L'art. 2 du Code de procédure doit, au surplus, être complété par l'art. 59. Si donc il y a plusieurs défendeurs en matière personnelle, le demandeur assignera devant le juge de paix du domicile de l'un d'eux, à son choix; s'il y a eu élection de domicile, il pourra citer devant le juge du domicile élu. L'art. 60 C. pr. paraît aussi s'appliquer aux justice de paix pour les frais faits par les huissiers ou greffiers de ces justices, quand même ils excèderaient deux cents francs. L'art. 60 nous semble déroger à toutes les autres règles de compétence. SECTION III. De la prorogation de la juridiction des juges de paix. Cette prorogation est autorisée par l'art. 7 C. pr. qui dispose : « Les parties pourront toujours se présenter volontairement devant un juge de paix; auquel cas il jugera leur différend, soit en dernier ressort, si les lois ou les parties l'y autorisent, soit à la charge de l'appel, encore qu'il ne fût le juge naturel des parties, ni à raison du domicile du défendeur, ni à raison de la situation de l'objet litigieux. La déclaration des parties qui demanderont jugement sera signée par elles, ou mention sera faite si elles ne peuvent signer. >>> Il résulte évidemment de cet article que les parties peuvent couvrir volontairement l'incompétence du juge de paix quand elle n'est pas à raison de la matière, mais seulement à raison de la personne ou de la situation de l'objet; cette incompétence se couvre même implicitement, aux termes de l'art. 169, quand elle n'est pas proposée avant toutes autres exceptions ou défenses. Il en résulte encore que les parties peuvent autoriser le juge de paix à juger en dernier ressort tous les différends dont il ne pourrait, d'après la loi, connaître qu'en premier ressort, auquel cas la déclaration des parties doit, de toute nécessité, être constatée expressément de la manière prescrite par l'art. 7 du Code de procédure. Une déclaration qui ne serait indiquée que dans les qualités du jugement serait insuffisante (1). Résulte-t-il de ce même article 7 que les parties puissent soumettre volontairement au juge de paix un différend à l'égard duquel il est incompétent ratione materiæ? La plupart des auteurs font à cet égard une distinction. S'il s'agit d'une action personnelle qui n'intéresse que des parties capables, le (1) Cass. 9 mars 1857 (P. 1857. 249. - D. P. 157. 1. 25). juge de paix ayant le germe, en quelque sorte, de la compétence pour toutes les actions purement personnelles ou mobilières dont il peut connaître jusqu'à 200 fr., les parties peuvent développer ce germe me et autoriser le juge de paix à statuer sur le différend, à quelque valeur qu'il puisse s'élever. Si, au contraire, il s'agit d'une demande réelle immobilière ayant trait, non pas à la possession, mais à la propriété, comme le juge de paix n'a pas même un germe de compétence en ces matières, il ne peut, même du consentement des parties, en prendre connaissance en sa qualité de juge: il ne pourrait en connaître que comme arbitre. On appuie cette distinction sur deux arrêts de la Cour de Cassation des 22 déc. 1806 et 10 janv. 1809. D'autres auteurs, M. Carré, quest. 27, M. Dalloz, 29, 1, 247, et M. Bénech, Traité des justices de paix, page 346 et suiv., font une sous-distinction: ils admettent la prorogation de quantitate ad quantitatem quand elle est expresse; mais ils ne pensent point qu'elle puisse s'induire du silence des parties (1). Quant à nous, nous pensons avec M. Boitard, t. 2, p. 394 et suiv., que l'art. 7 C. pr. n'autorise aucune dérogation aux règles de la compétence ratione materiæ. Il y a, ce nous semble, trop de danger, surtout quand les parties ne savent pas signer, à livrer ainsi à un juge de paix la connaissance de litiges d'où toute la fortune d'une partie peut dépendre. Au surplus, quant aux causes qui touchent à l'ordre public ou à l'intérêt des tiers, comme les séparations de corps ou de biens entre époux, et autres du même genre, tout le monde reconnaît que le juge