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avaient pas encore conduits jusqu'aux limites du communisme, ce patriotisme est aujourd'hui surtout le seul véritable. Il faut rattacher les hommes aux lieux qui leur présentent des habitudes et des souvenirs; et pour atteindre ce but il faut leur accorder, dans leurs domiciles, au sein de leurs communes, autant de bienêtre et d'importance politique qu'on peut le faire sans blesser l'intérêt général.

L'origine de la commune remonte au berceau du monde. L'amour de la société que les hommes apportent en naissant, et les secours mutuels dont ils ont continuellement besoin portèrent bientôt, dit un publiciste, les premiers habitants de la terre à s'approcher et à se joindre plusieurs familles ensemble *. Ce fut ainsi que de leurs cabanes ou maisons rustiques, telles qu'un ancien nous les décrit, ils formèrent des hameaux et des villages. Du progrès de ces faibles commencements les villes ont ensuite pris naissance, et enfin de l'union de plusieurs villes les grands États ont été formés.

L'antique civilisation hébraïque était toute municipale le peuple d'Israël se composait de douze tribus ou provinces, subdivisées en districts ou communes; les anciens des villes dirigeaient ces villes, comme les anciens des tribus dirigeaient les tribus, et les anciens d'Israël tout le peuple. Cent vingt familles de population suffisaient, au dire des docteurs, pour obliger une

1 DELAMARRE, Traité de la police, liv. I, ch. 1. 2 PLATON, Républ., liv. II.

3 VITRUVE, liv. III, ch. 4.

commune à former son conseil. L'interprétation de la loi appartenait à ces assemblées municipales en ce qui concernait l'intérêt particulier de leurs cantons, mais elles renvoyaient au conseil supérieur toutes les questions importantes; elles remplissaient, comme les censeurs de Rome, comme les vieillards de Sparte et d'Athènes, les fonctions de juges des mœurs'.

L'association et la solidarité communales existaient aussi dans les monarchies absolues de l'Orient. On y trouve, même sous le despotisme, le principe d'une garantie commune entre les membres d'une société civile, qui met la vie de chacun sous la protection de chacun, et déclare responsable celui qui, le pouvant, n'en a pas défendu un autre qu'on attaquait. « La législation de l'Égypte, dit M. de Pastoret 2, valait mieux que son gouvernement.

Les villes de la Grèce se gouvernaient elles-mêmes et étaient leurs propres législateurs 3. Rome jouissait aussi de cette précieuse fondation et en faisait jouir les peuples conquis; car elle savait, dit Montaigne, que les peuples accoutumés à la liberté et à se commander à eux-mêmes trouvent toute autre forme de police monstrueuse et contre nature. L'administration de chaque cité était partagée entre l'archonte, préteur ou duumvir, et un conseil délibérant nommé sénat ou curie, élus l'un et l'autre par la cité.

1 SALVADOR, Institutions de Moïse, t. I, p. 189; t. III, p. 461. 2 Histoire de la législation, t. II, p. 468.

3 Autovouμeva xαí edɛvlɛμx. Démosth., Première Philip., p. 41. * Quibus permissum est corpus habere collegii, societatis,

Les membres du conseil et les propriétaires (possessores) qu'ils s'adjoignaient se partageaient les soins publics. Aux Ediles'était confié le soin des travaux publics, des chemins, des égouts, des ponts, des bains2, de la police des marchés, des poids et mesures 3. Il y avait en outre des curatores viarum, rei frumentariæ, des inspecteurs des travaux publics, des censeurs (censores) chargés de la confection du cens et de la police des mœurs, des défenseurs (defensores)" chargés de protéger la commune contre le fisc; des administrateurs des octrois ou redevances municipales (munera publica), dont la curie avait la charge et la responsabilité : aucun de ces magistrats n'était salarié. Montesquieu voit dans ce désintéressement un des principaux mobiles des grandes choses que fit Rome dans tous les temps de son histoire. Les emplois publics étaient des charges très-onéreuses et jamais lucratives; on était obligé d'accepter les fonctions de duumvir", sive cujusque alterius eorum nomine : proprium est ad exemplum reipublicæ habere res communes, arcam communem el actorem, sive syndicum, per quem, tanquàm in republicâ, quod communiter agi, fierique oporteat agalur, fiat. Leg. 1, S4, ff. Quod juş univ. nom. V. aussi Justinien, nov. 38.

