2 SECTION III DE LA PRESCRIPTION DE L'INSTANCE Nous avons dit déjà ci-dessus, p. 485, que l'instance, à défaut de la péremption, peut s'éteindre par la prescription trentenaire. Comment supposer, en effet, qu'une instance puisse subsister pendant une série indéfinie de siècles! Mais les règles et les effets de cette prescription diffèrent essentiellement de ceux de la péremption. La péremption ne s'opère pas de plein droit et se couvre par les actes valables faits avant qu'elle ait été demandée; la prescription s'opère, au contraire, de plein droit. La péremption court contre les mineurs et les interdits, tandis que la prescription est suspendue durant la minorité ou l'interdiction. La péremption ne peut s'opérer qu'au profit du demandeur ou de l'intimé; la prescription s'opère au profit du possesseur dans les matières réelles, au profit du prétendu débiteur dans les matières personnelles, quel que soit le rôle qu'ils aient joué dans la procédure de première instance ou d'appel. La prescription s'accomplit quelquefois par une période bien plus courte que la période trentenaire; c'est ainsi que l'art. 189 C. comm. déclare éteintes toutes les actions en paiement de lettres de change ou billets à ordre, par cinq ans à dater de la dernière poursuite juridique. Mais, à part les cas où la loi contient une disposition semblable à celle qu'on vient de citer, les prescriptions spéciales brevis temporis, établies pour certaines actions, cessent, dans notre sentiment, d'être applicables dès qu'une demande judiciaire a été formée. Cela s'induit fort nettement à nos yeux de l'art. 22747 du Code civil. La raison en est que l'introduction d'une instance fait cesser les présomptions de paiementou de remise volontaire, sur lesquelles les présomptions de courte durée sont généralement fondées. En ce sens, la maxime romaine: Actiones temporales, semel inclusæ judicio, salvæ permanent, est encore applicable dans notre droit, c'est-à-dire que par l'introduction de l'instance les prescriptions courtes se convertissent aussitôt en prescriptions trentenaires. Nous n'insistons pas plus longtemps sur ce point, qui appartient plus au droit civil qu'à la procédure, et pour ter-miner nos explications sur la procédure ordinaire des tribunaux civils, nous n'avons plus qu'à parler des matières sommaires; c'est l'objet d'une sixième et dernière division. VF DIVISION 6.XXIV DES AFFAIRES SOMMAIRES 404-413 La procédure dont nous avons développé les règles jusqu'ici dans tout le cours de ce livre, paraît souvent lente dans sa marche et quelque peu chargée d'écritures; mais quand il s'agit de grands intérêts et de questions compliquées, on ne saurait déployer trop de prudence : une décision a d'autant plus de chances d'être juste qu'elle est rendue avec plus de maturité. Le litige est-il modique, ou le procès plus simple, la loi elle-même élague toutes les écritures qui ne sont pas indispensables; elle a hâte, pour ainsi dire, d'arriver au jugement, semper ad eventum festinat. Cette instruction simple et rapide a lieu devant les tribunaux civils dans les matières qu'on appelle sommaires : on n'en connaît pas d'autre devant les tribunaux d'exception. Mais comme nous consacrons le livre suivant à la procédure suivie devant les tribunaux d'exception, nous ne nous occupons que de la procédure abrégée observée quelquefois devant les tribunaux civils eux-mêmes, c'est-à-dire des affaires sommaires. Nous allons donc exposer successivement quelles sont les matières sommaires, quelles sont les différences qui séparent la procédure qui les régit de la procédure ordinaire, et quel est le caractère qu'on doit assigner aux affaires que la loi déclare devoir être jugées sommairement. Nous ajouterons un mot sur la - procédure exceptionnelle suivie dans certaines matières fiscales. $ler. Quelles sont les matières sommaires. Elles sont indiquées dans l'art. 404 C. pr. et dans l'art. ler de la loidu 11 avril 1838 (1): nousallonsles énumérer dans l'ordre où ces articles les présentent. 