de paix n'en saurait connaître à aucun titre. La sentence du juge de paix, en cas de prorogation, est un véritable jugement, et ne saurait, sous aucun rapport, être assimilée aux sentences arbitrales. Les tuteurs, administrateurs et mandataires peuvent consentir expressément à la prorogation de juridiction, si l'incompétence du juge ne résulte que du domicile de la partie ou de la situation de l'objet, puisqu'ils pourraient couvrir cette incompétence d'une manière tacite; mais ils ne pourraient point renoncer valablement à l'appel. (1) Cette distinction semble avoir été adoptée par la Cour de Cassation dans ses arrêts des 12 mars 1829 (P. chr. S. chr. - D. A. Comp. Tr. de paix, 320), 9 mars 1857 (P. 1857. 249. D. P. 57. 125) et 5 janvier 1858 (S. 1858. 1. 302. - P. 1858.767.D. P. 58. 1. 36). Il va sans dire, puisque nous n'admettons pas la prorogation de quantitate ad quantitatem, que nous préférons de beaucoup la doctrine qui, dans l'opinion contraire, exige au moins dans ce cas une déclaration de prorogation trèsexpresse. Le juge de paix, au surplus, ne peut décliner la juridiction que les parties lui attribuent; l'art. 7 est conçu, à son égard, en termes impératifs (1). CHAPITRE II Des Tribunaux civils d'arrondissement. Nous suivrons ici le même ordre que dans le chapitre précédent, c'est-à-dire que nous parlerons d'abord des attributions des tribunaux civils envisagés par rapport aux autres juridictions, ou de leur compétence ratione materiæ; en deuxième lieu, de la compétence de ces tribunaux les uns vis-à-vis des autres, ou de leur compétence ratione persona; en troisième et dernier lieu, de la prorogation de leur juridiction: ce sera l'objet d'autant de sections séparées. SECTION PREMIÈRE. De la compétence des tribunaux civils à raison de la matière. Les tribunaux civils connaissent, comme juges de second degré: 1o des appels dirigés contre les sentences des justices de paix, quand ces sentences sont sujettes à l'appel; 2o des appels dirigés contre les sentences arbitrales rendues sur des matières qui eussent été, soit en premier, soit en dernier ressort, de la compétence du juge de paix. Ils connaissent comme juges de première instance, de toutes les actions qui ne rentrent pas dans les attributions de l'autorité administrative, et qui n'ont pas été attribuées par des textes formels aux justices de paix, aux tribunaux de commerce, ou aux conseils de prud'hommes (2). La règle est que les tribunaux civils, saisis comme juges de premier degré, ne statuent sur les différends qui leur sont sou (1) Contrd, Pigeau, tom. 1, p. 17, et Thomine-Desmazures, t. 1, p. 62. (2) Notons que les tribunaux civils restent compétents, même entre commerçants ou fabricants, pour statuer sur les difficultés que suscitent des questions de propriété intellectuelle, difficultés fort délicates et parfaitement distinctes des actes de commerce à propos desquels elles peuvent se produire. C'est ainsi que la loi du 5 juillet 1844 leur attribue la connaissance des difficultés relatives aux brevets d'invention, et celle du 23 juin 1857 les actions civiles relatives aux marques de fabrique, ce qui doit s'étendre à la propriété des dénominations commerciales et des enseignes. (Cass. 22 mars 1864. - S. 1864.1.345. – P. 1864. 917. - D. P. 64. 1. 334.) mis qu'à la charge de l'appel: mais cette règle souffre de nombreuses exceptions. Ainsi, d'après le décret du 16 février 1807, art. 6, on ne peut appeler de la taxe des dépens que lorsqu'il y a appel sur le fond. Ainsi encore, d'après l'article 65 de la loi du 22 frimaire an VII, les tribunaux civils jugent en dernier ressort toutes les contestations relatives à la perception des droits de timbre ou d'enregistrement. En matière de saisie immobilière, nombre d'incidents sont aussi jugés en dernier ressort (C. pr. 730 et 746). Dans les divers cas que l'on vient d'indiquer, le tribunal civil juge en dernier ressort, quelle que puisse être la valeur du litige. Mais l'exception la plus