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CXIV

A GUENEAU DE MONTBEILLARD.

Montbard, le 17 août 1770.

Le rhume subsiste, mon très-cher monsieur, malgré les bains, les remèdes, les sirops et la diète; mais la voix est un peu revenue, et, en continuant ce régime, j'espère que j'en serai quitte dans quelques jours.

Si vous m'eussiez dit, mon cher monsieur, que vous avez eu la bonté de donner 500 livres pour moi, je n'aurais pas rapporté ici tout l'argent que j'ai touché à Semur. J'envoie aujourd'hui au P. Ignace1 un effet que j'ai à toucher sur M. Cœur-de-Roi. Je le charge de vous payer les 500-livres, la quittance en bonne forme, et je vous remercie, mon cher monsieur, d'avoir fini cette petite affaire.

Je suis content du gain de mon procès. La victoire pouvait être plus complète; mais il faudrait que la justice fût plus juste et prît moins garde aux formes. C'est toujours beaucoup gagner que de cesser d'être tracassé, surtout pour une misère.

M. Daubenton le fils est aujourd'hui à Buffon. Je ne manquerai pas de lui faire part de ce que vous me marquez, et je suis sûr qu'il s'y conformera.

Mes tendres respects à vos dames. Agréez aussi, je vous supplie, ceux de mon fils, et les protestations de mon éternel attachement.

BUFFON.

(Inédite. De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.)

CXV

AU PRÉSIDENT DE BROSSES.

Paris, le 21 décembre 1770.

Vous ne devez pas douter, mon très-cher Président, du désir que j'ai de vous voir sur notre liste. Vous êtes, à toutes sortes de titres, le premier que je voudrais nommer; cependant jusqu'ici je n'ai pu vous rendre service, comme je l'aurais voulu. Je suis arrivé à Paris le 12, et le lendemain j'ai été pris d'un rhume violent; j'ai eu deux accès de fièvre, en sorte que j'ai été forcé de garder ma chambre, et qu'encore aujourd'hui je n'en puis sortir. Étant incommodé, je n'avais fait qu'une liste très-courte des amis que je voulais laisser entrer, et précisément M. l'archevêque de Lyon1 est venu et ne m'a pas vu, parce que n'ayant pas encore reçu votre lettre alors, je n'avais pas songé à lui et que j'ignorais même s'il était à Paris. Depuis ce temps-là j'ai envoyé deux fois auprès de lui pour lui faire part de l'impossibilité où j'étais de l'aller voir. La première fois il était à Versailles pour trois jours; la seconde, il a répondu qu'il viendrait auprès de moi lorsqu'il aurait un moment de loisir. Enfin je ne l'ai pas en

core vu.

Il en est de même de M. de Sainte-Palaye', quoique je lui aie fait part de ma situation.

Hier au soir j'ai vu le nom de Mme votre fille3 sur ma liste, et comme je présume que c'est de votre part qu'elle est ve.nue me voir, je suis très-fâché qu'elle ne soit point entrée. Il m'est en même temps revenu de Montbard un billet qu'elle m'avait écrit avant mon arrivée et qui y avait été envoyé.

Je vous fais, mon cher ami, le détail de toutes ces circonstances, pour que vous ne soyez pas étonné du peu que j'ai fait jusqu'à présent dans votre affaire.

Plusieurs personnes de l'Académie me sont venues voir,

aussi bien que tous les aspirants, et voici l'état où j'ai trouvé les choses. Le plus grand nombre, pour M. Gaillard'; le plus petit, pour l'abbé Le Blanc; et c'est encore dans la même situation. Vous sentez bien que je n'ai pas voulu ôter à l'abbé, qui est mon ami, cinq ou six voix dont il est sûr, et que je dois y joindre la mienne, supposé qu'il ne soit pas question de vous.

Néanmoins je vous ai proposé à tous ceux que j'ai vus, comme celui qui en était le plus digne à tous égards, et qui par conséquent devait être le premier nommé. Mais, d'un côté, MM. de Foncemagne et autres de l'Académie des inscriptions tiennent pour leur Gaillard; de l'autre, j'ai trouvé une singulière opposition contre vous dans quelques gens de lettres, qui néanmoins sont faits pour vous apprécier; et comme cette opposition m'a étonné, j'ai fait tout ce qui était en moi pour en découvrir la source, et je ne sais si je me trompe; mais j'ai tout lieu de soupçonner qu'elle ne vient que d'un homme avec lequel vous avez eu des démêlés et qui a une grande influence sur l'escadron encyclopédique ". M. Duclos m'a bien parlé de vous, mais en même temps il m'a paru décidé pour M. Gaillard.

