Page images
PDF
EPUB

au possessoire, à plus forte raison l'instance possessoire engagée doit-elle être jugée, quoique le défendeur ait depuis formé une demande au pétitoire (1).

Parlons maintenant du cas où l'action possessoire a été engagée la première.

Celui qui a engagé cette action possessoire peut-il, avant qu'elle soit terminée, se pourvoir au pétitoire? L'affirmative nous paraît certaine en principe, puisque aucun texte ne le défend; seulement, en prenant la voie du pétitoire, la partie est censée renoncer virtuellement à son action possessoire, et confesser la possession de son adversaire. Mais si le défendeur au possessoire s'était lui-même porté demandeur reconventionnellement, et avait soutenu avoir été la victime et non point l'auteur du trouble, en ce cas le demandeur originaire serait devenu défendeur à la même action quant aux conclusions reconventionnelles de son adversaire, et dès lors il paraîtrait devoir être soumis à la règle posée dans l'art. 27.

D'après cet article, « le défendeur au possessoire ne peut se << pourvoir au pétitoire qu'après que l'instance sur le possessoire « a été terminée; et il ne peut, s'il a succombé, se pourvoir << qu'après qu'il a pleinement satisfait aux condamnations pro« noncées contre lui; » ce qui comprend les restitutions de fruits, les dommages-intérêts et les dépens. De même, si l'action pétitoire avait été engagée avant la possessoire, le défendeur condamné sur celle-ci ne paraîtrait pas recevable à continuer celle-là, tant qu'il n'aurait pas acquitté les condamnations prononcées contre lui au possessoire (2).

Il ne faudrait pas toutefois que le demandeur qui a obtenu gain de cause au possessoire, pût empêcher indéfiniment son adversaire de se pourvoir au pétitoire, en retardant tout exprès la liquidation des condamnations qu'il aurait obtenues. Aussi l'art. 27 ajoute-t-il que, si la partie qui a obtenu les condamnations est en retard de les faire liquider, le juge du pétitoire peut fixer, pour cette liquidation, un délai, après lequel l'action au pétitoire sera reçue. Mais le défendeur ne semblerait pas de plein droit recevable à se pourvoir au pétitoire en offrant simplement une caution pour le paiement des condamnations non liquidées.

Si c'est le demandeur au possessoire qui a succombé, il n'est pas obligé de payer préalablement les dépens pour se pourvoir au pétitoire; le législateur l'a traité, sous ce rapport, avec plus

(1) Cass. 9 juin 1869 (S. 1869. 1. 412. P. 1869. 1073. - D. P. 69. 1. 471). (2) Contrà, Riom 29 juin 1809 (S. chr. - P. chr. - D. A. Action poss, 819).

d'indulgence que le défendeur, parce qu'il a supposé qu'il n'aurait commis aucune voie de fait; mais s'il avait, au contraire, commis lui-même quelque voie de fait à l'occasion de laquelle l'autre partie se serait portée demanderesse reconventionnellement et l'aurait fait condamner à ce titre, il devrait être assimilé au défendeur originaire, et assujetti au paiement préalable des condamnations.

Faisons remarquer, en finissant, que celui qui obtient une restitution de fruits au possessoire, peut être condamné plus tard au pétitoire à rendre ces mêmes fruits à son adversaire, s'il est jugé qu'il possédait de mauvaise foi; mais la mauvaise foi du possesseur ne saurait résulter du trouble matériel et illégal que le propriétaire aurait porté à sa jouissance avant de se pourvoir au pétitoire. D'après deux arrêts de la cour suprême des 28 décembre 1857 et 11 août 1865, la sentence rendue au possessoire ne fait même nul obstacle à ce que le juge du pétitoire apprécie autrement que ne l'avait fait le juge du possessoire la possession qui avait motivé le jugement de celui-ci, et qu'il ne décide, par exemple, que la possession estimée par le juge de paix suffisante pour motiver l'action possessoire n'a pas empêché l'autre partie de prescrire. Ces arrêts, à notre avis, sont allés trop loin : ils semblent assimiler le juge du possessoire aux juges des référés, qui ne statue jamais que d'une manière provisoire; et c'est à tort. Le juge du possessoire ne peut jamais juger que la question de possession; mais cette question, il la juge définitivement. L'appel ouvert en toute hypothèse aux parties contre les sentences des juges de paix leur offre des garanties suffisantes de bonne justice sur cette question préliminaire.

