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$ 2. Quels sont les jugements sujets à la tierce-opposition, et dans quel délai elle doit être formée.

Toutes les décisions en premier et dernier ressort des justices de paix, des prud'hommes, des tribunaux de commerce, des tribunaux civils et des cours, sont soumises à cette voie; les arrêts de la cour suprême elle-même, au moins ceux de cassation, n'en sont pas, suivant nous, affranchis (1).

La loi ne fixe pas de délai pour la tierce-opposition; elle est donc proposable en tout temps par voie d'exception, et durant trente ans par voie d'action.

Seulement, lorsque le défendeur à la tierce-opposition principale a, depuis le jugement, continué à posséder l'objet litigieux, il peut parfaitement demander le rejet de la tierce-opposition par défaut d'intérêt, s'il soutient qu'en laissant à l'écart le jugement, il a prescrit contre le tiers-opposant, d'après les principes ordinaires de la prescription, par dix ou vingt ans, par exemple, de possession d'un immeuble avec titre et bonne foi. Mais ce n'est jamais le jugement qui peut lui servir de titre pour la prescription décennale, parce que les jugements ne sont que déclaratifs et non point constitutifs de droits (2).

$ 3. Devant quel tribunal doit étre portée la tierce-opposition. La tierce-opposition principale doit toujours être portée au tribunal qui a rendu la sentence attaquée (475).

Quand elle est incidente à une contestation dont un tribunal est saisi, elle doit être soumise à ce tribunal s'il est égal ou supérieur à celui qui a rendu le jugement (475). S'il n'est égal ou supérieur, elle doit être portée par action principale au tribunal qui a rendu le jugement (476), et le tribunal devant lequel le jugementattaqué a été produit peut, suivant les circonstances, passer outre ou surseoir (477). Il doit passer outre, si le jugement attaqué lui semble devoir rester sans influence sur la nouvelle contestation; il doit surseoir dans le cas contraire : mais il ne peut prononcer le sursis que pour la procédure pendante devant lui, et non point pour les poursuites qui s'exerceraient ailleurs.

La compétence établie pour la tierce-opposition incidente réclame quelques explications.

(1) V. ce que nous avons dit ci-dessus, chap. iv.

(2) Conf. Chauveau sur Carré, quest. 1725, et les autorités qu'il cite. V. aussi | Cass., 11 mars 1873 (D. P. 73. 1. 54).

Cette tierce-opposition ne peut être soumise à un tribunal inférieur à celui qui a rendu le jugement attaqué, parce qu'il impliquerait qu'un juge inférieur pût paralyser la sentence d'un juge supérieur. Ainsi le juge de paix ne peut connaître de la tierce-opposition dirigée contre un jugement d'un tribunal civil ou contre un arrêt.

Le tribunal où la nouvelle contestation est pendante est-il supérieur à l'autre, rien n'est plus naturel qu'il puisse exercer sa puissance en circonscrivant l'effet du jugement rendu par celui-ci. Ainsi une cour peut connaître de toute tierce-opposition formée contre des sentences de juges inférieurs; un tribunal civil ou de commerce, de la tierce-opposition formée contre des sentences de juges de paix ou de prud'hommes. Il importe peu que le juge inférieur ne soit pas dans le ressort du juge supérieur: il ne s'agit pas ici de réformer la sentence, mais seulement d'en préciser la portée.

Enfin, pour plus de célérité, la tierce-opposition peut même être portée devant un tribunal égal à celui qui a rendu la sentence attaquée; mais l'application de cette règle n'est pas exempte de difficulté.

Le tribunal saisi de la seconde contestation peut en effet n'être pas du même ordre que l'autre. Le premier sera, par exemple, un tribunal civil; le second, un tribunal de commerce, ou réciproquement. Nul doute qu'un tribunal civil ne puisse connaître de la tierce-opposition formée contre la sentence d'un tribunal de commerce; mais la réciproque ne paraît point vraie: quoique placés sur la même ligne dans la hiérarchie judiciaire, les tribunaux civils l'emportent pourtant sur les tribunaux de commerce en ce qu'ils connaissent de l'exécution de leurs propres sentences et de celles des tribunaux d'exception, tandis que les tribunaux de commerce ne peuvent pas même connaître de l'exécution de leurs propres jugements.

