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chances de l'industrie, et de retenir dans les provinces les capacités intellectuelles qui s'entassent à Paris.

Toutes les considérations économiques et politiques commandent la réforme d'un système administratif auquel son glorieux fondateur n'avait lui-même voulu donner qu'un caractère provisoire1. Ce système a perdu sa raison d'être en perdant les conditions de force et de grandeur dans lesquelles il avait été établi. L'empire sans l'empereur est un ridicule non-sens.

Les étrangers en jugent à cet égard comme nous. « La bureaucratie et la centralisation, dit un publiciste allemand, ont été reconnues, même par des écrivains français, comme les vices des institutions publiques de la France. A côté des principes les plus libéraux sont placés ainsi des restes d'une administration qui certainement a montré beaucoup de force sous Napoléon, mais qui est peu en rapport avec les idées de liberté et de garantie des droits que le droit public en France depuis 1830 a mises en première ligne. Aussi faut-il montrer à la France comme modèles les institutions allemandes et notamment prussiennes qui ont reçu pour bases une action et un mode d'administration plus organique et moins machinal. >>

Les défenseurs les plus éminents de la centralisation administrative, vaincus par l'évidence des faits, rendent eux mêmes hommage à une réforme qu'ils repoussaient naguère avec une invincible énergie.

1 Lettre de l'Empereur à M. de Montalivet. (Idées napoléoniennes.)

2 Leipsick, 1843.

Écoutez M. Michel Chevalier1 : « Les exagérations de la centralisation sont dues, dit-il, à ces deux gouvernements d'un rare despotisme, la Convention et l'Empire. C'était nécessaire à la lutte qu'ils soutenaient contre toute l'Europe, et où ils s'étaient précipités de leur plein gré par orgueil, par ambition ou par l'effet de passions furieuses; mais c'est inutile, c'est funeste dans un Etat qui veut être libre, où les citoyens sont jaloux d'exercer leurs facultés sous l'égide des lois. Je ne puis désormais voir dans la centralisation absolue qu'un engin d'asservissement. Elle accoutume une nation à l'obéissance passive. Il y a dans la capitale une grande roue qui tourne, et dont tout suit servilement le rotation, des rives du Var aux rochers du Finistère. Qu'on soit le maître de la roue, et on sera le maître de la France; qu'une poignée de factieux ou d'ennemis de la société parvienne par la somnolence, l'incurie ou l'ineptie des gardiens de la machine, à mettre la main dessus, et les voilà dictateurs. »>

Ecoutez M. Guizot2: « On parle beaucoup de la centralisation, de l'unité administrative; elle a rendu d'immenses services à la France. Nous garderons beaucoup de ses formes, de ses règles, de ses maximes, de ses œuvres; mais le temps de sa souveraineté est passé. Elle ne suffit plus aujourd'hui aux besoins dominants. aux périls pressants de notre société. Ce n'est pas au centre seul, c'est partout qu'est aujourd'hui la lutte.

1 Revue des Deux-Mondes, 1er juillet 1849,

2 De la Démocratie en France, chap. vi, p. 19.

Partout attaquées, il faut que la propriété, la famille, toutes les bases de la société soient partout fortement défendues, et c'est trop peu pour les défendre que des fonctionnaires et des ordres venus du centre, même soutenus par des soldats. »

A côté de cette rétractation des monarchistes constitutionnels, enregistrons celle des républicains.

Jusqu'à ce jour leur organe le plus sérieux, le National, avait en toute occasion présenté la centralisation administrative comme une œuvre qu'il fallait maintenir à tout prix. Le National a changé d'avis. « Le grand mouvement, dit-il, qui emporte aujourd'hui la France démocratique aura pour résultat inévitable la décentralisation administrative. Or, quand sur tous les points du territoire les citoyens auront pris l'habitude de s'occuper des affaires publiques, quand ils en auront acquis l'intelligence, quand ils seront suffisamment exercés à les débattre, à surveiller leur gestion, alors la liberté ne sera plus une vaine théorie, intelligible seulement pour quelques esprits; elle aura passé des lois dans les mœurs; la nation tout entière en connaîtra le prix par expérience, et la gardera comme son trésor le plus cher; elle sera indestructible, et la monarchie, dont les hommes du passé rêvent toujours le rétablissement, ne sera plus qu'une irréalisable utopie. »>

Ainsi, de l'aveu de tous les partis, le mouvement est irrésistible, et il faut plutôt songer à le régler qu'à l'exciter.

La plupart des Etats de l'Europe sont entrés dans cette voie à la suite des révolutions politiques, mais

jamais, chose remarquable, par des pouvoirs révolutionnaires.

En Belgique, en Hollande, dans les Provinces Rhénanes, partout où la République française avait étendu sa domination, les libertés locales avaient disparu sous le niveau de l'unitarisme. Comment ont-elles été rétablies? Elles l'ont été par les descendants de ces familles patriciennes qui, à l'exemple du bourgmestre d'Anvers, Wan-Huere, sauvèrent, en les achetant par un pieux fidéi-commis, les édifices publics et les richesses qu'ils contenaient, vendus à l'encan par les commissaires de la révolution française.

Les Pays-Bas, cette terre classique de la commune, sont aujourd'hui en possession de leurs franchises locales, non sans doute telles qu'elles existaient au temps d'Artewelde, mais telles que les permettent l'esprit du temps et le principe heureusement raffermi de la nationalité. La loi communale du 30 mars 1836, la loi provinciale du 30 avril suivant, les lois modificatives qui ont suivi l'une et l'autre, toutes conçues dans un esprit de véritable liberté, ont doté la Belgique d'une administration excellente, et ont exercé sur elle une influence politique tellement heureuse que, malgré les excitations auxquelles elle a été en butte, elle est restée calme au milieu des tempêtes qui ont naguère bouleversé la France et l'Europe.

Les principales modifications faites en 1848 à la

1 La loi communale a été modifiée par les deux lois du 30 juin 4842 et par les lois des 4er mars, 21 mars, 23 avril, 1er mai, 29 mai 1848.-La loi provinciale a été modifiée par les lois des 12 mars, 9, 20 et 26 mai 1850.

constitution néerlandaise ont porté sur les administrations communales et provinciales.

Les membres des états provinciaux doivent être élus pour six ans (art. 123). Les états se réunissent aussi souvent que la loi le prescrit, et en outre lorsqu'ils sont extraordinairement convoqués par le roi (art. 124). Ils dressent chaque année leur budget qui doit être approuvé par le roi (art. 127). Leur système d'administration est réglé par la loi provinciale de 1850. La loi communale est en délibération devant les états. L'une et l'autre auront pour objet de faire intervenir les habitants dans la gestion des affaires locales qui étaient exclusivement administrées, selon le système impérial, par des agents du pouvoir. La Hollande cherche avec raison la force et le repos dans les libertés locales 1.

La Prusse et l'Autriche n'ont échappé aux conséquences menaçantes des émeutes de Berlin et de Vienne, qu'en dérivant vers la libre administration du pays l'esprit révolutionnaire dressé comme une machine de guerre contre le gouvernement.

Les lois autrichiennes des 16 mars et 24 juin 1849 ont organisé, selon des principes vraiment libéraux, quatre centres d'administration analogues à ceux que nous proposons pour la France : la commune, le district (ou canton), l'arrondissement (ou cercle), et la province. Au sein de cet État, dont les chefs ont porté glorieusement pendant tant de siècles la couronne héré

1 Voyez le chap. 4, art, 123 et suivants de la Constitution modifiée en 1848, et la loi sur les États provinciaux de 1850. La loi communale est en délibération.

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