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pièces écrites dans une langue étrangère, les juges ne sont pas moins obligés de nommer trois experts si les parties ne consentent pas qu'il soit procédé par un seul : la loi est conçue en des termes qui n'autorisent aucune exception. Cela n'empêche point une partie de produire spontanément un plan ou une traduction faits par un seul expert, dont le travail pourra servir de base au tribunal, s'il n'est pas contesté; mais s'il est contesté, il faudra recourir à une expertise régulière, à moins que le tribunal ne trouve en dehors de ce document des éléments suffisants de décision.

La Cour de Cassation a jugé, le 23 février 1837 et le 15 juillet 1861, que les juges peuvent nommer d'office un seul expert, quand l'expertise n'est ni commandée par la loi ni réclamée par aucune des parties. Il nous est permis de ne pas approuver ces arrêts: livrer en quelque manière le sort du procès à un seul homme, c'est en conscience exposer un peu trop les droit des parties (1). Rien n'est, dureste, plus dangereux qu'un faux principe: la cour suprême l'a prouvé en décidant, le 12 juin 1838, que les juges peuvent aussi, dans les expertises facultatives qu'ils ordonnent d'office, ne nommer que deux experts, au risque d'un partage. Elle semble ainsi écarter une à une pour ces sortes d'expertises toutes les règles ordinaires: elle devrait décider par la même raison que les experts peuvent, en ce cas, être dispensés du serment. C'est le cas de dire: Legibus, non exemplis judicandum.

Nous pensons aussi qu'il faut nommer trois experts quand l'exécution d'une sentence définitive doit être réglée par des gens de l'art, quand il s'agit, par exemple, de mesurer le volume d'eau auquel une partie a été déclarée avoir droit, ou la hauteur d'une chaussée ou d'un déversoir, de faire une délimitation, etc. Il est bien sans doute d'épargner des frais aux parties; mais il n'est pas permis pour cela de diminuer les garanties que la loi leur donne (2).

Les experts doivent être choisis par les parties, ou, à défaut, nommés d'office. Si, lors du jugement qui ordonne l'expertise, les parties se sont déjà accordées pour nommer les experts, le

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(1) M. Nicias-Gaillard avait critiqué, comme nous, l'arrêt du 23 février 1837 dans la Revue critique, 1857, p. 98. Mais la cour suprême ayant jugé la question de la méme manière le 27 nov. 1868 et le 14 mai 1872 (S. 1872.1.237. — P. 1872.558), sa jurisprudence doit être considérée commme définitivement assise.

(2) Ici encore, la Cour de Cassation laisse toute latitude aux juges. V. arrêts du 7 nov. 1838 (S. 1838 1.978.-P. 1838.2.461.-D. A. Expertise, 93) et du 19 avril 1870 (S 1872.1.420. - P. 1872. 1121. - D. P. 72. 1. 324).

même jugement doit leur donner acte de la nomination (304). Si

les experts ne sont pas encore convenus par les parties, le juge

ment doit ordonner qu'elles seront tenues d'en nommer dans les trois jours de la signification; sinon, qu'il sera procédé à l'opération par les experts qui sont nommés d'office par le même jugement (305). Si le tribunal a omis de réserver aux parties le droit de choisir les experts dans le délai de la loi, cette omission peut être réparée ou par un jugement postérieur, ou même par une sommation faite par le poursuivant à la partie adverse de convenir des experts dans le délai. On doit plutôt attribuer aux juges un oubli qu'une violation intentionnelle de la loi : In dubiis rapienda est occasio quæ præbet benignius responsum (1). Que si l'une des parties poursuit l'exécution de la sentence sans avoir pris l'une ou l'autre des précautions indiquées, elle aggrave le vice et s'expose à l'annulation ultérieure du jugement et de tout ce qui l'aura suivi.

