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facile de pourvoir aux autres besoins. Je crois que, malgré vos malheurs, vous pouvez compter sur un certain nombre de personnes qui s'intéressent véritablement à vous; je mets M. Trudaine du nombre, et vous pouvez compter que, si je vais à Montigny, j'emploierai tout auprès de lui pour l'engager à vous rendre service. Je garde votre lettre pour en faire usage dans ce temps. Ne prenez point de parti extrême jusqu'à ce que nous nous soyons vus. Je serai à Paris, au plus tard, au 20 novembre. Vous êtes trop injustement opprimé pour que tous les honnêtes gens ne réclament pas pour vous. C'est là le cas de parler haut; mais il faut que ce soient vos amis et non pas vous qui parliez. Vous ne sauriez mieux faire que de garder le silence quant à présent; mais je vous conseille de retourner peu à peu dans les maisons où vous alliez. Je suis persuadé, par exemple, que M. Trudaine sera bien aise de vous voir; car, en effet, il vous a plaint et il a été très-fâché de vos malheurs. Je ne puis vous dire combien j'y ai été sensible moi-même; encore actuellement, je n'en entends pas parler de sang-froid. Comptez donc toujours, mon cher ami, sur tous les sentiments que vous pouvez désirer de moi, et soyez sûr que peut-être personne ne vous est plus essentiellement attaché que je le suis.

BUFFON.

(Inédite.— De la collection du British Museum.— M. Flourens en a publié un extrait.)

XXVI
AU MÊME.

Montbard, le 10 août 1749.

J'ai appris, mon cher ami, de très-bonne part, qu'il était beaucoup question de vous pour la place à l'Académie1. Je m'en réjouis avec vous, et je vous écris pour vous demander si je ne pourrais pas vous servir auprès de quelqu'un par mes sollicitations.

On dit que vous n'avez d'autre compétiteur que l'abbé Trublet. Cela me donne de grandes espérances; car, quelque appuyé qu'il soit par les Tencin, si vos amis d'un certain ordre agissent, vous serez certainement préféré, et d'ailleurs vous méritez si fort de l'être! M. le comte d'Argenson* ne m'a pas encore envoyé la liste des personnes auxquelles on donnera le livre de l'Histoire naturelle"; mais j'espère que cela ne retardera que de quelques jours encore. Avez-vous eu occasion d'en parler à M. de Voyer? Donnez-moi, je vous supplie, de vos nouvelles, et surtout de celles de votre affaire de l'Académie. Vous savez combien je m'intéresse à ce qui vous regarde, et combien je vous suis attaché.

BUFFON.

(Insérée dans le tome II des Mélanges des Bibliophiles français, 6 volumes in-4°, 1827 à 1829.-M. Flourens en a publié un extrait.)

XXVII

AU PRÉSIDENT DE RUFFEY.

Le 14 février 1750.

Il faut que vous me pardonniez, mon cher monsieur, d'avoir passé tant de temps sans répondre à la lettre obligeante et remplie d'amitié que vous m'avez écrite au commencement de l'année. J'ai été incommodé pendant quelque temps; j'ai eu aussi beaucoup d'occupation; je n'ai donc pu vous répondre plus tôt; mais je n'en ai pas été moins sensible aux marques de votre souvenir, et j'ai été extrêmement flatté de ce que mon livre ne vous a pas déplu. Je fais un cas infini de votre manière de penser, et votre suffrage m'a fait un véritable plaisir; d'ailleurs il est d'accord avec celui du public. La première édition de l'ouvrage, quoique tirée en grand nombre, a été entièrement épuisée en six semaines; on en a fait une seconde et une troisième, dont l'une paraîtra dans huit ou dix jours, et l'autre dans un mois. Elles sont toutes les deux entièrement semblables à la première, à l'exception de

la troisième qui est in-douze. L'ouvrage est aussi déjà traduit en allemand, en anglais et en hollandais'. Je ne vous fais tout ce détail que parce que je ne puis ignorer que votre amitié pour moi ne vous fasse prendre part à tout ce qui peut m'intéresser.

Il a dû, en effet, vous paraître singulier qu'après toutes les découvertes de nos disséqueurs d'insectes, après tous les efforts des physiciens modernes pour rayer à jamais cet axiome de philosophie: Corruptio unius generatio alterius, j'aie entrepris de le rétablir. Cependant ce n'est point un projet; c'est chose faite et que je puis prouver, non-seulement par les observations que j'ai déjà rapportées, mais encore par beaucoup d'autres que j'ai réservées pour l'histoire des animaux ou prétendus animaux microscopiques, que je donnerai après celle de tous les autres animaux. Notre quatrième volume, qui contient un traité de l'économie animale de ma façon, et l'histoire des animaux domestiques, par M. Daubenton, paraîtra au mois de juillet; le cinquième et le sixième, qui contiennent un traité sur les mulets, et un autre sur les monstres, avec l'histoire de tous les animaux quadrupèdes, sauvages et étrangers, paraîtront au mois de mai de l'année prochaine.

