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exerce dans nombre d'autres les fonctions de conciliateur, fait les appositions et les levées de scellés, remplit, comme officier auxiliaire du procureur de la République, des fonctions de police judiciaire, et statue sur la plupart des contraventions de police. Nous n'avons à envisager ici le juge de paix que comme juge civil; nous parlerons, dans une première section, de sa compétence ratione materiæ; dans une seconde, de sa compétence ratione persone; dans une troisième et dernière, de la prorogation de sa juridiction.

SECTION PREMIÈRE

De la compétence des juges de paix ratione materiæ.

Les attributions du juge de paix comme juge civil avaient été d'abord réglées par la loi du 16-24 août 1790: elles ont été singulièrement étendues par la loi du 25 mai 6 juin 1838, qui est devenue la loi organique de la matière.

Les affaires attribuées aux juges de paix par la loi de 1838 peuvent se diviser en quatre grandes classes, que nous aurons successivement à parcourir.

Mais nous devons, avant tout, poser un principe important. Il arrive fréquemment, notamment en matière de location, que les différends qui s'élèvent entre les parties sont, les uns de la compétence du juge de paix, les autres de la compétence du tribunal civil. Il est alors certain que le demandeur, pour éviter des frais inutiles, peut saisir le tribunal civil de tous les différends connexès les uns aux autres, et c'est à ce tribunal à apprécier la connexité alléguée devant lui (1). Nous verrons aussi dans le chapitre V du présent livre que les demandes reconventionnelles du défendeur peuvent bien souvent autoriser le juge de paix à se dessaisir de tout le litige. Cela dit, passons à l'explication des quatre classes d'affaires attribuées aux justices de paix par la loi de 1848.

PREMIÈRE CLASSE

Des actions dont les juges de paix connaissent en dernier ressort jusqu'à cent francs, et à charge d'appel jusqu'à deux cents francs.

Ce sont, aux termes de l'art. 1er de la loi du 25 mai 1838, toutes les actions purement personnelles ou mobilières.

(1) Cass., 24 avril 1866 (S. 1866. 1. 285. - P. 1866. 757. - D. P., 66. 1. 259) et 28 juillet 1873 (S. 1873. 1. 449. — P. 1873. 1148. - D. P. 74. 1. 22).

Pour l'intelligence de cette disposition, il faut rappeler que les actions reçoivent plusieurs divisions, suivant leur nature ou leur objet. Les deux divisions les plus importantes sont : 1o celle des actions mobilières et immobilières; 2o celle des actions réelles et personnelles. La première de ces divisions est empruntée à l'objet de l'action, la seconde à son origine.

L'action est mobilière quand le demandeur réclame des objets mobiliers, tels que des sommes d'argent ou d'autres choses mobilières, corporelles ou incorporelles; elle est immobilière quand le demandeur réclame un immeuble ou quelque droit immobilier : Actio ad mobilia, mobilis; ad immobilia, immobilis (Cujas, 3e Consult.; V. aussi l'art. 529 C. civ.)

L'action est réelle quand le demandeur fonde son action sur un droit de propriété ou tout autre droit absolu inhérent à la chose, et qu'il soutient pouvoir exercer contre tout détenteur de cette chose; elle est personnelle quand le demandeur ne base son action que sur un droit purement relatif, c'est-à-dire sur une obligation qui ne lie que la personne du défendeur et qui ne saurait être invoquée contre des tiers.

D'après ces définitions empruntées au droit romain, et dérivant d'ailleurs de la nature même des choses, l'action réelle peut être mobilière aussi bien qu'immobilière; et réciproquement, l'action personnelle peut aussi avoir trait tantôt à un immeuble, tantôt à un meuble.

Cependant, dans le droit français, l'on s'est habitué à distinguer les actions personnelles mobilières des actions personnelles immobilières, et l'on a désigné les premières sous le nom d'actions pures personnelles.

