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domination du Régent, le vertueux Louis XVI tenta vainement de la sauver en la réconciliant avec une liberté bien réglée: il reprit l'œuvre d'émancipation commencée par le ministre Turgot', et essaya de fonder des administrations provinciales où chacun pút voir de plus en plus ses besoins prévenus, ses intérêts ménagés, ses plaintes discutées. Mais l'esprit libéral des édits du roi martyr2 et des premiers décrets de l'Assemblée constituante s'évanouirent au milieu des convulsions révolutionnaires.

Le régime administratif de la France, tel que l'ont fait la Convention et l'Empire, ne tend à rien moins, surtout avec un gouvernement électif, qu'à nous rameau bas-Empire.

La hiérarchie de nos fonctionnaires est à peu près celle que nous dépeignent les historiens de ce triste temps. Leur nombre s'accroît incessamment, à tel point qu'en vingt ans trente-cinq mille nouveaux fonctionnaires coûtant 63 millions au trésor ont été institués.

Les budgets réunis des ministères de l'intérieur, de l'agriculture et du commerce, des travaux publics et de l'instruction publique, lesquels constituent dans leyr ensemble l'administration intérieure, s'élevaient en 1830 au chiffre total de 144,414,800 fr. ; ils furent portés en 1841 à 247,779,575 fr. Ils figurent dans le budget de 1848 pour 262,357,844 fr., dans celui de 1849 pour 368,586,190 fr., et s'ils ont été réduits en 1850 à 275,080,867 fr. et en 1851 à 266,767,724 fr., c'est par l'abandon, nécessité par les circonstances,

1 Édit de 1764 et de 4765.

Édit de juillet 1776, de mai et juillet 1779, de 1787, etc.

d'une partie considérable des grands travaux commencés au moment de la Révolution de Février.

La plaie de notre administration intérieure, c'est le nombre exagéré des agents salariés de tous grades et des citoyens touchant des retraites ou des émoluments. Ce nombre est de cinq cent trente-cinq mille trois cent soixante-cinq, non compris dix-huit mille agents ou légionnaires payés sur le budget de la Légion d'Honneur et quinze mille cantonniers de route. Il est vrai que trois cent mille agents sont payés par les communes, mais la plupart d'entre eux sont choisis arbitrairement par le ministre et les préfets.

« En examinant l'ensemble de l'administration intérieure du pays, dit le rapporteur du budget de 1850, nous sommes obligés de signaler la ruineuse multiplicité des fonctions et des emplois publics, que nous voyons s'accroître périodiquement, et qui appellent trop d'hommes, au moment de leur entrée dans la carrière de la vie, à solliciter de l'État une existence bornée, mais commode et sûre. Ainsi se perdent l'énergie et l'hononorable indépendance de l'homme obligé d'assurer par lui-même son avenir. Ainsi s'éteignent trop de сараcités qui auraient pu honorer et servir leur pays. Ainsi s'augmente pour les contribuables la charge de ces existences auxquelles il doit pourvoir, sans obtenir de leur travail une valeur égale à ces rémunérations accordées en trop grand nombre. La réduction des emplois publics est désirable sous tous les rapports. >>

Un gouvernement élu par le suffrage universel, quel que fût son titre, quelle que fût la durée de son pouvoir, ne pourrait se soutenir qu'en maintenant la

subordination servile et en accroissant incessamment le nombre et le traitement des fonctionnaires publics. L'insistance avec laquelle on réclame depuis quelque temps comme un des attributs du Président de la République la nomination des instituteurs, des maires, des présidents des sociétés de bienfaisance, etc., indique nettement le but vers lequel on tend.

- L'ère des Césars, rêvée par quelques ambitieux, nous rendrait, par la force des choses, d'un côté les gardes prétoriennes, de l'autre la nuée des fonctionnaires du Bas-Empire avec leur cortège inévitable de servilisme, de corruption et de dilapidations.