Destouches, après plusieurs années d'interruption, vient de reparaître au théâtre et de donner une nouvelle pièce dont on ne dit pas grand mal; c'est beaucoup dans un temps où l'on est si difficile et si fort porté à la critique.

Ne viendrez-vous pas bientôt faire un tour ici? je le désirerais beaucoup. Comptez, je vous supplie, mon cher monsieur, sur tous mes sentiments et sur l'inviolable attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être votre très-humble et très-obéissant serviteur.

BUFFON.

(Inédite. De la collection de M. le comte de Vesvrotte.)

XXVIII

AU PRÉSIDENT DE BROSSES.

Le 16 février 1750.

Vous serez sans doute étonné, mon cher Président, de ce qu'après m'avoir écrit les choses les plus obligeantes, j'aie passé tant de temps sans vous faire réponse. Je vous dirais bien et avec vérité que je suis dans le même cas avec bien d'autres; mais cette raison, si elle était seule, ne vaudrait rien pour vous et serait mauvaise pour moi. Vous saurez donc que j'ai été incommodé pendant un temps assez long, et que depuis j'ai été chargé de petites affaires et de grandes occupations. Le jugement que vous avez porté de mon ouvrage n'a pu que me flatter beaucoup; je crois connaître si bien votre esprit et votre goût, et je fais tant de cas de l'un et de l'autre, que j'eusse été très-mortifié si mon livre vous eût déplu. Cependant, quoique vous m'ayez accordé votre suffrage en général, il me semble que vous me le refusez pour deux choses que je regarde comme ce qu'il y a de mieux prouvé dans tout l'ouvrage : je veux parler de ma théorie sur la génération1 et de la cause de la couleur des nègres, que j'attribue aux effets du vent d'est2. Si vous prenez la peine d'en lire ce que j'en dis avec un globe sous les yeux, je crois que vous ne douterez pas plus que moi de tout ce que j'ai avancé sur les différentes couleurs des hommes. A l'égard de la génération, je ne sache aucune difficulté que j'aie dissimulée et aucune, du moins qui soit réelle et générale, à laquelle je n'aie pas répondu. Tout l'ouvrage a eu un grand succès; mais cette partie du second volume a plus encore réussi que tout le reste. Il n'y a eu que quelques glapissements de la part de quelques gens que j'ai cru devoir mépriser. Je savais d'avance que mon ouvrage, contenant des idées neuves, ne pouvait manquer d'effaroucher les faibles et de révolter les orgueilleux; aussi je me suis très-peu soucié de leurs clabauderies.

J'ai été aussi fâché que vous de ce que nous n'avons pu nous joindre l'année dernière. J'ai été vous chercher deux ou trois fois; vous êtes venu aussi plus d'une fois au Jardin du Roi; mais vous connaissez assez Paris pour savoir que c'est le pays où l'on voit le moins les gens qu'on aime et le plus ceux dont on ne se soucie guère. J'entendis très-bien parler. dans le temps de votre mémoire lu à la rentrée de votre Académie. Je n'étais pas encore de retour; j'aurais eu probablement le plaisir de l'entendre. Je ne doute pas qu'en rassemblant avec exactitude et discernement les passages des anciens on ne puisse venir à bout de faire remonter l'histoire beaucoup plus haut qu'on ne l'a fait jusqu'ici, et je désirerais beaucoup que vous pussiez vous occuper sérieusement de ce projet. Mais les affaires et les occupations de votre état s'accordent peu avec de pareilles études, qui demandent beaucoup de suite et de combinaisons difficiles à ordonner; je vous y exhorte cependant, et je vous recommande Platon comme une source dans laquelle vous trouverez bien de l'abondance à tous égards". J'espère que vous continuerez à me donner quelquefois de vos nouvelles; je serai toujours également sensible aux marques de votre amitié, et également empressé à vous donner des preuves des sentiments par lesquels je vous suis attaché.

(Inédite.

De la collection de M. le comte de Brosses.)

BUFFON.

XXIX

A L'ABBÉ LE BLANC.

Montbard, le 21 mars 1750.

J'ai été, mon cher ami, depuis votre départ, fort incommodé d'une chute que j'ai faite en allant à Versailles1, et ensuite j'ai eu des occupations si pressées que je n'ai pu vous écrire plus tôt. Je commence par vous dire que ce que vous me

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