développèrent avec une force et une clarté qu'il aurait été impossible de prévoir. Les États de 1355 et ceux qui les suivirent eurent des idées beaucoup plus nettes des droits d'une nation, que le parlement britannique n'en avait alors. »

La célèbre Ordeanance de 1355, comparée sous certains rapports à la grande Charte anglaise, consacra par une foule de dispositions supérieures au siècle cet immense progrès social. Les Communes et la royauté, liguées contre la féodalité, marchaient de concert vers une grande idée la réalisation du gouvernement représentatif.

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« Paris, dit Châteaubriand2, ne donnait pas alors lé mouvement au royaume; Paris n'était point la capitale de la France, c'était celle des domaines du roi; grande commune qui agissait spontanément, que les autres communes n'imitaient pas, et dont elles savaient à peine le nom. Saint-Denis, en France, en raison de sa célébrité religieuse, était beaucoup plus connu que Paris. Dans le pays de la langue d'Oc et même de la langue d'Oyl, il y avait des villes qui égalaient en richesses, surpassaient en beauté cette boueuse Lutèce, dont Philippe-Auguste avait à peine fait paver quel

ques rues. >>

Les progrès du pouvoir absolu et ceux de la capitale

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se développèrent parallèlement pendant les XVI et XVIIe siècles.

Certes, il ne faut pas méconnaître les avantages de la politique inaugurée par Louis XI et suivie par François Ier, Richelieu et Louis XIV; c'est elle qui a constitué la grande unité française. Toutes ces provinces hétérogènes par leur origine, par leurs mœurs, par leurs institutions, maintenant coordonnées en un tout väste et imposant, pénétrées du même esprit et se soutenant les unes les autres, celles-ci par l'esprit guerrier, celles-là par le génie industriel ou scientifique; toutes ces législations coutumières et de droit écrit codifiées en un seul recueil de lois civiles et criminelles; ces innombrables juridictions ordinaires et extraordinaires, ecclésiastiques et séculières, remplacées par un seul système de cours et de tribunaux; tous les priviléges anéantis; toutes les vies locales fondues dans la vie commune: voilà l'œuvre des trois derniers siècles, à laquelle Louis XIV a puissamment con

couru.

C'est Louis XIV, en effet, qui, profitant des conquêtes de ses devanciers, et dominant tout par sa puissance, acheva la transformation de l'aristocratie féodale en noblesse de cour. C'est Louis XIV qui, après avoir concentré dans ses mains toute l'administration1, put dire avec un justé orgueil: l'Etat c'est moi!

Mais la monarchie administrative ne devait pas survivre au grand roi. Avilie et rongée d'abus sous la

1 Édits de 1669, de 1673, de 1681, de 1682, de 1683, de 1695, etc.

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