Quand un jugement de première instance a été confirmé sur fappel, doit-on se pourvoir par tierce-opposition devant le juge qui a rendu le jugement de première instance, ou devant celui qui a statué sur l'appel? C'est, à notre avis, devant le premier, parce qu'il retient en cas pareil la connaissance de l'exécution de sa sentence, dont la tierce-opposition a pour but de limiter la portée; partant, si la tierce-opposition est incidente, il semble qu'elle peut être soumise à un tribunal égal à ce juge de première instance, quoique inférieur à celui qui a statué sur l'appel.

$ 4. Comment se forme la tierce-opposition.

Elle se forme par requête signifiée d'avoué à avoué, quand elle est proposée incidemment devant un tribunal qui peut en connaître (475). En tout autre cas, elle doit être formée par exploit signifié à personne ou domicile. Mais lors même qu'elle est principale, elle est affranchie de l'épreuve conciliatoire; elle n'est pas, en effet, à proprement parler, introductive d'instance, et il serait étrange que de toutes les voies ordinaires ou extraordinaires pour attaquer les jugements, ce fût la seule soumise à cette épreuve (1).

$ 5. Des effets de la tierce-opposition.

La tierce-opposition, comme les autres voies extraordinaires, n'a point d'effet suspensif; mais les juges peuvent quelquefois faire fléchir la règle.

L'art. 478 dispose à cet égard : « Les jugements passés en force de chose jugée, portant condamnation à délaisser la possession d'un héritage, seront exécutés contre les parties condamnées nonobstant la tierce-opposition, et sans y préjudicier. — Dans les autres cas, les juges pourront, suivant les circonstances, suspendre l'exécution d'un jugement. » Pour que la première disposition de cet article soit applicable, il faut deux conditions: la première, que le jugement soit passé en force de chose jugée. S'il n'a pas acquis cette autorité, il ne serait pas juste que la négligence que met la partie condamnée à se pourvoir par les voies légales pût préjudicier au tiers-opposant. La seconde condition, c'est que l'exécution de la sentence, en ce qui touche le délaissement, puisse se poursuivre contre la partie condamnée, c'est-à-dire que cette partie ait actuellement la saisine légale de l'immeuble. Si l'immeuble est déjà possédé par le tiers, il y aurait trop de rigueur, ce nous semble, à l'obliger dans tous les cas à délaisser cette possession.

Mais, on l'a déjà dit, si le revendiquant a mal engagé son action dès le principe et qu'il ait actionné un autre que le vrai possesseur, celui-ci n'est pas même obligé, pour arrêter l'effet de la sentence, de se pourvoir par tierce-opposition et d'obtenir un sursis: il peut, s'il est troublé, se pourvoir au possessoire. Le sursis peut toujours être prononcé en matière mobilière,

(1) Carré, quest. 1724, n'ose pas se prononcer.

quoique les meubles soient au pouvoir de la partie condamnée. La raison de la différence est que les immeubles ne sauraient disparaître, tandis que les meubles sont susceptibles d'un détournement facile. Le sursis doit être prononcé dès que le tiersopposant est menacé d'un préjudice irréparable, comme lorsqu'en vertu de la sentence attaquée l'on poursuit la vente des meubles dont le tiers-opposant se dit lui-même propriétaire.

§ 6. De l'instruction et du jugement sur la tierce-opposition.

L'instruction de la tierce-opposition ne diffère en rien de celle des autres procès.

Si la tierce-opposition est accueillie, le jugement ne doit être rétracté que dans l'intérêt du tiers-opposant, à moins que la matière ne soit indivisible (1).

