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Majesté, non-seulement tous les tableaux appartenant à la Prusse propre, mais même ceux qui appartenaient au territoire prussien sur la rive gauche du Rhin, et tous ceux qui étaient la propriété de Sa Majesté Prussienne. L'affaire alors devint urgente, et votre seigneurie écrivit une note dans laquelle la chose fut complétement discutée.

Le ministre du roi des Pays-Bas n'ayant pas encore reçu de réponse satisfaisante de la part du gouvernement français, s'adressa à moi comme commandant en chef de l'armée du roi des Pays-Bas, et me demanda si j'avais aucune répugnance à employer les troupes de Sa Majesté à se mettre en possession de ce qui appartenait indubitablement à Sa Majesté. Je mis cette question sous les yeux des ministres des monarques alliés, et comme on ne trouva aucune objection à la chose, je crus devoir prendre les mesures nécessaires pour obtenir ce à quoi il avait droit.

J'en parlai en conséquence au prince de Talleyrand, et lui fis part de ce qui s'était passé dans les conférences, ainsi que des raisons que j'avais de penser que le roi des Pays-Bas avait droit à ses tableaux, et je le priai de mettre la chose sous les yeux du Roi de France, et de supplier Sa Majesté de me faire la faveur de déterminer la maniere dont je pourrais remplir l'objet du Roi des PaysBas sans offenser en rien Sa Majesté.

Le prince Talleyrand me promit une réponse pour le lendemain au soir; mais comme elle ne parut point, j'allai le trouver dans la nuit, et j'eus avec lui une seconde conférence dans laquelle il me donna à entendre que le roi ne voulait donner aucun ordre à ce sujet, que je pourrais faire ce que je jugerais à propos, et négocier avec M. Denon, le directeur du Musée.

J'envoyai le matin mon aide-de-camp, le lieutenantcolonel Freemantle, vers M. Denon, qui lui dit qu'il n'avait point ordre de délivrer aucun des tableaux de la galerie, et qu'il n'en laisserait enlever aucun à moins qu'il ne fût enlevé par la force.

J'envoyai alors le colonel Freemantle au prince de Talleyrand, pour lui faire part de cette réponse, et pour l'informer, que les troupes iraient le lendemain à midi pour prendre possession des tableaux appartenant au roi des Pays-Bas; et lui déclarer que si cette mesure occasionnait quelques désagréments, les ministres du roi seraient

responsables ainsi que M. Denon, de la mesure qu'on prendrait.

Il ne fut cependant pas nécessaire d'envoyer de troupes, parce qu'il y eut constamment une garde prussienne dans la galerie, et que les tableaux furent enlevés sans qu'il fût demandé aucune assistance à mes troupes, si ce n'est à un petit nombre d'hommes qui aiderent comme ouvriers, à les descendre et à les emballer.

On a allégué qu'ayant servi d'instrument à enlever de la galerie les tableaux du roi des Pays-Bas, j'avais été coupable d'une violation du traité que j'avais fait moimême: mais comme il n'est fait aucune mention du Musée dans le traité du 25 de Mars, et comme il semble maintenant que le traité dont on parle est la convention militaire de Paris, il faut faire voir quelle liaison il y a entre cette convention et le Musée.

Je n'ai pas besoin de prouver que les Alliés étaient en guerre avec la France. Il est hors de doute que leurs armées entrerent dans Paris en vertu d'une convention militaire, conclue avec un officier du gouvernement, le préfet du département de la Seine, et un officier de l'armée, qui représentaient les deux autorités civiles et militaires, alors présentes à Paris, et qui étaient chargés par ces autorités de négocier et de conclure en leur nom.

L'article de la convention que l'on prétend avoir été violé, est le lleme, qui est relatif aux propriétés publiques. Je nie positivement que cet article ait aucun rapport quelconqué à la galerie de Tableaux.

Les commissaires français introduisirent dans le projet original, un article tendant à pourvoir à la sûreté de cette espece de propriété; mais le prince Blucher ne voulut jamais y accéder, disant qu'il y avait dans la galerie des tableaux qui avaient été pris à la Prusse, et que Louis XVIII avait promis de restituer, ce qui pourtant n'avait jamais été fait. Je répé.ai cette circonstance aux commissaires français, et ceux-ci me proposerent alors de consentir à l'article, en exceptant les tableaux appartenant à la Prusse. Je répondis à cette proposition que j'étais là comme le représentant des autres nations de l'Europe et que mon devoir était de réclamer pour les autres nations tout ce qui était concédé aux Prussiens. J'ajoutai que je n'avais aucunes instructions concernant le Musée, ni aucunes bases pour me former une opinion sur la maniere dont les souverains voudraient agir, qu'ils insisteraient très-certainement sur ce que le Roi rem

plit ses obligations et que je conseillais que l'article fût entierement omis, laissant cette affaire à la décision des souverains lorsqu'ils arriveraient.

Telle est l'affaire du Musée par rapport au traité. La convention de Paris ne dit absolument rien à ce sujet ; et la négociation qui eut lieu n'aboutit qu'à laisser l'affaire à la décision des souverains.

En accordant que le silence du traité de Paris, de Mai 1814, relativement au Musée eût donné au gouvernement français un droit incontestable aux monuments qu'il contenait, on ne peut nier que ce droit ne fût annullé par la négociation en question.

