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rale qui doit les maintenir sous la surveillance de l'administration.

La loi fait cesser la compétence du juge de paix, dans tous les cas que nous avons exprimés, lorsque les droits de propriété ou de servitude sont contestés. Cette restriction nécessite plusieurs explications

En résulte-t-il d'abord que le fermier ne puisse exercer l'action en réparation du dommage causé aux fruits ou récoltes dont il doit profiter? On ne saurait le penser. L'action possessoire ne peut, en général, il est vrai, être engagée par le fermier; mais l'action dont nous parlons ici n'est pas une action possessoire, et ne saurait par conséquent être régie par les mêmes principes. Cette action semble appartenir, puisque la loi ne fait aucune distinction, à quiconque a souffert du dommage, c'est-à-dire au fermier ou même au colon partiaire, comme au propriétaire (1).

D'un autre côté, en vain le défendeur contesterait-il la propriété du demandeur (2), en vain se prétendrait-il lui-même propriétaire des champs dont il aurait coupé les fruits ou les récoltes: s'il ne conteste point la possession du demandeur, la compétence du juge de paix ne saurait être modifiée, puisque le possesseur peut seul profiter de tous les fruits que produit l'immeuble et de tous les droits qu'il confère, tant que la possession ne lui est pas enlevée. Sous ce rapport, les expressions de la loi manquent d'exactitude, puisqu'elles feraient supposer que toute contestation sur la propriété changerait nécessairement le caractère de l'action.

Enfin, si le défendeur allègue qu'il a lui-même la juste possession de l'immeuble sur lequel aurait été commis le prétendu dommage, le juge de paix reste encore compétent; seulement, la sphère du litige s'élargit, et l'affaire rentre aussitôt dans la catégorie des actions possessoires, dont le juge de paix, ainsi que nous le verrons ultérieurement, ne peut jamais connaître qu'en premier ressort.

Dans quels cas le juge de paix deviendra-t-il donc absolument incompétent? Ce sera toutes les fois que l'une ou l'autre des parties alléguera, pour servir de base à sa demande ou à sa défense, quelque droit réel contesté par l'autre, et dont le juge

(1) La Cour de Cassation a même jugé que le fermier peut actionner le propriétaire lui-même (Arr. du 5 août 1858. S. 1859.1.118. P. 1858. 1079. D. P. 58. 1. 373), à moins que le droit à l'indemnité ne soit contesté par celui-ci (Arr. du 13 février 1865. S. 1865. 1. 114. — P. 1865. 257).

(2) Cass. 2 août 1859 (S. 1860. 1. 59. — P. 1859. 967. - D. P. 59. 1. 319).

de paix ne pourrait connaître directement. Si, par exemple, celui qui a causé quelque dommage aux champs ou récoltes, prétend n'avoir usé que d'une servitude de parcours, de vaine pâture, de passage, etc., servitude qui serait contestée par le demandeur, le juge de paix cesserait d'être compétent (1). Il en serait de même si le défendeur à l'action d'élagage prétendait avoir acquis par titre le droit de conserver ses branches projetées sur le fonds voisin, ou si le propriétaire d'un fonds dominant actionnait le propriétaire d'un fonds servant pour le curage d'un canal, curage qu'il prétendrait être à la charge de ce dernier en vertu du titre constitutif, et que le propriétaire du fonds servant contestât cette aggravation de servitude. Il en serait de même enfin, ainsi qu'on l'a déjà dit, si un usufruitier ou un usager, actionné par le propriétaire, prétendait avoir eu, par la nature de son droit ou par la vertu du titre constitutif, le droit de faire les actes dont se plaindrait le demandeur.

Le juge de paix ne devrait, au surplus, se dessaisir qu'autant que le système de défense du défendeur aurait quelque apparence de fondement. On doit appliquer à ce cas, comme à tous les cas analogues, les règles que le législateur a établies dans l'art. 182 du Code Forestier, pour les exceptions préjudicielles de propriété proposées en matière criminelle.

Il semblerait seulement que, lorsque le juge de paix, à raison de la contestation qui s'est élevée sur l'existence du droit réel réclamé par l'une ou l'autre partie, les renvoie à se pourvoir devant les tribunaux civils, l'affaire ne doit plus revenir devant lui, et que les tribunaux civils doivent, dans l'intérêt de toutes les parties, statuer en même temps surla contestation principale et sur la question accessoire qui avait d'abord été soumise au juge de paix. (Arg. de l'art. 14. C. pr. comparé à l'art. 427.) (2)

$ 2. Des contestations entre maîtres et gens de travail,
domestiques et ouvriers.

