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d'icelles; le monde même est ainsi appelé en latin, à cause de l'ornement et de la grâce provenant de son admirable disposition, et en grec Kocuos, à cause de son bel ordre et agencement, pour ce que le parfait ouvrier Εις ταξιν αυτον εκ της αταξίας ηγαγεν. »

Chaque partie doit être ordonnée par rapport au tout, chaque individu par rapport à la société particulière dont il est membre, chaque société par rapport à la grande société du genre humain, et le genre humain lui-même par rapport à la société générale dont Dieu est le suprême monarque.

Et comme, selon le droit de nature, chacun doit naitre franc, comme la liberté est la vie même de l'humanité, c'est par la libre expansion de l'intelligence, de la charité, de l'activité humaines, c'est par une magnifique synthèse d'associations librement formées, et montant par une échelle hiérarchique de la commune à l'État, que l'ordre et l'harmonie sociale peuvent régner dans le monde.

Telle est la pensée de deux grands philosophes, Cicéron et saint Augustin. «En musique, disent-ils, la

1 Ut in fidibus ac tibiis, atque ut in cantu ipso ac vocibus, concentus est quidam tenendus ex distinctis sonis, quem immutantem aut discrepantem aures eruditæ ferre non possunt; isque concentus ex dissimillimarum vocum moderatione concors tamen efficitur et congruens: sic ex summis et infimis, et mediis et interjectis ordinibus, ut sonis, moderata ratione civitas consensu dissimillimorum concinit; et quæ harmonia, à musicis dicitur in cantu, ea est in civitate concordia arctissimum atque optimum in omni republicà vinculum incolumitatis; eaque sine justitiâ nullo pacto esse potest. (CICERO, de Republ., 2, in fine. — AUGUSTIN. de Civil. Dei, lib. II, cap. xxI.)

flûte ou la lyre, ou le chant et la voix, forment de sons différents une harmonie où la moindre dissonance blesse une oreille délicate et exercée; l'ensemble et l'accord de cette harmonie naissent surtout de l'heureux mélange des tons les plus opposés: ainsi l'homme d'État, en balançant par un heureux équilibre tous les ordres, depuis les plus élevés jusqu'aux plus humbles, fait naître de la combinaison des extrêmes l'accord politique. Ce qu'on appelle harmonie dans le chant est, en politique, la concorde, gage le plus sûr et le plus solide de la stabilité d'un gouvernement; et il est absolument impossible qu'elle existe sans la justice. »

Ce principe fondamental de toute société a rencontré de nos jours deux sortes d'ennemis d'un côté l'école philosophique du dix-huitième siècle qui nie l'ordre. social pour sauver la liberté, de l'autre l'école socialiste qui prétend absorber dans l'État toutes les libertés individuelles ou collectives.

Aux disciples posthumes du philosophe de Genève nous dirons avec un écrivain de la fin du dernier siècle1: « Défiez-vous des exagérations de la liberté et de l'égalité. La liberté de l'homme social consiste dans la soumission aux lois de la société dans laquelle la Providence l'a placé, et dans un respect inaltérable pour les propriétés physiques, civiles et morales de ses frères; elle consiste, non à faire ce que l'on veut, mais à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas youloir. Si l'inégalité excessive produit de grands maux 1 ALBISSON, Lais municipales du Languedoc.

2 Esprit des Lois, liv. XI, chap. III.

dans la société, de bonnes lois peuvent y remédier; mais si l'égalité absolue pouvait subsister entre des êtres qui n'ont pas reçu de la nature la même mesure de forces et d'intelligence, il n'y aurait entre eux aucune société : ce sont les besoins mutuels qui unissent les hommes ; et il ne saurait y avoir de besoins mutuels entre des hommes absolument égaux. La première, la plus naturelle des sociétés, celle du mariage, est fondée sur l'inégalité : tu dominaberis illius. »

Quant à ces socialistes qui, sous des formules diverses, tendent aujourd'hui d'un effort commun à substituer la papauté de l'Etat à la papauté religieuse, nous leur dirons : La fraternité telle que vous la concevez n'est point cette charité chrétienne qui tend à réunir toutes les classes de la société par le double lien de l'amour et de la reconnaissance; vous niez tous à différents degrés la propriété et la liberté, ces deux bases fondamentales de toute société. Vous faites de l'égalité un instrument de révolte contre les distinctions inhérentes à tout ordre social; vous méconnaissez toutes les lois des sociétés civilisées, et vous ne tendez à rien moins qu'à nous transformer en une horde de barbares ou en un troupeau de fellahs.