Il résulte de là que toutes les actions qui ont un immeuble pour objet, quand bien même elles seraient personnelles par leur nature, en ce sens qu'elles dériveraient d'une obligation exclusivement relative au défendeur, sortent cependant de la disposition précitée de la loi de 1838. Ainsi, quoique un immeuble ou un droit immobilier eût été acheté à un prix inférieur à deux cents francs, l'action que l'acheteur dirigerait contre le vendeur pour obtenir la libre jouissance de l'objet vendu, sortirait indubitablement de la compétence du juge de paix; tandis que le vendeur peut, au contraire, actionner dans ce cas l'acheteur devant le juge de paix en paiement du prix, s'il ne conclut pas à la résolution de la vente.

Il semble, d'après cela, que le législateur se serait exprimé d'une manière plus claire s'il avait dit que les juges de paix ne connaîtraient, dans les limites fixées, que des actions mobilières soit personnelles, soit réelles, et jamais des actions immobilières. Quoi qu'il en soit, telle a été certainement sa pensée.

Il est clair, au surplus, que l'action ne laisserait pas d'être pure personnelle dans le sens de la loi, quoiqu'elle fût née à l'occasion d'un immeuble, si le demandeur ne réclamait pourtant qu'une somme d'argent ou d'autres objets mobiliers. Si, par exemple, Primus s'engageait vis-à-vis de Secundus à obtenir de Tertius que ce dernier consentît une servitude sur son bien au profit de Secundus, et, faute d'obtenir ce consentement de Tertius dans un délai fixé, à payer 200 francs d'indemnité, Secundus serait fondé à demander le paiement de 200 francs devant le juge de paix, parce qu'à vrai dire il n'y aurait alors dans ses conclusions rien d'immobilier. Ces conclusions ne tendraient, en effet, ni à faire constater un droit immobilier préexistant, ni à obtenir un droit immobilier pour l'avenir; et le caractère immobilier doit s'apprécier, non point par l'origine occasionnelle de l'action, mais par son but final. En termes plus généraux, toute obligation personnelle qui ne peut se résoudre qu'en dommages-intérêts, quoique contractée à l'occasion d'un immeuble, ne laisse pas d'être pure personnelle, parce que les dommagesintérêts sont toujours quid mobile.

Nous ne voyons même rien d'immobilier dans une demande en dommages-intérêts formée par un acquéreur contre un vendeur, pour inexécution d'une promesse de vente d'un immeuble, une demande, d'après la très-juste définition de Cujas, ne pouvant être immobilière que lorsque elle tend à faire constater au profit du demandeur un droit immobilier actuel. Le but de la demande doit être seul envisagé ici, jamais son origine, qui est chose absolument indifférente, et nous ne pouvons par conséquent approuver un arrêt de la cour suprême du 3 juillet 1850, qui s'est écarté d'un principe aussi raisonnable qu'il est lumineux.

Il est également certain, d'après la même règle, qu'une demande qui ne dépasse pas deux cents francs ne laisse pas d'être de la compétence du juge de paix, quoique la somme demandée ne soit que le reliquat d'une créance dépassant primitivement deux cents francs, et il est indifférent que la créance primitive soit, ou non, contestée devant le juge de paix. La compétence de ce juge est pour nous une chose d'évidence, lorsqu'il est imposssible que la sentence qu'il doit rendre puisse causer à aucune des parties un préjudice supérieur, en principal, à deux cents francs, et nous considérons comme dépourvue de toute base rationnelle la différence que la Cour de Cassation

paraît avoir faite, dans l'arrêt du 28 novembre 1859 (P. 1860. 32. D. P., 60 1. 174), entre le cas où la créance primitive a été contestée, et celui où le défendeur n'excipe que de son extinction. L'importance du litige reste, dans les deux cas, absolument la même, et il serait par trop fort qu'une personne à qui, sur une créance primitive de cinq cents francs, il ne resterait dû que cinq francs, fût obligée pour cette misère de citer son adversaire devant le tribunal civil, c'est-à-dire de dépenser nécessairement en faux frais dix ou vingt fois plus que la somme due. Une situation pareille imposée au créancier équivaudrait manifestement à un déni de justice. Que le juge de paix repousse la preuve testimoniale, si le demandeur réclame sans titre ni commencement de preuve par écrit, un reliquat quelconque d'une créance conventionnelle qui aurait dépassé originairement cent cinquante franes, nous l'admettons parfaitement. Mais les règles prohibitives de la preuve testimoniale n'ont absolument rien de commun avec les principes de la compétence.

