Quand le jugement doit être signifié à partie, la signification préalable à l'avoué semble au premier abord superflue, puisque la partie est suffisamment avertie par l'avis qu'elle reçoit directement; mais en y réfléchissant on voit que la signification à l'avoué ne laisse pas d'être utile, parce que c'est naturellement l'avoué qui doit indiquer à la partie les voies de recours qui peuvent lui être ouvertes, et dans tous les cas la portée du jugement et la manière la moins désavantageuse pour elle de l'exécuter. L'art. 47 ne prononce la nullité des actes d'exécution du jugement que pour l'omission de la signification à avoué; il ne prononce pas expressément cette peine pour le défaut de signification à partie. Cette dernière signification est pourtant indispensable dans les cas qu'on a indiqués, et son omission vicie radicalement les actes postérieurs d'exécution (1). L'omission, dans la signification à partie, de la mention de la signification précédemment faite à l'avoué, a beaucoup moins de gravité et ne peut entraîner une nullité que la loi ne prononce point; mais l'omission de la mention que l'avoué a cessé d'exercer ses fonctions, pouvant entretenir la partie dans une erreur funeste, constitue à nos yeux une nullité substantielle (2). Rodier, sur l'art. 2, tit. 27, de l'ordonnance, était d'avis que la signification à procureur pouvait être faite utilement après la signification à partie, pourvu que ce fût avant tout acte d'exécution. Cette doctrine nous semblerait devoir être encore appliquée lorsque, avant les premiers actes d'exécution, il s'est écoulé assez de temps pour que l'avoué de la partie condamnée ait pu lui transmettre ses avis. La signification à partie, dans le cas où elle est exigée, doit être faite au domicile réel et non pas au domicile élu, quand même l'élection de domicile aurait été faite dans un contrat. II serait à craindre que la signification au domicile élu ne parvint pas en temps utile à la connaissance de la partie condamnée (3). La signification du jugement à partie doit être faite dans la forme ordinaire des exploits. Quant à la signification à avoué, elle est faite dans la forme usitée pour les actes d'avoué à avoué. (1) Cass. 13 oct. 1817 et 25 janvier 1841 (S. 1841. 1. 494. P. 1841. 1. 605. D. A. Jugement, 491). (2) Contrà, Carré, quest. 613, et Thomine-Desmazures, t. 1, p. 277. (3) La question est controversée en doctrine; mais la jurisprudence de la Cour de Cassation est complètement fixée dans le sens de l'opinion que nous préférons : V. arrêts des 22 prumaire an XII, 22 juin 1824 et 24 janvier 1865 (S. 1865. 1. 127. P. 1865. 1. 277. D. A. Domicile élu, 8). La Cour de Cassation a décidé par arrêt du 28 mai 1872 que la signification d'un arrêt confirmatif répare suffisamment le défaut de signification du jugement à la partie. Cela ne nous paraît exact que lorsque le dispositif du jugement se trouve ramené dans les qualités de l'arrêt de manière à ne laisser à la partie condamnée aucun doute raisonnable sur la portée de re jugement. Une autre question que nous pourrions traiter ici est celle de savoir si la signification à personne ou domicile, dans le cas où il n'y a pas eu de signification à avoué, suffit pour faire courir les délais de l'appel et du pourvoi en cassation. Il nous paraît plus naturel cependant de traiter cette question au titre de l'Appel. CHAPITRE XIII (116-148) Des diverses dispositions accessoires que les Outre les règles générales communes à toutes les sentences, le titre des Jugements règle divers points très-usuels, auxquels le législateur n'a point jugé à propos de consacrer des titres séparés. Il traite, par exemple, dans les articles 119, 120 et 121, de la comparution des parties et du serment, que nous croyons plus méthodique de rattacher aux procédures probatoires; puis après, du délai de grâce, des dommages-intérêts, des restitutions de fruits, des dépens, de la responsabilité des officiers ministériels, des demandes provisoires, et de l'exécution des jugements nonobstant appel. Ces divers points font l'objet du