1o Les appels des juges de paix. 2o Les demandes pures personnelles, à quelque somme qu'elles puissent monter, quand il y a titre, pourvu qu'il ne soit pas contesté. On doit considérer comme demandes pures personnelles toutes (1) Toutes les affaires qui ne sont pas sommaires sont désignées sous le nom d'afcelles qui ne contiennent rien d'immobilier; partant, les actions mixtes comme les, actions réelles ne sauraient jamais rentrer dans cette seconde catégorie d'affaires sommaires. faires ordinaires. Il importe peu que le titre soit privé ou authentique; bien plus, une promesse verbale reconnue devrait être assimilée à un titre, et l'affaire devrait être réglée comme sommaire dès que la promesse aurait été reconnue. L'affaire cesse d'être sommaire dès que le titre est contesté? il importe peu que l'acte soit attaqué comme nul dans la forme, on comme faux, ou comme infecté d'une nullité intrinsèque, telle que le dol, l'erreur, la violence; dans tous ces cas l'intérêt du litige s'agrandit et l'affaire rentre aussitôt dans la classe des affaires ordinaires. En est-il de même quand la force primitive du titre n'est pas contestée, mais que le défendeur soutient ce titre éteint par le paiement, la prescription, ou quelque autre mode réconnu par la loi? C'est notre avis (1): l'importance du litige est la même que lorsqu'on conteste la validité du titre dans son origine, et les questions à résoudre peuvent être aussi épineuses dans un cas que dans l'autre. N'est-ce pas d'ailleurs contester le titre que de prétendre qu'il est actuellement sans vertu, que ce n'est plus qu'un papier sans valeur? Qu'importe pour le présent que le droit que ce titre mentionne soit mort ou qu'il n'ait jamais eu vie! 3o Les demandes formées sans titre lorsqu'elles n'excèdent pas quinze cents francs. L'art. 404 disait mille francs; mais il a été modifié sous ce rapport par la loi du 11 avril 1838. Si la demande inférieure à 1500 fr. est fondée sur un titre, elle ne cesse pas d'être sommaire, quoique ce titre soit contesté: la loi, pour classer l'affaire, ne prend ici en considération que le chiffre de la demande. 4° Les demandes provisoires ou qui requièrent célérité. On doit, ce nous semble, ranger dans cette classe toutes les affaires dont il est question dans la seconde disposition de l'art. 135 (2). C'est aux juges, au surplus, à apprécier si l'affaire requérait ou non célérité: ainsi ils peuvent déclarer ordinaire une affaire engagée (1) Contrà, Cass., 13 novembre 1823 (D. A. Matières sommaires, 43. - S. chr.), et 30 janvier 1827 (D. A. Matières sommaires, 26. - S. chr. - P. chr.). (2) La Cour de Cassation a jugé toutefois, par deux arrêts du même jour 26 juillet 1865 (D., 65. 1. 495. - S. 1865. 1. 395. - P. 1865. 1045), que les demandes de pension alimentaire ne rentrent pas de plein droit parmi les matières sommaires. Dans l'espèce de ces arrêts, l'action alimentaire se compliquait de questions d'état, et n'était dès lors qu'accessoire: elle ne sortait à nos yeux de la catégorie des affaires sommaires que pour cette dernière raison. à bref délai, et sommaire, une affaire où l'abréviation n'a pas eu licu. Il ne saurait dépendre de l'avoué du demandeur d'enlever à l'affaire son véritable caractère en négligeant de faire abréger les délais. 5o Les demandes en paiement de loyers et fermages et arrérages de rentes. Mais s'il vient s'y joindre une demande en résiliement du bail ou en remboursement de la rente, ou que le titre servant de base à la demande soit contesté, l'affaire devient ordinaire. La demande en résiliement du bail peut toutefois rester sommaire quand elle requiert célérité (1). 6o Les actions réelles ou mixtes de nature à étre jugées en dernier ressort. Cette dernière catégorie n'a été établie que par la loi du 11 avril 1838; auparavant les actions réelles ou mixtes ne pouvaient jamais être classées parmi les affaires sommaires. Depuis la loi du 11 avril 1838, il y a donc corrélation entre le dernier ressort et la nature sommaire de l'affaire, en ce sens que toute affaire jugée en dernier ressort à cause de la modicité du litige est sommaire. Mais de ce qu'une affaire est sommaire, elle ne laisse pas pour cela d'être susceptible d'appel quand elle excède 1,500 francs. $ 2. Des différences entre les matières sommaires et les matières ordinaires. Ces différences se réduisent à cinq. 1o « Les matières sommaires sont jugées à l'audience, après (les délais de la citation échus, sur un simple acte, sans autres procédures ni formalités (art. 405). » Ainsi, il n'y a pas lieu dans ces affaires à signifier des défenses, ni par conséquent à y répondre, et elles ne peuvent jamais être l'objet d'une instruction par écrit. 