Tout homme qui vit au jour le jour doit obtenir promptement son salaire: tel est le principal motif de l'attribution de compétence que nous abordons maintenant.

La loi de 1838 n'a fait à cet égard que reproduire à peu de chose près la disposition de la loi de 1790, suivant laquelle le

(1) Cass. 5 mars 1860 (S. 1860.1.870. — P. 1860. 476) et 5 juin 1872 (S. 1872.1. 371.-P. 1872.991. - D. P. 72. 1. 231).

(2) V. par analogie Cass. 24 juillet 1860 (S. 1860.1.897. P. 1861. 52).

juge de paix devait connaître du paiement des salaires des gens de travail, des gages des domestiques et de l'exécution des engagements respectifs des maîtres et de leurs domestiques ou gens de travail.

Il semble qu'on doit comprendre dans la classe des gens de travail, non-seulement les terrassiers, moissonneurs, vendangeurs, faucheurs, et en général toutes les personnes employées aux travaux des champs, mais encore les maçons, charpentiers, menuisiers, couvreurs, cordonniers, tailleurs et couturières, qui vont travailler au jour, au mois ou à l'année, dans la maison de la personne qui les emploie (1).

Quant aux domestiques, on ne doit, ce semble, comprendre dans cette classe que les serviteurs employés à un travail manuel, et non point les individus qui sont chargés, dans la maison de la personne qui les emploie, de fonctions intellectuelles, tels que les bibliothécaires, précepteurs, secrétaires et intendants. Ces dernières personnes ont ordinairement plus de ressources que les autres, et le paiement immédiat de ce qui leur est dû leur est en général moins nécessaire pour vivre. Ce point fut d'ailleurs admis comme constant lors de la discussion de la loi de 1838. (Moniteur du 25 juin 1837 et du 7 avril 1838.)

On ne doit pas non plus comprendre dans la classe des domestiques ou ouvriers dont parle la loi de 1838, les facteurs, commis et serviteurs que les négociants n'emploient que pour le trafic et non pas pour le service de leur personne (arg. de l'art. 634 C. comm). La juridiction consulaire offre à ces commis ou facteurs, comme à ceux qui les emploient, une justice aussi prompte et aussi économique que pourrait l'être celle des juges de paix (2).

On ne peut assimiler non plus à des ouvriers les employés des grandes compagnies, tels que les mécaniciens-conducteurs de locomotives dans les chemins de fer, qui ne se livrent d'ordinaire à aucun travail manuel (3).

La compétence attribuée aux juges de paix pour toutes les contestations relatives aux engagements respectifs des maîtres et gens de travail, domestiques et ouvriers, ne s'applique évidem

(1) La loi de 1838 cesse d'être applicable quand les ouvriers ont pris un travail à l'entreprise. Cass. 28 mai 1821; Orléans, 14 mai 1844 (S. 1845. 2. 213. P. 1844. 1.772).

(2) La question est pourtant très-controversée. V. le résumé de la jurisprudence dans le nouveau Répertoire de MM. Dalloz, vo Compétence commerciale, no 154 et suiv.; et un arrêt de la C. de Cass. du 12 décembre 1836 (S. 1837. 1. 412. — P. 1837. 1.621).

(3) Cass. 13 mai 1857 (S. 1857. 1. 669. P. 1858, 702. - D. P. 57. 1. 393). 4

T. I.

ment qu'aux engagements qui résultent entre ces personnes du contrat même de louage d'ouvrage ou d'industrie, et non pas aux engagements qui résulteraient d'une autre cause, d'un billet par exemple pour argent prêté, consenti au maître par le domestique, ou réciproquement.

D'un autre côté, le juge de paix n'est compétent que lorsque l'ouvrier réclame son salaire à la personne qui l'a commandé. Il cesse de l'être, si l'ouvrier agit par l'action de in rem verso contre une personne avec qui il n'avait point contracté (1).

§ 3. Des actions pour diffamation, injures, rixes et voies de fait.

