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son ermitage pour se tranquilliser. Cela n'annonce guère un voyage prochain, et j'en suis fâché pour le plaisir seul que je me promettais de vous voir vous et mes amis. J'ai prié Dufay1 d'écrire au duc de Richemont'; il m'a assuré qu'il le ferait, et il a en effet écrit de Versailles. Ainsi je n'ai pu voir la lettre, mais je suis persuadé qu'il a parlé de vous comme vous pouvez le souhaiter. Je m'imaginais que, si nous avions été vous voir, nous aurions pu vous ramener. Mais vous auriez cependant grand tort de quitter, si vous vous trouvez bien, et vous ne pouvez manquer de vous bien trouver, si vous avez appris à aimer la chasse et les courses.

Il s'en faut bien que nous jouissions ici de la même douceur de saison que vous autres habitants du nord de l'Angleterre; actuellement il gèle bien fort, et avant cette gelée le ciel a toujours été couvert, quoique l'air fût assez tempéré. Je suis charmé quand je pense que vous vous levez tous les jours avant l'aurore; je voudrais bien vous imiter; mais la malheureuse vie de Paris est bien contraire à ces plaisirs. J'ai soupé hier fort tard, et on m'a retenu jusqu'à deux heures après minuit. Le moyen de se lever avant huit heures du matin, et encore n'a-t-on pas la tête bien nette après ces six heures de repos! Je soupire pour la tranquillité de la campagne3. Paris est un enfer, et je ne l'ai jamais vu si plein et si fourré. Je suis fâché de n'avoir pas de goût pour les beaux embarras; à tout moment il s'en trouve qui ne finissent point. J'aimerais mieux passer mon temps à faire couler de l'eau et à planter des houblons que de le perdre ici en courses inutiles, et à faire encore plus inutilement sa cour. Je compte bien mettre à profit vos avis: nous planterons des houblons, nous ferons de la bière, et, si nous ne pouvons la faire bonne, nous nous vengerons sur du bon vin.

Votre bonne amie'ne se porte pas aussi bien que je le voudrais. Je m'aperçois qu'elle a trop de confiance ou de facilité pour la médecine. On l'a bourrée de remèdes, et e suis bien surpris de ce que son tempérament est encore assez bon

pour se soutenir. Je crois que la santé demande plutôt un régime doux et uniforme qu'une suite de remèdes qui ne peut manquer de produire quelque chose de violent. Je n'ai pu voir encore M. Baudot; mais j'ai dit à votre ami que j'avais de l'argent à lui remettre de votre part, et je ne manquerai pas de le faire la première fois que je pourrai le joindre.

Les affaires de Mme de La Touche sont en bon train et donnent quelque espérance bien fondée. Nous avons fait une grande information contre le vilain petit homme; il y a déjà plus de vingt témoins d'entendus, dont plusieurs déposent de faits très-favorables pour nous, de sorte qu'il y a lieu d'espérer que cette information, une fois bien faite, pourra faire tomber l'autre, ou du moins en diminuer si fort les charges qu'elles ne seront plus assez grosses pour faire prononcer un jugement infamant. Vous pouvez bien penser, mon cher ami, que je fais et ferai de mon mieux. M. d'Arty pourra rendre compte de mon zèle et de mes empressements.

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Je serais bien mortifié si, après les soins que je me suis donnés pour le vin, il se trouvait gâté ou même médiocre. Apprenez-m'en des nouvelles dès que vous en saurez. Ditesmoi aussi quand milord Waldergrave revient; je crains fort qu'il ne soit pas assez longtemps à Londres pour que vous puissiez y profiter de son séjour. Dites à Hickman que ses courtilières et ses couleurs partiront demain, et que j'écris à M. Smith de les lui envoyer d'abord. Adieu, mon cher ami. Je vous souhaite toujours bien de la gaieté et de la santé; la mienne est un peu dérangée depuis un mois. Je vous embrasse et suis, de tout mon cœur, votre très-humble serviteur.

BUFFON.

(Inédite. L'original de cette lettre appartient à M. V. Cousin, qui a bien voulu nous le communiquer avec une obligeance dont nous lui témoignons ici toute notre gratitude. M. Flourens en a publié un passage:)

XVI

AU MÊME.

Paris, le 4 mars 1738.