présent chapitre, auquel nous rattachons l'art. 1036 relatif aux suppressions d'écrits et affiches des jugements. Le Code de procédure s'occupait aussi de divers cas de contrainte par corps dans l'art. 126 et 127; mais ces articles ont été virtuellement abrogés par la loi du 22 juillet 1867, qui a aboli la contrainte par corps en matière civile et commerciale. SECTION PREMIÈRE Du délai de grâce et des autres délais fixés par jugement. Le délai de grâce est celui que les juges accordent au débiteur pour lui faciliter les moyens de se libérer: il est ainsi appelé par opposition au délai de droit, qui est celui fixé par la conven tion. Voyons 1o dans quel cas ce délai peut être accordé, 2o quel est son point de départet quelle peut être sa durée, 3o quels sont ses effets. Nous parlerons dans un quatrième paragraphe des autres délais fixés par jugement, qui peuvent n'être pas proprement des délais de grâce. § 1. Dans quels cas les juges peuvent accorder un délai L'art. 122 C. pr. dispose à cet égard : « Dans les cas où les tribunaux peuvent accorder des délaispour l'exécution de leurs jugements, ils le feront par le jugement même qui statuera sur la contestation et qui énoncera les motifs du délai. » Cet article doit être rapproché de l'art. 1244 C. civ. qui dispose: Le débiteur ne peut point forcer le créancier à recevoir en partie le paiement d'une dette, même divisible. Les juges peuvent néanmoins, en considération de la position du débiteur et en usant de ce pouvoir avec une grande réserve, accorder des délais modérés pour le paiement et surseoir à l'exécution des poursuites, toutes choses demeurant en état. Le principe général est donc que les juges peuvent accorder un délai de grâce toutes les fois que la loi ne l'a point défendu : mais les défenses de la loi sont assez nombreuses. Ainsi, d'après les art. 157 et 187 combinés du Code de commerce, les juges ne peuvent accorder aucun délai pour le paiement des lettres de change ou des billets à ordre : en toute autre matière, les tribunaux de commerce peuvent accorder des délais de grâce, comme les tribunaux civils, et autoriser comme eux des paiements fractionnés (1). Ainsi encore, d'après l'art. 124 C. pr., le débiteur ne peut obtenir un délai de grâce, ni même jouir du délai qui lui aurait été accordé, si ses biens sont vendus à la requête d'autres créanciers, s'il est en état de faillite, de contumace, ou s'il est constitué prisonnier, ni enfin lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu'il avait données par le contrat à son créancier. >>> Les exceptions consacrées par cet article sont toutes fondées sur les risques que courrait le créancier, dans les divers cas prévus, de perdre sa créance, si le débiteur pouvait se dérober pendant quelque temps à ses poursuites. Dans quelques-uns de ces cas, l'art. 1188 C. civ. étend même la déchéance au délai de droit, en * ces termes : « Le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du (1) Cass. 20 déc. 1842 (D. A. Obligations, 1742). terme lorsqu'il a fait faillite, ou lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu'il avait données par le contrat à son créancier. » Chacun des cas indiqués dans l'art. 124 C. pr. donne lieu à quelques observations particulières que nous allons présenter brièvement. 1er Cas. Si les biens du débiteur sont vendus à la requête d'autres créanciers. - On pourrait induire de ces expressions que la saisie faite par un autre créancier ne suffit point pour empêcher le délai de grâce, tant qu'elle n'a pas été suivie de la vente. Cette conséquence ne semblerait pourtant pas juste. Si le délai de grâce pouvait être accordé ou conserver ses effets après la saisie faite par un autre créancier, il serait à craindre que ce dernier ne fût payé au détriment de l'autre. 2 Cas. Si le débiteur est en faillite. - Il doit en être de même quand le débiteur non commerçant est tombé dans un état de déconfiture. L'art. 1913 C. civ. assimile la déconfiture à la faillite quant au droit du crédirentier de demander le remboursement de la rente constituée, et il y a même raison de décider pour le délai de grâce. Mais la déconfiture ne peut être légalement constatée que par la cession de biens. 