Le concours de la démocratie et de la centralisation administrative serait tout à la fois la ruine des libertés, des finances, des mœurs et peut-être de la nationalité françaises.

L'hérédité de pouvoir et les libertés locales peuvent seules résoudre le grand problème de notre temps.

La liberté à la base, l'unité au sommet, c'est-à-dire, la monarchie décentralisée, voilà le régime seul digne d'une nation qui veut, sans rien perdre de son libre gouvernement, le rendre stable, et reprendre sa marche ascendante dans les voies de la civilisation, à l'abri d'une autorité incontestable et incontestée.

Les libertés locales sont le complément et le correctif des libertés politiques conquises par la France en 1789; c'est le seul remède à la double plaie qui dévore nos mœurs et nos finances; c'est le seul moyen de simplifier les rouages administratifs, de réduire la bureaucratie, de multiplier les charges non-salariées et honorifiques, et d'opposer ainsi un double frein aux ambi

tions et aux dilapidations, en même temps que d'imprimer un mouvement salutaire à toutes les branches de l'administration.

Tout dépérit en France sous l'influence déplorable de la centralisation, les intérêts administratifs et les intérêts politiques.

Vainement multiplie-t-on les agents administratifs, les ministres eux-mêmes; vainement, par exemple, le ministre de l'intérieur a-t-il vu répartir entre trois ou quatre autres ministres les innombrables attributions dont il était surchargé par le décret impérial du 27 septembre 1812; vainement, a-t-il ajouté aux moyens d'action dont il disposait le télégraphe même électrique, pour porter des ordres instantanément d'un bout de la France à l'autré: le ministère de l'Intérieur, regorge comme tous les autres d'affaires inachevées.

Nos landes abandonnées, nos cours d'eau transformés sur plusieurs points du territoire en torrents destructeurs, nos montagnes dénudées, nos tronçons de chemin de fer offrent un affligeant contraste avec l'état de culture avancée et avec les moyens de transport perfectionnés qu'on trouve dans la plupart des autres Etats de l'Europe. Mais c'est en vain qu'on demande à grands cris des défrichements, des endiguements, des reboisements, des chemins de fer. L'administration succombe sous le poids des paperasses, et consume toute son activité en une stérile correspondance. Au lieu de surveiller, de diriger les travaux publics, les ingénieurs passent leur vie à attendre des approbations, des rectifications, des modifications; les écritures s'accumulent, et les routes, les ponts, les canaux, les che

mins de fer restent dans un état d'imperfection déplorable. Les écoles, les établissements de bienfaisance publique, toutes les branches de l'administration souffrent également de ce régime bureaucratique qui, sous les apparences d'uniformité, de simplicité, d'ordre, d'activité, n'est en réalité que confusion, désordre, impuissance, et dont le résultat le plus net est de faire affluer dans les caisses du trésor public les sueurs des contribuables, pour les répandre en pluie bienfaisante sur cinq cent mille fonctionnaires, tandis que des millions de travailleurs restent inoccupés.

Aussi jamais la nation française, si attachée d'ailleurs au principe de la centralisation politique, à ce principe de force et de grandeur, lente conquête des siècles, qui d'une société multiple, diverse, fractionnée, a fait la nation la plus unie, la plus compacte de l'Europe par son territoire, par sa langue, par ses lois, par ses mœurs, par tout ce qui constitue l'individualité nationale; jamais, disons-nous, la nation n'avait supporté avec tant d'impatience le despotisme administratif qui pèse sur elle depuis quarante ans, despotisme funeste aux intérêts du travail, attentatoire au droit de propriété, ruineux pour les finances, menaçant pour la liberté, pour le pouvoir et même pour l'unité politique.

La presse et les conseils-généraux des départements voient dans la décentralisation administrative, qu'ils réclament à l'envi, non-seulement le moyen de rendre l'administration plus active, moins coûteuse, mais encore celui de ramener dans les campagnes les bras qui s'en éloignent pour aller s'exposer dans les villes aux

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