Ceux qui négocierent pour le gouvernement français jugerent que les armées victorieuses avaient le droit de prendre les ouvrages d'art du Musée, et en conséquence ils firent tous leurs efforts pour les sauver en introduisant un article spécial dans la convention militaire. Cet article fut rejeté la négociation du côté des Alliés devint une nouvelle preuve de la validité de leur droit; ce fut même là le motif qui fit rejeter l'article. Non seulement donc leur possession ne fut pas garantie par la convention militaire, mais même la négociation ne fit que tendre davantage à affaiblir le droit du gouvernement français à la possession, droit que l'on fondait sur le silence du traité de Paris, de Mai 1814.

Les Alliés étant alors en possession légale des objets du Musée, ne pouvaient rien faire de mieux que de les rendre à ceux auxquels ils avaient été enlevés, au mépris des usages du monde civilisé, pendant l'effroyable période de la révolution française et la tyrannie de Buonaparte.

La conduite des Alliés relativement au Musée à l'époque du traité de Paris, doit être attribuée au désir de concilier l'armée, et de confirmer la réconciliation avec l'Europe à laquelle l'armée semblait alors être disposée.

Mais les circonstances sont aujourd'hui totalement différentes; l'armée a trompé la juste attente de l'univers, et a saisi la premiere occasion qui s'est présentée de s'insurger contre son souverain et de servir l'ennemi général de l'humanité, dans le dessein de voir renaître les temps affreux qui s'étaient écoulés et les scenes de pillage auxquelles le monde entier avait opposé des efforts si gigantes

ques.

Cette armée ayant été défaite par les armées de l'Europe, elle a été dissoute par le conseil réuni des souverains.

et il n'est pas de raison pour que les puissances de l'Europe fassent du tort à leurs sujets pour contenter de nouveau cette armée : il ne m'a certes jamais paru nécessaire que les souverains alliés négligeassent cette occasion de rendre justice et de se montrer favorables à leurs propres sujets pour plaire à la nation française. Le sentiment du peuple français à cet égard ne peut être que de l'arrogance nationale.

Les Français voudraient garder les ouvrages d'art, non parce que Paris est le lieu le plus favorable où ils puissent être conservés (car tous les artistes et tous les connaisseurs qui ont écrit sur ce sujet conviennent qu'ils devraient être renvoyés aux lieux où ils étaient dans l'origine); mais parce qu'ils sont le fruit et les trophées des conquêtes.

Le même sentiment qui fait désirer au peuple français de garder les tableaux et les statues des autres nations, doit naturellement faire souhaiter aux autres nations, maintenant que la victoire est de leur côté, de restituer ces objets à leurs propriétaires légitimes; et les souverains alliés doivent éprouver le désir d'opérer cette restitu

tion.

Il est d'ailleurs à désirer tant pour le bonheur de la France que pour celui du monde entier, que si les Français ne sont pas suffisamment convaincus que l'Europe est assez forte pour eux, il faut leur faire sentir que quelqu'étendus qu'aient été pendant un certain temps leurs avantages momentanés et partiels sur l'une ou plusieurs des puissances de l'Europe, le jour de la rétribution doit enfin arriver.

D'après ma maniere de voir, non seulement il serait injuste de la part des souverains de satisfaire le peuple français, mais même le sacrifice qu'ils feraient serait fort impolitique, car il les priverait de l'occasion de donner aux Français une grande leçon morale.

Je suis, mon cher Lord, etc.
Signé)

WELLINGTON.

VARIÉTÉS.

Sur la Reprise des Objets d'Arts et de Science, par M. Malte Brun.

Le plus grand malheur de la France, ce n'est pas d'avoir été vaincue; quelle nation ne l'a pas été? Ce qui est particulierement désolant, c'est l'exaspération de toutes les opinions, de toutes les passions de l'Europe contre un peuple malheureux, affaíbli, épuisé. Les humiliations que le directoire et le gouvernement impérial firent éprouver aux peuples vaincus, ont laissé partout des souvenirs que la sagesse et le temps peuveut seuls effacer. On n'ose prévoir jusqu'où se seraient porté les haines populaires, les vengeances nationales, si la politique élevée des souverains ne les eût retenues; si le nom de Louis XVIII ne les eût modérées.

Dans cette situation des esprits, ne soyons pas étonnés si le cri unanime des nations a réclamé les trésors d'arts et de science accumulés à Paris. Au lieu de nous livrer à des déclamations qui exaspéreraient encore davantage l'Europe, tâchons de comprendre, d'apprécier cet événement qui excite nos regrets.

D'abord, qu'on se mette à la place des autres nations. La cession d'une province blesse l'intérêt de l'état, mais elle ne frappe pas les sens; elle ne reproduit pas aux yeux une image déchirante. Il en est autrement de l'enlevement des objets qui ornent une ville. Rome et Florence, veuves de leurs dieux, contemplent tous les jours, avec une émotion douloureuse, les places où jadis l'Apollon et la Venus attiraient les hommages de l'Europe. Les fideles, assemblés sous les dômes majestueux de Cologne, de Rome ou de Milan, cherchent en vain sur les autels, ces tableaux où le pinceau de Rubens, de Raphaël, du Carrache avait embelli les mysteres de la religion, tableaux qui semblaient avoir été placés sous la protection même de la divinité, et qui ne pouvaient, sans un sacrilége, être enlevés aux temples qu'ils ornaient.

Le deuil était aussi dans les palais des souverains. Plusieurs princes dénués des moyens de jouer un rôle politique, avaient borné la gloire de leur maison à protéger

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