Il ne paraît pas qu'on fit difficulté autrefois d'admettre les représentants des incapables à choisir leur expert: nous pensons qu'ils peuvent exercer un droit analogue aujourd'hui, si ce n'est dans les cas où des textes spéciaux commandent les nominations d'office. La communication au ministère public prévient suffisamment les conséquences de tout concert frauduleux au détriment de l'incapable. Nous estimons aussi que les parties peuvent s'entendre sur le choix d'un ou de deux experts seulement, avant ou après le jugement, pourvu que dans ce dernier cas elles aient le soin d'indiquer celui ou ceux des experts nommés d'office qu'elles entendent écarter (2). Elles peuvent enfin convenir valablement des experts, même après les trois jours de la signification du jugement, pourvu que les opérations de ceux qui ont été nommés d'office ne soient pas commencées. Le tribunal pourrait aussi rétracter la nomination qu'il a faite.

La loi ne dit pas à dater de quelle signification court le délai de trois jours. C'est à dater de la signification à avoué: la signification à partie n'est exigée par l'art. 147 qu'à l'égard des jugements qui prononcent des condamnations. Si le jugement est par défaut, le délai ne doit courir qu'à l'expiration de la huitaine à dater de la signification à avoué ou à partie, suivant l'espèce de défaut, à moins que l'exécution n'ait été autorisée avant ce délai.

Lorsque avant l'expiration du délai les parties se sont accor

(1) Cass. 7 nov. 1838 (S. 1838.1.978. P. 1838. 2. 461).

(2) Contrà, Carré, quest. 1160.

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dées pour la nomination des experts, elles doivent en faire leur déclaration au greffe (306), assistées de leurs avoués. Leur choix constaté par tout autre acte ne devrait pas laisser néanmoins de produire son effet.

$ 4. Du serment des experts, et de la sommation à la partie adverse d'étre présente au rapport.

Avant de commencer leurs opérations, les experts doivent prêter serment; ce n'est qu'à cette condition qu'on peut ajouter quelque foi à leur rapport. L'urgence ou toute autre cause ne saurait jamais autoriser le tribunal à dispenser les experts de cette formalité essentielle (1): mais nous ne concevrions pas pourquoi les parties elles-mêmes, si elles sont majeures et capables, ne pourraient pas, pour plus de sécurité et d'économie, accorder aux experts cette dispense (2).

Les experts doivent prêter serment devant le juge-commissaire qui a dû être commis à ces fins par le jugement même qui a ordonné l'expertise: le tribunal peut néanmoins ordonner qu'ils le prêteront devant le juge de paix du canton où ils procèderont (305), ou devant un juge d'un autre tribunal (1035).

Dès l'instant donc que le jugement qui ordonne l'expertise a été signifié à avoué, et que les parties se sont accordées pour le - choix des experts, ou qu'il s'est écoulé trois jours depuis la signification sans qu'elles se soient entendues pour ce choix, la partie la plus diligente doit prendre l'ordonnance du juge, et faire sommation aux experts nommés par les parties, ou d'office, pour faire leur serment, sans qu'il soit nécessaire que les parties y soient présentes (307). Ces derniers termes de l'article doivent être entendus en ce sens qu'il n'est point nécessaire d'appeler, même par acte d'avoué, la partie adverse à la prestation du

serment.

Le procès-verbal de prestation de serment doit contenir indication, par les experts, du lieu et des jour et heure de leur opération: en cas de présence des parties ou de leurs avoués, cette indication vaut sommation. En cas d'absence, la partie poursuivante doit sommer les autres parties, par acte d'avoué, de se trouver aux jour et heure que les experts ont indiqués (315). Mais si la partie a été citée pour assister à la prestation de serment et qu'elle n'ait pas comparu, peut-on se dispenser de la

(1) Cass. 29 janv. 1844 (S. 1844. 1. 371. — P. 1844 1.796.-D. A. Expertise, 163). (2) Cass. 14 juillet 1857 (S. 1853. 1. 666. — P. 1858. 1229. - D. P. 57.1.398).

citer de nouveau pour le jour indiqué par les experts? Nous ne le pensons pas: une sommation qui n'était pas exigée ne saurait dispenser le poursuivant de celle que la loi prescrit; joint à cela que les parties n'ont pas intérêt à assister à la formalité du serment, tandis qu'il leur importe grandement de pouvoir assister au commencement des opérations.

Nous avons dit ci-dessus, p. 159, qu'il convenait de laisser trois jours d'intervalle entre la sommation par acte d'avoué et le jour où les experts doivent procéder. Il semble même résulter de la jurisprudence de la Cour de Cassation en matière d'enquête, qu'il faut augmenter le délai à raison de la distance du domicile de la partie: mais nous avons combattu cette jurisprudence, ci-dessus, p. 156.