Ne soyez pas surpris, mon cher ami, si je ne vous ai pas écrit en anglais; je crains tout ce qui fait perdre du temps, et je n'aime guère ce qui mortifie l'amour-propre. Vous parlez cette langue à merveille, et je n'ai garde de vous en faire compliment en la parlant mal; j'aime mieux vous dire la vérité, que de vous la faire sentir en vous ennuyant d'un jargon qui n'aurait d'autre mérite que de vous convaincre de votre supériorité, et qui m'ôterait auprès de vous celui de la reconnaître. Je sors de chez Mme Denis1, à qui j'ai lu votre lettre en français; j'y ai trouvé votre ami M. Baudot, auquel j'ai remis un paquet qu'Eustache m'a donné de votre part. Nous sommes tous très-charmés de vous savoir à Londres, et je vous souhaite en mon particulier bien des plaisirs dans cette grande ville; je crains fort ou, pour tout dire, je ne puis espérer de pouvoir vous y aller joindre. Le pauvre Mac-Donnel a eu un second accès de goutte aussi violent que le premier : il y a près d'un mois que je ne l'ai vu; il est à sa campagne, où il ne peut manquer de s'ennuyer; je lui ai écrit et il n'a pu me répondre. La goutte a pris les pieds et les mains. Quand même il aurait le bonheur d'en être quitte bientôt, il lui faudra bien du temps pour que ses forces reviennent; enfin je regarde cette partie de voyage comme désespérée, dont je suis très-fâché, aussi bien que vos bons amis, qui comptaient sur votre retour avec le nôtre. Je vais différer d'acheter le velours que vous me demandez pour Milord Duc, parce que, selon toutes apparences, ce ne sera pas moi qui le lui porterai, et qu'il faut que je sache si cette marchandise n'est pas contrebande, et si je puis la lui envoyer par la voie de M. Smith", à Boulogne. Marquez

moi par le premier ordinaire s'il faut l'envoyer à M. Smith. Je vais demain faire passer une boîte où il y a des drogues pour M. Hickman, des peignes, des insectes dans de l'espritde-vin, la Métromanie imprimée, etc. J'ai donné à M. Baudot les 50 francs que vous m'avez marqués. J'ai écrit à M. Midoch, pour qui j'ai fait ici quelques avances, de vous les remettre; il s'agit de soixante et quelques livres. Je souhaiterais fort de pouvoir faire venir plusieurs livres anglais dont j'ai besoin; mais je crains que cela ne vous dérange d'avancer tant d'argent; je vous enverrai toujours mon mémoire, et, quand je saurai la somme qu'ils me coûteront, je chercherai quelque voie pour vous la faire tenir. J'écrirai à Hickman de vous la faire compter, et je la mettrai en recette sur leur mémoire. J'ai été à la première représentation d'une pièce qui a très-bien pris; c'est Maximien, tragédie de M. de La Chaussée. Je crois qu'elle ne mérite pas absolument toutes les claques qu'on lui a prodiguées; cependant il faut avouer qu'elle est bien conduite et que les caractères en sont beaux et bien soutenus. Adieu, mon cher ami; faites-moi promptement réponse au sujet du velours. S'il venait quelque espérance pour notre voyage, vous en seriez d'abord instruit. Je serai toute ma vie votre ami le plus attaché.

BUFFON.

M. de Brosses loge avec moi et vous fait des compliments.

(L'original de cette lettre appartient à M. Jules Janin, qui a bien voulu nous en donner communication. Elle a été insérée dans une édition de l'Histoire naturelle. M. Flourens en a publié un extrait.)

XVII

FRAGMENT DE LETTRE A L'ABBÉ LE BLANC *.

1738.

.... Je compte aller dans peu faire un tour à Dijon. Bien des gens me demanderont de vos nouvelles; je vous supplie, mon cher ami, de m'en donner souvent. Il n'y en a point dans ce pays; tout y est sur le même ton qu'il y a deux ans. Nous parlons souvent de vous; nous buvons quelquefois à votre santé à la fontaine Sainte-Barbe. Le vieux avare que votre bon appétit pensa faire mourir, est crevé cet hiver, sans avoir voulu faire de testament. J'ai bien pensé que Voltaire réussirait fort mal à commenter Newton, et je ne crains pas que le public appelle du jugement de M. de Moivre. Je voudrais bien, mon cher, que vous fussiez ici; nous avons un endroit charmant pour planter des houblons. Adieu; je vous embrasse et suis, de tout mon cœur, votre très-dévoué et très-affectionné serviteur.

BUFFON.

(I'original de ce fragment de lettre appartient à M. V. Cousin, qui a bien voulu nous le communiquer. Il a été publié en partie par M. Flourens.)

XVIII

AU PRÉSIDENT BOUHIER.

Paris, le 8 février 1739.

A toutes les bontés dont vous m'honorez, monsieur, à la part que vous daignez prendre à ce qui me regarde, je ne

Le premier feuillet de cette lettre a été détruit; le second feuillet, qui a été conservé, porte l'adresse de l'abbé Le Blanc, et ce qui reste de cette lettre, écrite de la main de Buffon, prouve qu'elle doit se rapporter à la fin de l'année 1738.

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