3a Cas. Si le débiteur est contuтах. L'administration des domaines se mettant alors en possession de ses biens, il est peu probable que le délai de grâce pût lui procurer plus de facilités pour se libérer. 4a Cas. Si le débiteur est constitué prisonnier. - Quelle que soit la généralité de ces termes de la loi, ils ne semblent applicables qu'au cas où le prisonnier est détenu pour dettes, et non pas à celui où il est détenu pour cause d'un crime ou d'un délit qui lui est imputé. Le motifde la loi, qui est d'empêcher qu'un créancier ne soit payé au détriment des autres, ne s'applique qu'à l'emprisonnement pour dettes. Ce cas ne peut, du reste, se présenter que dans des cas bien rares, depuis que la loi de 1867 a aboli la contrainte par corps en matière civile et commerciale, et ne l'a conservée qu'en matière criminelle. 1 5o Cas. Lorsque le débiteur a diminué par son fait les sûretés qu'il avait données par le contrat à son créancier. Si les sûretés du créancier viennent à diminuer sans le fait du débiteur, cette circonstance ne suffit point pour rendre la dette exigible, ou empêcher le délai de grâce. Mais, lorsque les immeubles hypothéqués ne fournissent plus, même par l'effet d'un accident, des sûretés suffisantes, l'art. 2121 C. civ. autorise le créancier à demander son remboursement ou un supplément d'hypothèque. T. I. 18 1 La vente de l'immeuble hypothéqué suffit-elle pour entraîner la déchéance du délai de grâce? Il faut distinguer. Si l'acquéreur a purgé et que le créancier ne soit pas venu en rang utile pour la totalité de sa créance, il est vrai de dire que ses sûretés ont été diminuées par le fait de son débiteur, puisque son hypothèque est désormais éteinte et que le débiteur n'a peut-être pas vendu à la véritable valeur. Mais tant que l'acquéreur ne purge pas, les sûretés du créancier ne sont point diminuées, puisque l'hypothèque conserve tous ses effets. La Cour de Cassation a pourtant jugé le 14 mai 1812 que, même en ce dernier cas, la créance devenait exigible. Cet arrêt nous semble trop rigoureux. Outre les cas précédemment indiqués, il en est plusieurs autres où des textes spéciaux défendent aux juges d'accorder des délais (V. C. civ., art. 1655, 1656, 1661 et 1900). Le débiteur peut-il renoncer d'avance dans le contrat à demander un délai de grâce? Nous ne le pensons pas (1). Le pouvoir - accordé aux juges en cette matière n'est point fondé sur l'intention présumée des parties, mais sur des motifs de commisération qui semblent conserver toute leur force nonobstant la clause consignée dans le contrat. Une pareille clause devrait seulement rendre les juges plus circonspects pour la concession du délai. L'ordonnance sur les évocations du mois d'août 1669 disposait au surplus : « N'entendons qu'aucun puisse être exclu d'obtenir répit sous prétexte de renonciations qu'il aurait faites dans les actes et contrats qu'il aurait passés, lesquelles renonciations nous déclarons nulles » (Tit. 6, art. 12). Une question plus délicate est celle de savoir si les juges peuvent accorder un délai de grâce au débiteur lorsque le créancier agit en vertu d'un titre paré, autre qu'un jugement. L'affirmative s'induit très-clairement à nos yeux de l'art. 1244 C. civ.; mais la doctrine contraire est plus généralement admise (2). La faculté donnée aux juges d'accorder un délai de grâce étant posée dans l'art. 1244 C. civ. comme une exception au principe de l'indivisibilité de la dette entre le créancier et le débiteur, nous pensons aussi que les juges peuvent, en accordant le délai de grâce, fractionner la créance. et permettre au débiteur de se libérer en deux ou plusieurs termes (3). (1) Contrd, Toullier et Malleville cités par Carré, quest. 529. (2) V. les diverses autorités citées par Chauveau sur Carré, quest. 524; mais dans D. A. Obligations, 1778-6°). notre sens, Cass. 1er fév. 1830 (S chr. - P. chr. (3) Cass. 20 déc. 1842 (D. A. Obligations, 1742). |