Voilà tout ce que je sais, et par conséquent, mon cher ami, tout ce que je puis vous dire. Au reste, comme il y a actuellement trois places', il me paraît aussi impossible qu'injuste que vous n'en obteniez pas une. Les opposants font beaucoup valoir votre non-résidence à Paris ; mais j'ai reconnu que c'était plutôt le prétexte que le vrai motif de leur opposition.

Une chose qui peut vous nuire encore, c'est que l'abbé Barthélemy se présente, appuyé de toute la faveur du ministère; et quand on vous nomme avec M. Gaillard et M. l'abbé Barthélemy, on répond que l'Académie des belles-lettres veut donc absolument envahir l'Académie française, en y plaçant tout à la fois trois membres de son corps.

Pour moi, de ces trois places, j'en veux une pour vous et l'autre pour l'abbé Le Blanc, et je me conduirai de mon mieux

et invariablement d'après ce point de vue; trop heureux si je puis réussir à vous donner, dans cette occasion, des preuves de mon zèle et de mon dévouement sans réserve.

BUFFON.

A mesure que les choses me paraîtront s'éclaircir ou s'embrouiller, j'aurai attention, mon très-cher Président, à vous en informer. La première élection ne se fera qu'après les Rois, et peut-être y en aura-t-il deux le même jour. Nommez-moi ceux sur qui vous croyez pouvoir le plus compter.

(Inédite. De la collection de M. le comte de Brosses.)

CXVI

A GUENEAU DE MONTBEILLARD.

Paris, le 2 avril 1771.

Il y a longtemps que je vous dois une réponse, mon trèscher monsieur; mais j'ai voulu attendre que je fusse en état de vous écrire quelques lignes de ma main, comme je le ferai à la fin de cette lettre.

Je la commence par vous témoigner ma joie du gain de votre procès. Trois semaines de temps qu'il vous en coûte pour vous en être occupé, me paraissent très-bien employées, et vous ne devez pas y avoir regret. Pour moi, mon trèscher ami, j'en ai beaucoup aux autres trois semaines que l'inquiétude de ma maladie vous a fait perdre, et je vous suis comptable non-seulement de ce temps, mais de mille sentiments que cette inquiétude suppose, et dont je ne pourrai jamais vous témoigner assez ma tendre reconnaissance.

Ma santé commence à se fortifier, malgré les froids qui sont fort contraires à la transpiration et à l'avancement de ma convalescence1. Je me tiens actuellement tous les jours sept ou huit heures debout; je dicte des lettres, et je fais quelques petites affaires. Je me promène à plusieurs reprises

dans mon appartement, où je fais chaque jour dix-huit cents ou deux mille pas. Le sommeil commence à me revenir; car il n'y a pas plus de quinze jours que j'ai commencé à fermer l'œil pour la première fois. Les ardeurs d'urine sont calmées. Je n'ai point encore d'appétit bien décidé, et je commence à prendre de la nourriture sans dégoût; moins j'en prends, mieux je me porte; deux onces de pain, autant de viande et autant de poisson, me suffisent pour mes vingt-quatre heures. J'ai perdu toute ma chair, et il n'y a encore que mon visage qui commence à revenir. Je ne suis pas encore assez fort pour prendre l'air, et j'attends le dégel pour sortir; mais en tout cas je ne crois pas que je puisse partir d'ici pour retourner à Montbard avant le 1er mai.

J'ai des remercîments infinis à vous faire des soixante bouteilles de vin de Genay que vous avez la bonté de me donner. Je n'en boirai pas d'autres. Mes médecins, dont je suis content, et qui m'ont très-bien conduit, insistent beaucoup sur ce que je boive à mon ordinaire du vin plus faible que nos vins de la haute Bourgogne, et avec mille autres obligations que je vous ai, mon cher monsieur, je vous devrai encore en partie le rétablissement de ma santé.

Je n'ai pas oublié, mon très-cher monsieur, les deux mille francs que j'aurais dû vous remettre, ou du moins vous offrir dès le mois de février, puisque vous me les aviez prêtés à cette condition. Je vous les offre aujourd'hui, et, si vous le désirez, je vous en enverrai une rescription. Je vous devrai encore de l'autre argent pour nos affaires communes, dont nous compterons quand je serai de retour.

Nous ne savons rien que par vous de la rétention d'urine du pauvre docteur Daubenton. Il faut cependant que cela. n'ait pas eu de suite, puisque ni moi ni son beau-frère n'en avons eu aucune nouvelle.

On prétend ici que nous aurons un nouveau Parlement la semaine prochaine ; j'en doute encore beaucoup, quoique je le désire. L'établissement des conseils supérieurs est loué

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