1 Ediles studeant ut quæ secundum civitates sunt viæ adœquentur. Leg. 1, ff. De viâ publicâ.

2 PAPINIANUS, De via publică. 3 SENEQ., Epist. 86.

4 VALER. MAX. et autres.

5 Cod. Théod., De def.

6 Cod. Théod., De opp. publ. LOYSEAU, Des Offic., ch. 7, n. 43. 7 PLINE, X, epist. 114. Si quis magister in municipio crealus munere injuncto fungi detrectet, per præsides munus agnoscere cogendus est. L. ff. De muner. et hon.

comme en Angleterre celle de shérif', aussi honorables, mais également gratuites et fatigantes. Ces places imposaient de plus une responsabilité dangereuse 2. Les seules récompenses des soins que prenaient ces hommes respectables étaient quelques honneurs frivoles et le rang de nobles: car n'est-il pas juste, dit le code, d'honorer cette noblesse qui souffre tant de fatigues et d'ennuis pour le bien public, soit de son gré, soit qu'elle y soit contrainte par la loi 5?

Ce système d'administration municipale reconnu à Rome par la loi Julia, respecté par Trajan et par tous les bons empereurs, se maintint dans les Gaules, sous la domination romaine, encore plus florissant peut-être qu'il ne l'était dans les provinces de l'Italie.

Les cités gauloises se partageaient en quatre classes distinctes les villes alliées, les vectigales, les colonies et les municipes; chacune d'elles avait sa forme d'administration.

Les villes alliées avaient obtenu, en capitulant, des conditions assez avantageuses pour être réputées libres, et pour se gouverner à leur gré.

1 Il faut en Angleterre avoir au moins 200 liv, sterling de rente pour être nommé shérif, et on serait soumis à une amende de 500 liv. si on refusait cet emploi.

2 Magistratus reipublicæ non dolum solummodò, sed et lalam negligentiam, et hoc ampliùs etiam, diligentiam debent. L. 6, ff. De adm. rer. ad civit. pert.

* Sufficiunt tunicæ summis Ædilibus albæ. JUVEN., sat. 4 Cod. De decur.

5 DELABORDE, Esprit d'association, p. 84, et les titres du Digeste, Quod cujuscumque univ. nom.; ad municip.; de muner. et hon.; de adm. rer. ad civit. pert., etc.

Les vectigales étaient soumises à une obéissance passive, et au paiement du tribut.

Les colonies étaient administrées à l'image de Rome; elles avaient la même magistrature, excepté le consulat.

Les municipes retenaient la faculté de s'administrer sous l'autorité d'un magistrat romain, par des officiers tirés du corps de leurs habitants, et selon les lois et coutumes du pays 1.

Le régime municipal continua à se développer dans les Gaules après la conquête des Francs. On y comptait cent cinquante cités lorsque Clovis en fit la conquête. Ces cités avaient une administration intérieure, une police, des revenus publics, qui provenaient soit des subsides particuliers prélevés sur les habitants pour subvenir aux dépenses communes, soit du produit des biens fonds dont la cité était propriétaire; car, d'après les lois romaines, les villes pouvaient acquérir comme les particuliers.

On a attribué à tort à l'octroi des souverains d'anciens droits inhérents à l'existence des communes, et possédés sans interruption sous la domination romaine et sous les trois dynasties. « La politique royale, dit très-bien M. Laurentie, commença l'émancipation populaire par la constitution, ou plutôt par la restitution des communes; car les communes n'étaient pas un établissement nouveau; la Gaule méridionale avait

1 Recherches sur les municipalités; LEBER, Hist. crit. du pouvoir municipal, etc.

2 De la politique royale, p. 31.

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