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Vaines ombres de ce qu'elles furent dans des siècles d'absolutisme, dépouillées, au nom de la liberté, de tout, sauf de leur nom, conservé sans doute par ironie', les communes françaises ne sont plus en réalité que des dépendances préfectorales.

Le ministre de l'intérieur est le tuteur-né, l'administrateur suprême de 37,000 communes et de tous les établissements publics qui en dépendent: tel est en résumé tout notre droit municipal.

La tutelle administrative à laquelle sont assujetties les communes a pour sanction et pour complément le mode de distribution des pouvoirs municipaux entre le conseil électif et le maire nommé par le pouvoir exécutif.

Ce n'est plus comme autrefois le corps de ville qui administre, c'est le maire sous les ordres du préfet, ou plutôt c'est le ministre, dont le préfet n'est que l'agent.

Les corps municipaux, abstraction faite du maire qui administre, ne sont pas un pouvoir, mais seulement les conseils et les contrôleurs naturels du pouvoir compris dans leur sphère de direction et de surveillance. Exclusivement destinés à éclairer la religion, à fixer l'attention de l'autorité sur les intérêts de la commune et à préparer les moyens d'y pourvoir, ils procèdent par voie de consultation, de vote ou de projet ; ils proposent, ils ne décident point.

Les lois du 19 avril 1831 et du 18 juillet 1837 ont modifié cet état de choses, l'une en déclarant les con

1 Décret du 10 brumaire an II.

seils municipaux électifs, l'autre en réglant leurs attributions.

Mais ces lois n'ont réalisé qu'un progrès relatif et insuffisant.

Le mouvement imprimé par la révolution de Février tend à opérer une décentralisation administrative plus étendue, dont nous allons tâcher d'indiquer la portée et la limite.

Fixons d'abord les conditions d'existence de la

commune.

L'histoire a consacré des distinctions importantes entre la cité, la ville, le bourg, le village, etc.

La cité (civitas) était l'étendue entière du pagus, pays, diocèse, district, soumis à la même souveraineté, régi par la même administration 1.

La ville (urbs) ab urbe, qui veut dire la courbe de la charrue, était l'enceinte fermée, l'espace couvert d'habitations.

Le bourg, du mot grec upyos, qui signifie une tour, était un village fortifié.

Le village était la commune rurale.

Dans le moyen-âge, ville, bourg, village, tout, ou à peu près, dépendait de la puissance féodale. Les villes furent affranchies les premières pendant les XII® et XIII siècles; l'affranchissement des villages fut plus tardif et partiel. Louis X en donna le signal et il se continua depuis l'ordonnance de 1315 jusqu'à l'en

1 Des corps politiques, ch. XIV. RAYNOUARD. Hist. du droit municipal, t. I, ch. VII.Dict. hist. vis Cité, Bourg, etc.

tière extinction de la servitude, qui était à peu près consommée à la fin du dernier siècle 1.

Il y avait donc dans le régime des communes françaises des diversités administratives, au moment où passèrent sur elles d'abord le niveau de la monarchie absolue, puis celui de la Convention, du Consulat et de l'Empire,

Ces diversités subsistent encore dans plusieurs États de l'Europe,

En Angleterre on distinguait dans le moyen-âge la commune libre qui se formait indépendante, et la paroisse ou commune rurale qui dépendait du seigneur.

Aujourd'hui la paroisse, en dehors de la commune libre, n'a pas d'administration municipale proprement dite; elle est sous la haute tutelle du juge-de-paix, elle peut seulement nommer, outre le conseil de marguilliers chargé de veiller aux besoins de l'église, des administrations destinées à pourvoir aux différents services, à l'éclairage, à la voirie, etc.

Quant aux communes libres, la loi du 9 septembre 1835 les divise en deux classes, les unes au nombre de cent vingt-neuf, les autres au nombre de soixante-deux, qui sont toutes soumises à une législation uniforme.

Les lois de presque toute l'Allemagne distinguaient, il y a peu de temps encore, la commune urbaine avec ses franchises formées contre son ancien seigneur et la commune rurale dépendante jusqu'à ces derniers temps de la puissance féodale.

1 BOUHIER, Observations sur les coutumes de Bourgogne, t. II., c. 64.

En Prusse, la loi du 31 mars 1831 assignait à la commune urbaine tout ce qui est situé en deçà des limites extra-muros. Chacune de ces communes avait une charte spéciale, arrêtée par le conseil municipal et exécutoire avec l'approbation du ministre de l'intérieur, et avec l'approbation du roi si elle contenait quelque chose de contraire à la loi organique. La commune rurale ne jouissait pas de ces avantages et portait dans son administration les traces du joug féodal dont elle avait été naguère affranchie. La loi de 1850 fait disparaître la distinction des communes rurales et des communes urbaines afin d'effacer les derniers vestiges de la féodalité, mais elle distingue entre les communes selon qu'elles sont peuplées de plus ou de moins de quinze cents habitants. Le système d'administration varie selon la population.

La loi autrichienne du 17 mars 1849 est aussi uniformément applicable à toutes les communes, mais sous la réserve que les communes chefs-lieux de provinces ou de cercles, obtiendront de la loi une constitution distincte et que les villes importantes pourront obtenir la même faveur.

Malgré ces précédents et malgré les inconvénients de l'uniformité administrative de trente-sept mille communes, dont les unes ont un revenu de quelques centaines de francs à peine tandis que les autres sont riches d'un revenu de plusieurs millions, il serait impossible de diversifier en France la législation communale. Nos mœurs égalitaires repousseraient cette innovation qu'elles considéreraient comme un retour vers un régime irrévocablement détruit. Les communes

doivent être constituées d'une manière égale, sauf les diversités de détail que la loi peut introduire dans leur système d'administration.

L'existence de la commune constitue d'ailleurs un droit acquis qu'ont religieusement respecté toutes les lois récemment publiées dans divers Etats de l'Europe.

S'il y a quelque chose de saint, de respectable au monde, c'est l'individualité communale. C'est là que sont le souvenir de la naissance, la religion des tombeaux; c'est là que sont les intérêts et les affections; c'est là qu'est toute la vie sociale et intéressée des citoyens. La commune, c'est aussi la famille; amoindrir la commune, la démembrer, c'est faire violence aux sentiments les plus intimes et les plus profondément enracinés de la nation 1.

La commune, fondée en vertu du droit naturel d'association et sous l'empire de la loi suprême de la nécessité, ne peut être ni supprimée, ni disloquée, ni réunie à une autre commune au gré capricieux du pouvoir 2.

Il ne peut dépendre d'un gouvernement de violer un droit naturel, de briser l'existence immémoriale d'une commune; de transporter hors de son sein, au risque des plus graves dommages, l'élection de ses mandataires, l'administration de ses intérêts; de créer,

1 Rapport de M. Chadenet au nom de la onzième commission d'initiative parlementaire, sur une proposition de MM. Benoît et Charassin, relative à l'organisation cantonale.

2 Lois des 13-14 septembre 1790, tit. 111, art. 8; du 10 juin 1793, section I, art. 1 et 2; décret du 17 janvier 1813.

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