L'art. 13 de la loi du 17 mai 1819 définit la diffamation et l'injure : « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation; toute expression outrageante, terme de mépris ou d'invective, qui ne renferme l'imputation d'aucun fait particulier, est une injure. >>> Ainsi, dire de quelqu'un qu'il a assassiné telle personne, qu'il a volé telle chose, qu'il a prêté à des intérêts usuraires à tel débiteur, qu'il vit en concubinage avec telle femme déterminée, qu'il a séjourné dans les bagnes ou les prisons, c'est se rendre coupable de diffamation; mais si l'on qualifie seulement un individu de libertin, d'ivrogne, ces outrages ne contiennent que des injures. Il en serait de même, ce semble, si l'on adressait à une personne les qualifications outrageantes d'usurier, de voleur, d'assassin, sans préciser aucun fait qui servît de base à ces imputations.

La diffamation, à cause de l'imputation précise qu'elle renferme, a un caractère bien plus grave que l'injure; c'est pour ce motif que la loi de 1838 n'attribue compétence au juge de paix que pour la diffamation verbale (2), tandis qu'elle lui permet de connaître des injures verbales ou par écrit, pourvu qu'elles n'aient pas eu lieu par la voie de la presse. L'injure, du reste, donne lieu à des peines correctionnelles quand elle renferme l'imputation d'un vice déterminé, et qu'elle a eu lieu publiquement; tandis que, l'une ou l'autre de ces conditions venant à manquer, elle ne donne lieu qu'à des peines de police. Mais le juge de paix ne

(1) Cass. 7 juin 1848 (S. 1848. 1. 477. - P. 1848. 2. 221. D. P. 48. 1. 117). (2) S'il s'agit donc d'une diffamation écrite, le jugede paix est incompétent au-dessus de deux cents francs, quand même la pénalité encourue ne serait pas plus forte que celle des injures. Cass. 22 nov. 1865 (D. P. 66. 1. 251).

laisse pas d'être compétent dans la première comme dans la seconde hypothèse (1), puisqu'il est compétent pour connaître de la diffamation verbale, qui constitue dans tous les cas un véritable délit passible de peines correctionnelles.

La compétence du juge de paix, en matière de diffamation verbale, doit s'appliquer même à celle commise devant un tribunal contre des tiers à qui l'action civile a été réservée, conformément à l'art. 23 de la loi du 17 mai 1819, puisque la loi de 1838 pose une règle sans exception.

Il est indifférent aussi que la diffamation verbale soit publique ou non publique, puisque la loi s'explique en termes absolus (2). Il est des gestes outrageants qui pourraient constituer une injure assez grave pour que la personne outragée pût demander des dommages devant le juge de paix, quoique ces gestes ne pussent donner lieu à l'application des lois pénales, qui semblent ne punir que les injures faites par paroles.

La loi n'a point défini ce qu'on doit entendre par rixe et par voie de fait. Il semble que, par rixes, il faut entendre ces luttes ou mêlées non préméditées où les combattants se sont réciproquement porté des coups, sans qu'on puisse ordinairement distinguer l'agresseur; tandis que la voie de fait semble indiquer une attaque préméditée, ou tout au moins dans laquelle on a pu discerner aisément l'agresseur.

Les mots voie de fait, dans une acception large et par opposition aux mots voie de droit, indiquent, au surplus, toute attaque violente dirigée contre la personne ou contre la propriété ou la possession d'autrui; mais, dans un sens plus restreint et plus usuel, ils n'indiquent que les attaques contre les personnes. C'est évidemment dans ce dernier sens qu'ils ont été employés par les lois de 1790 et de 1838; autrement, il eût été inutile de faire des dispositions spéciales pour attribuer aux juges de paix la connaissance des dommages causés aux champs, fruits et récoltes, et des actions possessoires, puisque les faits que ces actions ont pour objet de réprimer auraient été compris dans la classe générale des voies de fait.

Les voies de fait, comme les rixes, semblent impliquer une intention de nuire bien caractérisée de la part de leurs auteurs: les accidents causés par simple négligence ou imprudence ne semblent donc pas pouvoir rentrer daus la classe des voies de

(1) Cass. 21 déc. 1813 (S. chr. - P. chr.); 21 novembre 1825 (S. chr. - P. chr.). (2) Cass. 14 janvier 1861 (S. 1862.1.57. - P. 1862.863 - D. P. 61. 1.372) et 31 mai 1864 (S. 1864. 1.261. — P. 1864. 956. D. P. 64. 1. 361).

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