Si elle est rejetée, l'opposant doit être condamné à une amende de cinquante francs, sans préjudice des dommages et intérêts de la partie s'il y a lieu (479): par exemple, s'il avait obtenu un sursis qui ait préjudicié à cette partie. L'amende est encourue, soit que la tierce-opposition soit écartée comme non recevable, ou rejetée comme mal fondée: mais elle ne peut être exigée qu'autant qu'elle a été prononcée.

CHAPITRE VIII

Des voies ouvertes contre les ordonnances des présidents et des juges-commissaires.

Il est des ordonnances qui ne sont sujettes à aucun recours : ce sont celles qui ne peuvent causer aux parties aucun préjudice sérieux et dont l'effet est toujours réparable en définitive. On dit sans cesse: point d'intérét, point d'action; on peut dire aussi : point de grief, point de recours.

Ainsi, un président permet de citer ou d'exécuter un jour de dimanche ou de fête; un juge autorise une saisie-arrêt, une saisie-gagerie ou toute autre saisie conservatoire en faveur d'un créancier qui n'a point de titre écrit; un juge de paix permet à - un créancier non fondé en titre exécutoire de requérir l'apposition des scellés; un juge-commissaire fixe pour l'audition des témoins un jour auquel l'une des parties ou l'un des avoués

(1) Cass., 26 août 1811 et 13 janvier 1814 (D. A. Tierce-opposition, 253-2°. S. chr. P. chr.) et 12 janvier 1814 (D. A. Tierce-opposition, 48-1°. - S. chr.

P. chr.).

aurait voulu s'absenter: non-seulement ces ordonnances ne

jugent rien, mais encore le préjudice qu'elles occasionnent est nul ou à peu près nul. Des intérêts peuvent se trouver froissés, aucun droit n'est compromis, et l'on sait quel immense intervalle sépare l'intérêt du droit : partant, aucun recours n'est ouvert. A plus forte raison tout recours est-il fermé quand la permission sollicitée est refusée, car le juge peut toujours refuser une faveur; seulement le refus donnerait ouverture à prise à partie s'il y avait dol de la part du juge.

Au contraire, l'ordonnance peut être attaquée toutes les fois qu'elle cause à l'une des parties un préjudice sérieux. Ainsi, un juge-commissaire aura fixé pour l'audition des témoins un jour tellement rapproché qu'il sera impossible de faire l'enquête régulièrement, ou tellement éloigné qu'une partie pourra en éprouver un dommage notable: il aura dans une procédure de vérification d'écritures refusé d'ordonner que le défendeur ferait un corps d'écriture; dans une reddition de comptes, il aura refusé d'accorder un exécutoire pour l'excédant avoué de la recette sur la dépense; à suite d'un désistement, le président du tribunal ou de la cour aura fixé les frais du défendeur à une somme trop élevée dans tous ces cas et dans une foule d'autres semblables, la partie lésée est fondée à se plaindre.

Mais quelle voie doit-elle adopter, celle de l'opposition ou celle de l'appel? Quand le président ou le juge-commissaire statue en référé, la voie de l'appel est la seule ouverte le juge exerce alors une juridiction propre, et non pas un pouvoir emprunté. Dans tous les autres cas, celle de l'opposition, qui est la plus simple, peut être utilement employée, et cette opposition doit être portée, non devant le président seul, mais devant le tribunal tout entier (1). C'est le cas notamment de l'opposition formée envers la décision du président rendue sur l'opposition aux qualités.

On ne procède pas autrement en matière de distribution par contribution et d'ordre; le travail du commissaire est d'abord querellé devant le tribunal avant d'être soumis à la cour: il y a même raison de décider en toute autre matière, quandaucune disposition spéciale n'indique de dérogation à ces règles.

(1) Tels étaient les principes du droit canonique. Quand le déléguant substituait absolument le délégué à sa place et lui transmettait ainsi toute la juridiction, il fallait appeler au juge supérieur du déléguant. Mais quand celui-ci n'avait donné qu'un mandat partiel et n'avait pas abdiqué, pour ainsi parler, sa juridiction, on pouvait | lui demander la réformation des actes du juge délégué. V. cap. 27, extrà, de officio et potest. jud. deleg.

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