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Nous donnons, au contraire, notre pleine adhésion à un arrêt de la cour suprême du 4 novembre 1857 (P. 1858, 302. D. P. 57.1.442), qui a décidé que le juge de paix, compétent pour connaître de l'action principale, est compétent, par cela même, pour connaître du recours en garantie formé par le défendeur, quand ce défendeur ne dépasse pas dans sa demande récursoire la somme principale qui lui est demandée à lui-même.

Il est cependant des actions personnelles qui sortent absolument de la compétence des juges de paix, quoiqu'elles ne dépassent pas deux cents francs: ce sont, entre autres, celles qui rentrent dans la juridiction des prud'hommes, comme aussi toutes celles qui dérivent de contrats qui avaient un caractère commercial pour tous les contractants, et qui doivent, à ce titre, être toujours portées devant les tribunaux de commerce. Ce dernier point fut reconnu constant par les auteurs de la loi du 25 mai 1838 (1). Il résulte de là que la compétence des prud'hommes et des tribunaux de commerce est plus exceptionnelle que celle des juges de paix, et que si la compétence des juges de paix fait exception à celle des tribunaux civils, celle des tribunaux de commerce et des prud'hommes fait exception, non-seulement à la compétence des tribunaux civils, mais encore à celle des juges de paix.

Les actions en dommages-intérêts dirigées contre les huissiers, à raison de fautes par eux commises dans leurs fonctions, sor

(1) V. Moniteur des 3 et 9 avril 1835, et du 25 juin 1837.

tent encore de la compétence du juge de paix (1); il en est de même des actions formées par des officiers ministériels en paiement de frais par eux faits devant une juridiction autre que celle du juge de paix. L'art. 60 C. Pr. contient, sur ce dernier point, une règle spéciale qui déroge à toutes les autres. La Cour de Cassation a, par un grand nombre d'arrêts, appliqué cette règle aux frais et honoraires réclamés par des notaires (2),

La compétence du juge de paix doit également cesser quand la demande portée devant lui est indivisiblement liée à une autre contestation dépassant le chiffre de sa compétence. Le tribunal civil est alors seul compétent pour statuer sur le tout.

DEUXIÈME CLASSE

Des actions dont les juges de paix connaissent en dernier ressort jusqu'à cent francs, et en premier ressort jusqu'à quinze cents.

Ces actions sont indiquées dans les art. 2 et 4 de la loi

de 1838.

Ce sont d'abord : « Les contestations entre les hôteliers, « aubergistes ou logeurs et les voyageurs ou locataires en garni, « pour dépenses d'hôtellerie, et perte ou avaries d'effets « déposés dans l'auberge ou dans l'hôtel; entre les voituriers (3) « ou bateliers, pour retards, frais de route, et perte ou avarie << d'effets accompagnant les voyageurs; entre les voyageurs et les « carrossiers ou autres ouvriers, pour fournitures, salaires et « réparations faites aux voitures de voyage. »

Le principal motif qui a fait attribuer aux juges de paix la • connaissance de ces contestations, c'est évidemment leur caractère urgent. La compétence des juges de paix ne saurait donc être étendue aux contestations analogues d'ailleurs à celles qu'on vient d'indiquer, mais qui ne présentent pas la même urgence.

Ainsi, les actions des aubergistes contre des pensionnaires

(1) Cass. 29 juin 1840 (S. 1840.1.892. — P., 1840. 2. 766

D. A. Huissier, 114).

(2) Voir notamment l'arrêt du 25 janvier 1859 (D. P. 59. 1. 76. - S. 1859. 1. 104. - P. 1859.384). Mais le juge de paix est compétent dans les limites ordinaires, lorsqu'il s'agit d'avances que le notaire a faites en dehors de cette qualité et comme simple mandataire. Cass. 21 juin 1865. (S. 1865. 1. 304. P. 1865. 749. - D. P. 65. 1. 343).

(3) Les compagnies de chemins de fer sont évidemment comprises sous la dénomi

nation de voituriers: Poitiers, 12 février 1861 (S. 1861. 2. 332. D. P. 61. 2. 59). Limoges, 2 mai 1862 (S. 1862. 2. 195. P. 1862. 762.) D. P. 62. 2. 137).

P., 1861. 751.

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