La propriété est le fondement de l'ordre social; son origine est celle de la société elle-même. La propriété n'est ni conditionnelle ni limitée. Le capital primitif et le capital accumulé sont également sacrés; et il est tout aussi absurde de réclamer le droit au travail comme rançon de je ne sais quels droits primitifs de chasse, de pêche, de cueillette et de pâture, qu'au nom de cette maxime sauvage: La propriété, c'est le vol.

Le socialisme de toutes les nuances est irrévocablement condamné par cette parole de Dieu : Bien d'autrui tu ne prendras, et par les lois humaines qui l'ont sanc

tionnée.

Toutefois, pour le propriétaire comme pour le prolétaire il y a des devoirs sacrés. Le premier devoir de l'homme, c'est la loi du travail. Le propriétaire est tenu de cultiver son champ. Le travailleur est tenu d'utiliser ses bras, car il a été dit à l'homme par la Sagesse éternelle : Tu travailleras à la sueur de ton corps; et la philosophie naturelle dit aussi par la bouche de Burlamaqui: L'état naturel de l'homme considéré à l'égard des biens que la terre lui présente est un état d'indigence et de besoins toujours renaissants, auxquels il ne saurait pourvoir d'une manière convenable qu'en faisant usage de son industrie par un travail continuel.

Le second devoir de l'homme, c'est la charité, qui l'oblige à aider, dans la mesure de ses facultés, son semblable réduit à l'impuissance de vivre en travaillant; car l'Évangile, perfectionnant la morale antique, dit à chacun de nous : Fais envers ton frère ce que tu voudrais qu'il fit envers toi.

Ces devoirs ne sont pas seulement individuels, ce sont aussi des devoirs sociaux. Toute nation, dit Vatel, constitue un étre moral obligé de vivre d'une manière convenable à sa nature, naturæ convenienter vivere; c'est-à-dire de se conserver et de se perfectionner selon les deux grandes lois de ce monde : l'amour de Dieu et l'amour des hommes.

Organisation et police du travail, de l'instruction

et de l'assistance, tel est le triple objet du vaste et difficile problème de l'administration publique.

Il s'agit, dans les règlements sur le travail individuel et sur les associations agricoles et industrielles, de concilier la libre concurrence et la protection légale.

Il s'agit d'organiser les travaux publics, l'instruction publique, les établissements de bienfaisance et de répression, de manière à satisfaire à la fois aux droits de l'humanité et aux exigences de la police.

Toutes ces questions sont liées de la manière la plus étroite à l'immense problème de l'organisation administrative.

Deux systèmes sont en présence : l'un procède par voie d'analyse, du sommet à la base, et, ne voyant dans la société que la force gouvernementale, fait dériver du pouvoir central tous les pouvoirs subordonnés. L'autre procède par voie de synthèse, de la basè au sommet, et, appuyé sur les mœurs privées et publiques, tend à constituer la cité par la famille, et l'État par la cité. Le premier de ces systèmes correspond à une idée simple: le pouvoir; le second correspond à une idée complexe : la liberté et l'autorité.

Pouvoir, autorité, ne sont pas deux mots synonymes. Le pouvoir agit par la contrainte; il commande une soumission passive; il n'a qu'une action purement physique, dont les forces et l'énergie s'augmentent par la concentration. L'autorité agit par la persuasion; elle ne recherche et n'obtient qu'une obéissance éclairée; elle pénètre, elle anime les masses qu'elle dirige; toute leur force consiste dans l'assentiment.

Le pouvoir est l'attribut des êtres simples et réels;

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