$ 5. De la compétence du juge de paix en matière de cours d'eau.

On a vu que la loi du 25 mai 1838 attribue compétence au juge de paix pour les entreprises commises sur les cours d'eau servant à l'irrigation des propriétés ou au mouvement des usines et moulins. Ces termes de la loi nous semblent indiquer d'abord qu'ils s'appliquent seulement aux cours d'eau qui servent exclusivement à des intérêts privés, et non pas à ceux qui sont affectés à un usage public, tels que les rivières navigables ou flottables. Les entreprises commises sur ces rivières doivent être réprimées par les conseils de préfecture comme contraventions de grande voirie, et si un particulier est lésé par ces entreprises, il ne peut avoir qu'une simple action en dommages-intérêts devant les juges ordinaires.

Les termes de la loi paraissent exclure également les eaux stagnantes, ou même les eaux courantes qui ne coulent pas habituellement, comme les eaux pluviales ou ménagères. A la vérité, si les entreprises faites à l'occasion de ces eaux constituent un trouble à une possession suffisamment caractérisée, ce trouble pourra être réprimé par le juge de paix, parce qu'il rentrera dans la classe générale des actions possessoires, comme, par exemple, si le propriétaire inférieur arrête les eaux pluviales qui découlent naturellement du fonds supérieur (1), ou, à l'inverse, si le propriétaire supérieur aggrave par son fait cette servitude. Mais si un individu fait des travaux pour retenir des eaux pluviales qu'il laissait arriver précédemment au fonds inférieur, le juge de paix ne pourra ordonner la destruction de ces travaux, parce que ces eaux, n'ayant pas de cours proprement dit, ne rentrent pas dans la disposition spéciale de la loi, et d'autre part, que leur possession n'est pas, ce semble, assez caractérisée pour qu'elles puissent être acquises par prescription ou donner lieu à l'action possessoire (2).

Pour les cours d'eau à l'égard desquels la loi attribue compétence au juge de paix, ce juge doit éviter d'empiéter sur l'autorité administrative.

Il y a, quant aux actes administratifs qui peuvent intervenir à l'égard de ces cours d'eau, une distinction importante à faire. L'administration a-t-elle permis seulement certains travaux, comme, par exemple, à un usinier d'élever son déversoir, cette permission n'est censée accordée que sauf les droits des tiers, et par conséquent, sur l'action possessoire de ceux-ci, le juge de paix, suivant nous, pourrait ordonner la destruction des travaux, que l'administration n'avait autorisés que dans l'intérêt de l'usinier.

La Cour de Cassation qui avait d'abord jugé le contraire le 26 janvier 1841 (S. 1841.1.409 P. 1841.1.640) et le 19 août 1845 (S. 1846.1.44. P. 1845.2.753. D. A. Action poss. 408), juge aujourd'hui dans ce sens (3), et la jurisprudence nouvelle, à notre avis, est certainement la bonne.

(1) Cass. 13 juin 1814 (S. chr. - P. chr. - D. A. Action poss. 368).

(2) Si donc les travaux faits semblaient pouvoir servir de base à la prescription, le juge de paix serait compétent. Cass. 16 mars 1853 (S. 1853. 1. 621. P. 1854. 2. 675), 22 avril 1863 (S. 1863. 1. 479. - P. 1864.388) et 16 janvier 1865 (S. 1865. 1. 132.-P. 1865. 286. - D. P. 65. 1. 182).

(3) Arrêts des 1er août 1855 (S. 1856. 1. 441. - P. 1856. 2. 559), 15 février 1860 (S. 1861. 1. 56. P. 1860. 693), 18 avril 1866 (S. 1866. 1. 330. — P. 1866. 894. D. P. 68. 1. 197) et 22 janvier 1868 (S. 1868. 1. 128. — P. 1868. 293).

L'administration a-t-elle, au contraire, ordonné certains travaux, l'action possessoire ne peut plus avoir pour objet de faire remettre les choses en l'ancien état: ce serait impossible dans le cas particulier sans empiéter sur l'autorité administrative. Mais, dans ce cas-là même, l'action possessoire nous semble recevable, à l'effet de bien faire constater, si l'on prévoit des difficultés ultérieures sur ce point, la nature et l'étendue de la possession quand les travaux ont été faits. Cette constatation parfois peut être très-utile au possesseur pour régler plus tard l'indemnité qui sera due (1).