§ 5. De la récusation et du remplacement des experts.

Les experts peuvent être récusés par les motifs pour lesquels les témoins peuvent être reprochés (310). Mais lorsque les experts ont été choisis par les parties, celles-ci sont légalement présumées avoir renoncé à toutes les causes de récusation qui pouvaient exister antérieurement; elles ne peuvent proposer que les causes survenues depuis la nomination et avant le serment (308). Une partie ne serait pas même recevable à prouver qu'au moment de la nomination elle ignorait la cause de récusation existant dans la personne de l'expert: c'est sa faute si elle n'avait point pris des renseignements suffisants. La récusation serait cependant admissible, si la cause en était tellement récente que la partie eût été dans l'impossibilité morale de la connaître.

A l'égard des experts nommés d'office, la partie qui a des moyens de récusation à proposer est tenue de le faire, dans les trois jours de la nomination, par un simple acte signé d'elle ou de son mandataire spécial, contenant les causes de récusation et les preuves, si elle en a, ou l'offre de les vérifier par témoins. Le délai ci-dessus expiré, la récusation ne peut être proposée, et l'expert doit prêter serment au jour indiqué par la sommation (309). Il semble que la loi n'aurait point dû fixer pour point de départ le jour de la nomination, puisque, si la partie est éloignée, il peut lui être physiquement impossible de faire la récusation dans le délai. L'avoué doit alors y pourvoir en sollicitant sur-le-champ une prorogation, qui ne saurait en pareil cas être refusée. Si le jugement était par défaut, le délai ne devrait courir qu'à dater des époques indiquées par l'art. 383.

Le délai fixé par l'art. 309 ne peut s'appliquer qu'aux causes de récusation antérieures à la nomination: quant à celles survenues depuis, elles sont recevables jusqu'à la prestation du serment. Mais une fois le serment prêté, les experts, soient qu'ils aient été choisis par les parties ou nommés d'office, ne peuvent plus être récusés, même pour des causes nouvellement survenues, sauf aux parties à tirer contre le rapport telles inductions que de -droit, de ces causes toutes récentes de suspicion.

« La récusation contestée doit être jugée sommairement à l'audience, sur un simple acte, et sur les conclusions du ministère public; les juges peuvent ordonner la preuve par témoins, laquelle doit être faite dans la forme prescrite pour les enquêtes sommaires (311). Le jugement sur la récusation est exécutoire _nonobstant l'appel (312). » C'est à tort qu'on induirait de ces derniers termes de l'art. 312, que le jugement rendu sur la récusation est sujet à l'appel, même dans le cas où le principal peut être jugé en dernier ressort: il est de règle, au contraire, ainsi qu'on l'a dit précédemment, que les incidents suivent le sort du principal, à moins que la loi n'en ait disposé autrement; et cette disposition exceptionnelle, on ne saurait la trouver dans l'art. 312 (1). L'exécution provisoire autorisée par cet article permet au tribunal de statuer même sur le fond, avant que l'appel sur la récusation de l'expert soit jugé.

Si la récusation est admise, le même jugement nomme d'office un nouvel expert ou de nouveaux experts à la place de celui ou de ceux récusés (313), sans qu'il doive réserver aux parties le droit de faire elles-mêmes ce remplacement; ce qui n'empêche pas celles-ci d'y procéder tant que les choses sont entières.

Si au contraire la récusation est rejetée, la partie qui l'a faite doit être condamnée en tels dommages-intérêts qu'il appartiendra, même envers l'expert qui le requiert; mais dans ce dernier cas il ne peut demeurer expert (314). L'expert ne paraît fondé à demander des dommages que lorsque la cause de récusation alléguée a quelque chose d'injurieux pour lui; quant à la partie adverse, elle peut obtenir des dommages toutes les fois que la récusation n'a été proposée que pour gagner du temps.

Si quelque expert n'accepte point la nomination, ou ne se (présente point, soit pour le serment, soit pour l'expertise, aux jour et heure indiqués, les parties qui ont la libre disposition de

(1) Contrà, Pigeau, t. 1. p. 295; Carré, quest. 1178

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