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La vie de Buffon n'a point encore été écrite son caractère privé est peu connu; les traits saillants de sa grande physionomie n'ont point été mis dans leur vrai jour.

Possesseur de matériaux importants et instruit de l'existence de diverses collections inédites dont il nous a été permis de tirer copie, nous avons de bonne heure conçu la pensée de rassembler et de classer dans leur ordre chronologique les lettres de Buffon que nous pourrions réunir.

En publiant cette correspondance, qui aura pour les admirateurs de son génie une si grande valeur morale, historique et littéraire, nous avons voulu, non-seulement rendre hommage à la mémoire de l'immortel naturaliste, mais accomplir un devoir de famille.

En 1785, Hérault de Séchelles visita Buffon, et, de

retour à Paris, il fit paraître dans un journal du temps le récit de son voyage à Montbard. Après la mort du naturaliste, cet écrit devint un livre, et ce livre fut un pamphlet1.

Et cependant, à cette source viennent puiser chaque jour ceux qui veulent étudier Buffon et pénétrer dans l'intimité de sa vie.

L'écrit d'Hérault de Séchelles a paru du vivant de l'homme dont il révèle, en les dénaturant, les habitudes et les mœurs.

Buffon était directement attaqué: pourquoi n'a-t-il pas répondu ?

Il a gardé le silence, parce qu'il ne répondit jamais aux attaques dirigées contre lui. Cette noble réserve, cette dédaigneuse indifférence, furent, durant sa longue carrière, une règle de conduite dont il ne se départit jamais.

Un homme qui a beaucoup vécu près de lui, et qui fut son secrétaire durant six années, entreprit une réfutation consciencieuse du livre d'Hérault de Séchelles; mais l'œuvre ne fut point achevée.

Désireux, à notre tour, de montrer tel qu'il fut celui dont nous avons de bonne heure appris, dans les récits

1. L'écrit d'Hérault de Séchelles a eu plusieurs éditions et une grande publicité. Il parut pour la première fois en 1785 dans le Magasin encyclopédique, sous le titre de Visite à Buffon. En l'an xi (1801), on en fit une nouvelle édition sous le titre de Voyage à Montbard. En 1828 et 1829, J. B. Noellat en donna deux autres éditions. Il avait été en 1797 traduit en espagnol sous ce titre : Vida del Conde Buffon.

2. M. Humbert-Bazile, mort juge au tribunal de Chaumont. Nous devons à Mme Beaudesson, sa fille, quelques communications que nous avons mises à profit dans ce recueil.

de la famille, à connaître la vie, à honorer la mémoire, nous avons patiemment réuni et mis en ordre les matériaux que nous offrons aujourd'hui au public.

Nous aurions pu, à l'aide de ces précieux documents, entreprendre une apologie de Buffon et la réfutation du Voyage à Montbard. Mais nous ne connaissons pas de tâche plus ingrate; le succès en est toujours douteux. On lit, il est vrai, les pages qui justifient; mais on a lu aussi celles qui déchirent, et, comme la nature humaine est plus portée au blâme qu'à l'éloge, les spectateurs de l'attaque et de la défense n'y voient qu'un divertissement; ce n'est pour eux la lutte de deux hommes, dont l'un a porté un coup que l'autre s'efforce de parer. Les droits de la vérité n'ont rien à gagner d'ordinaire à cette espèce de duel.

que

Au lieu de réfuter Hérault de Séchelles, nous avons mieux aimé laisser parler Buffon lui-même.

Sa correspondance qui, certes, n'a pas été écrite pour la postérité, nous le montre sous un aspect tout à fait nouveau. Cet homme, auquel ses contemporains ont tant reproché la régularité solennelle de sa vie, ne pose pas dans ses lettres; il a dépouillé son habit de cérémonie; il est d'une simplicité et d'une franchise qui trahissent ses sentiments les plus cachés, ses pensées les plus intimes de chaque jour et presque de chaque heure. On le voit réellement tel que la Providence l'a fait, avec ce puissant génie que ses œuvres attestent, mais aussi avec ces vertus sociales et privées qui font le charme de la société domestique.

Sa vie tout entière se trouve dévoilée dans la cor

respondance qu'on va lire.

La première lettre du recueil est à la date de l'année 1729; la dernière est écrite par Buffon à Mme Necker, sa plus constante amie, trois jours avant sa mort, le 11 avril 1788.

Nous le trouvons d'abord à Angers, où il achève ses études, et d'où le chassera bientôt une affaire d'honneur. Il noue avec un ami d'enfance une correspondance qui se continuera dans des jours plus calmes. Nous le suivons dans le midi de la France et en Italie, où l'a conduit le jeune duc de Kingston, dont le précepteur, qui avait un goût prononcé pour l'histoire naturelle, éveille en lui l'instinct du naturaliste.

Nous sommes initiés à ses premiers travaux, à ses premiers succès. Ses études sont variées, mais ses vues sont encore incertaines. Il ne voit pas clairement quelle destinée l'avenir lui réserve, lorsqu'une circonstance imprévue vient lui ouvrir soudain une vaste carrière et fixer un but aux hésitations de son esprit : Dufay meurt, et Buffon lui succède comme intendant du Jardin du Roi.

Ici commence une période nouvelle L'Histoire naturelle est annoncée, les premiers volumes de cet important ouvrage paraissent; l'auteur nous parle de son œuvre, il nous en dit l'immense succès; nous le voyons mépriser la critique injuste que lui suscite l'envie, mais s'affecter en même temps des recherches de la Sorbonne, qui a découvert dans son livre des propositions suspectes d'hérésie, et le menace de sa censure.

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