SECTION II

De la compétence des juges de paix ratione personæ.

Les règles de cette compétence sont écrites dans les art. 2 et 3 du Code de procédure.

« En matière purement personnelle ou mobilière, la citation doit être donnée devant le juge du domicile du défendeur; s'il n'a pas de domicile, devant le juge de sa résidence (art. 2). Elle le sera devant le juge de la situation de l'objet litigieux lorsqu'il s'agira: 1o des actions pour dommages aux champs, fruits et récoltes; 2o des déplacements de bornes. des usurpations de terres, arbres, haies, fossés et autres clôtures commis dans l'année, et de toutes autres actions possessoires; 3o des réparations locatives; 4o des indemnités prétendues par le fermier ou locataire pour non-jouissance, lorsque le droit ne sera pas contesté, et des dégradations alléguées par le propriétaire (art. 3). >>>

La loi du 25 mai 1838, en étendant les attributions du juge de paix, n'a point déterminé quel serait le juge compétent pour connaître de ces attributions nouvelles de là peuvent naître quelques difficultés qu'il s'agit de résoudre.

Il paraît certain d'abord que les actions relatives à l'élagage des arbres ou haies, au curage des fossés ou canaux, au bornage, à l'observation des distances pour les plantations, et aux constructions ou travaux énoncés dans l'art. 674 du Code civil, doivent toutes être portées devant le juge de la situation de l'objet litigieux. Toutes ces actions, en effet, sont réelles ou tout au moins mixtes; elles ne sauraient dès lors rentrer dans la classe des matières purement personnelles dont parle l'art. 2 C. proc., et partant, elles ne peuvent être régies que par l'art. 3.

1) Cass. 9 janvier 1856 (S. 1856. 1. 317. — P. 1856.2.45) et 8 novembre 1864 'S. 1864. 1. 495. — P. 1864. 1260. D. P. 65. 1. 61).

Quant aux demandes alimentaires, il est indubitable qu'elles doivent être portées devant le juge du domicile du défendeur, parce qu'elles sont purement personnelles.

Il en est de même des contestations entre maîtres et domestiques ou gens de travail, des contestations relatives au paiement des nourrices, et des actions civiles pour diffamation, injures, rixes ou voies de fait.

Lors de la discussion de la loi du 25 mai 1838, il fut également reconnu que les contestations entre les hôteliers ou logeurs et les locataires en garni, et entre les voituriers, bateliers, carrossiers ou autres ouvriers et les voyageurs, seraient régies par l'art. 2 du Code de procédure. On fit remarquer que, si les effets du voyageur ou locataire en garni étaient retenus comme gage de ses dettes, ce voyageur ou locataire devrait naturellement s'adresser, pour faire cesser cet obstacle, au juge de paix du domicile de son adversaire; et que, si celui-ci n'avait pas retenu les effets du voyageur ou locataire en garni, il n'y avait pas de raison suffisante pour lui permettre de traduire ce voyageur ou locataire devant un autre juge que celui de son domicile (Moniteur du 24 avril 1838).

Mais la difficulté semble devenir plus sérieuse à l'égard des actions en paiement de loyers ou fermages, des congés, des demandes en résiliation de baux fondées sur le défaut de paiement des loyers ou fermages, expulsion des lieux et validité de saisie-gagerie. On peut soutenir, d'un côté, que toutes ces actions naissant d'un contrat de bail sont purement personnelles et doivent dès lors être régies par l'art. 2. Mais, d'autre part, l'analogie et souvent la connexité qui existe entre ces actions et celles relatives aux réparations locatives, aux dégradations et pertes et aux indemnités de non-jouissance, dont l'art. 3 attribue formellement la connaissance au juge de la situation de l'immeuble loué; la nécessité d'appliquer des usages locaux et souvent de visiter les lieux, que ces actions supposent; enfin, le vœu si clairement manifesté par les auteurs de la loi du 25 mai 1838, d'assurer aux propriétaires une justice aussi prompte qu'économique vis-à-vis de leurs locataires, sont autant de raisons graves qui nous portent à penser que, dans l'esprit de la loi, toutes ces actions doivent également être portées devant le juge de la situation de l'immeuble loué ou affermé, encore que le bailleur ou le preneur aient leur véritable domicile ailleurs.

« PreviousContinue »