2o Les requêtes en intervention dans les affaires ordinaires peuvent être grossoyées; dans les matières sommaires, elles ne doivent contenir que des conclusions motivées, absolument comme les demandes incidentes (406). 3o L'enquête sommaire diffère à plusieurs égards de l'enquête ordinaire. Dans celle-ci, la partie qui demande l'enquête doit ✓ articuler les faits dans un acte signifié à la partie adverse, et l'enquête ordonnée se fait devant un juge-commissaire, qui en dresse toujours procès-verbal. En matière sommaire, le jugement qui ordonne l'enquête doit, aux termes de l'art. 406, contenir les faits sans qu'il soit besoin de les articuler préalable ((1) Cass., 27 juin 1810 (D. A. Matières sommaires, 49. - S. chr. P. chr.). ment, et fixer les jour et heure où les témoins seront entendus à l'audience (1), ce qui ne dispense pas pourtant de signifier le jugement à la partie adverse (2). L'audition des témoins en matière sommaire ne doit pas toujours donner lieu à un procès-verbal: les art. 410, 411 et 412 font à cet égard diverses distinctions. Si le jugement est susceptible d'appel, il doit être dressé procès-verbal contenant les serments des témoins, leur déclaration s'ils sont parents, alliés, serviteurs ou domestiques des parties, les reproches qui auraient été formés contre eux, et le résultat de leurs dépositions (411). L'absence de procès-verbal emporte nullité (3). Si les témoins sont éloignés ou empêchés, le tribunal peut commettre le tribunal ou le juge de paix de leur résidence; dans ce cas l'enquête doit toujours être rédigée par écrit, et il en est dressé procès-verbal (412). Mais si les témoins sont entendus à l'audience et que le jugement ne soit pas susceptible d'appel, il n'est point dressé procès-verbal de l'enquête: il doit seulement être fait mention dans le jugement des noms des témoins et du résultat de leurs dépositions (420). Que faut-il entendre par ces mots: le résultat de leurs dépositions? Est-ce une analyse de la déposition de chaque témoin en particulier, ou bien seulement un résumé de toutes les dépositions prises dans leur ensemble? C'est suivant nous une analyse détaillée, et ce mode nous paraît indispensable quand le jugement est sujet à l'appel; s'il est en dernier ressort, l'irrégularité a moins d'importance. La Cour de Cassation a même jugé qu'il n'y a pas cause suffisante de nullité quand le jugement en dernier ressort n'indique pas les noms des témoins (4). Quand l'enquête se fait devant le tribunal dans une affaire sujette à l'appel, il n'est point nécessaire que le procès-verbal contienne, à peine de nullité, toutes les mentions exigées dans (1) Le jugement qui renvoie pour une enquête en matière sommaire devant un juge-commissaire doit être annulé. Cass., 1er août 1832 (D. A. Enquête, 24. - S. 1832. 1.727. P. chr.) et 23 juin 1863 (D. P. 63. 1. 310. — S. 1863. 1. 415. P. 1863. 1102). Mais la nullité de l'enquête ne peut étre demandée pour cette cause devant le tribunal même qui l'a ordonnée. Cass., 27 mai 1839 (D. A. Enquête, 26. - S. 1839. 1.384. P. 1839.1.593). (2) La signification du jugement vaut avenir pour l'audience où les témoins seront entendus, et les conclusions n'ont pas besoin d'être reprises pour que le second jugement soit réputé contradictoire, tandis qu'elles devraient l'ètre, à notre avis, quand il s'agit d'une enquête ordinaire. (3) Cass., 3 juin 1845 (D. P. 45. 1. 245. - S. 1845. 1. 411. — P. 1845. 2. 51). (4) V. arrêts des 18 avril 1832 (D. A. Enquête, 61. S. 33. 1.437. - P. chr.) et 30 juillet 1833 (D. A. Enquête, 617. - S. 33. 1. 751). ! |