importante au droit d'appeler, est celle que consacre la loi du 11 avril 1838. Suivant l'art. ler de cette loi : « Les tribunaux civils de première instance connaissent, en dernier ressort, des actions personnelles et mobilières jusqu'à la valeur de quinze cents francs de principal, et des actions immobilières jusqu'à soixante francs de revenu déterminé, soit en rente, soit par prix de bail. » Nous n'examinerons pas ici les nombreuses difficultés qui peuvent s'élever pour la fixation du chiffre du dernier ressort: elles font l'objet d'un titre séparé, que nous rattachons au titre de l'Appel. SECTION II. De la compétence des tribunaux civils ratione personæ. En droit romain, il était de principe que le défendeur devait être assigné devant le juge de son domicile, actor sequitur forum rei; le défendeur pouvait aussi, du moins en général, être cité devant le juge dans le ressort duquel le contrat avait été passé, ou dans le ressort duquel l'obligation avait pris naissance. (L. 2, § 4, et 19, $ 1, D. de judiciis.) Quant aux actions réelles, elles devaient être portées devant le juge de la situation de l'objet litigieux (L. 3, C. ubi in rem actio exerceri debeat); mais suivant Vinnius sur le § 1, Inst. de actionibus, et quelques autres auteurs, elles pouvaient l'être aussi devant le juge du domicile du défendeur, au choix du demandeur. L'ordonnance de 1667 ne fixait aucune règle de compétence : ses auteurs s'en étaient remis sur ce point à la doctrine. Voici les règles qui étaient généralement admises; nous les empruntons à Rodier, sur l'art. 1er, tit. 6, de l'ordonnance. « Toute action personnelle, dit cet auteur, doit être intentée devant le juge du domicile du défendeur, selon cette maxime: actor sequitur forum rei. Toute action purement réelle doit être intentée devant le juge dans la juridiction duquel les biens qu'on demande sont situés. Il y a encore des actions mixtes, c'est-àdire qui tiennent du personnel et du réel; et comme la personne est plus noble que la chose, elle décide de la compétence, c'est-à-dire qu'on doit tenter cette action devant le juge du domicile du défendeur. L'action en partage d'une succession ou d'un fonds commun est une action mixte. « Si en action personnelle j'ai deux parties à assigner, comme, par exemple, deux cohéritiers qui seront domiciliés en deux différentes juridictions ressortissant à un même sénéchal, je dois les assigner devant le sénéchal comme juge commun; et par la même raison, s'ils sont domiciliés en des sénéchaussées différentes, je dois impétrer des lettres pour assigner au parlement où les deux sénéchaux ressortissent; et si les deux sénéchaux ressortissent en différents parlements, il faut se pourvoir au conseil en règlement de juges, suivant l'ordonnance de 1737. » Telles sont les règles générales exposées par Rodier, et qu'avaient admises généralement les autres auteurs; mais ces règles souffraient exception toutes les fois qu'une des parties avait le privilége de faire juger ses causes dans un tribunal ou une cour déterminés. Ces priviléges, qui étaient fort communs autrefois, et qu'on désignait sous le nom de Committimus, compliquaient singulièrement les règles de compétence. Les priviléges de Committimus sont inconnus aujourd'hui, et, quelles que soient les personnes que le procès intéresse, il faut toujours suivre les règles tracées par les art. 59 et 60 du Code de procédure, qui, comme on va le voir, confirment, corrigent ou étendent les règles générales qu'on avait admises dans l'ancienne jurisprudence. Nous allons indiquer successivement les règles de compétence dans les matières personnelles, réelles et mixtes, et en matière de société, de succession, de faillite, de garantie, d'élection de domicile, de paiement de frais, d'exécution et d'offres réelles. D'autres règles de compétence relatives à des cas tout-à-fait particuliers trouveront plus naturellement leur place sous les textes spéciaux du Code de procédure qui les établissent. |