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LIVRE I.

DU DROIT DES PERSONNES.

TITRE I.

De l'État & de la Divifion des perfonnes.

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A premiere divifion des perfonnes, felon le Droit Romain, eft en hommes libres & en efclaves. La fervitude, dit le §. 2. Inftit de jure perfonarum, est un moyen introduit par le Droit des Gens, par lequel un homme eft fous la puiffance d'un autre contre le Droit naturel Conftitutio juris gentium quâ quis dominio alieno contrà naturam fubjicitur.

II. Les guerres ont été l'origine des fervitudes. Le vainqueur avoit le droit de vie & de mort fur le vaincu. Il parut plus humain de réduire le vaincu dans l'efclavage. Tout ce qui eft permis n'eft pas toujours honnête: Non omne quod licet honeftum eft, dit la loi 144. D. de diverfis regulis juris On eft efclave par la naiffance quand on est né d'une femme efclave. Par le Droit Romain & le Droit des Gens, dit Grotius de jure belli ac pacis, liv. z. chap. 5. n. 29. au fujet des captifs, le fruit fuit le ventre ou la mere, comme à l'égard des bêtes: Romano jure & jure Gentium circà captivos, ut in beftiis, ità in servilis conditionis hominibus partus matrem fequitur. On devenoit efclave fuivant le Droit des Gens, par la captivité; & fuivant le Droit civil, lorfqu'un homme libre, majeur de vingt ans, fouffroit qu'on le vendît pour participer au prix de la vente: Fiunt aut jure Gentium, id eft ex captivitate, aut jure civili, cum liber homo major viginti annis, ad pretium participandum fefe venundari paffus eft, §. 4. Inft. de jure perfonarum. La plus

vile fujetion, dit Grotius, liv. 2. chap. 5. n. 27. c'est la fervitude parfaite à laquelle on fe foumet, comme faifoient chez les Germains, ceux qui jouoient leur liberté par un dernier coup de dé: Subjectionis fpecies ignobiliffima eft quâ quis fe dat in fervitutem perfedam, ut illi apud Germanos qui noviffimo aleæ jacu de libertate contendebant.

III. Les efclaves formoient une grande partie du patrimoine des Romains. Tout ce que l'efclave gagnoit ou acqueroit, étoit acquis au maître. L'efclave n'eft capable d'aucune obligation: In fervilem perfonam nulla cadit obligatio, L. zz. D. de diverfis regulis juris. Il eft incapable de tous les effets civils: Quod attinet ad jus civile, fervi pro nullis habentur, L. 32 du même titre. La fervitude étoit prefque comparée à la mort, fuivant la Loi 209 du même titre: Servitutem mortalitati ferè comparamus. Et les Loix nous disent par-tout que la liberté eft un bien ineftimable: Libertas ineftimabilis res est, L. 106 du même titre. Les causes concernant la liberté méritoient la plus grande faveur: Libertas omnibus rebus favorabilior eft, L. 122. Infinita æftimatio eft libertatis, L. 176, §. 1 du même titre. Mais l'esclave eft capable de ce qui eft de Droit naturel & de Droit divin, L. Quod attinet 32, D. de diverfis regulis juris. Le mariage de l'efclave n'eft compté pour rien par rapport aux effets civils; mais il vaut comme lien naturel & comme Sacrement, parce qu'il n'y a point d'acception de perfonnes devant Dieu.

IV. Celui qui eft mort civilement eft privé de tous les effets civils; mais il eft capable de ce qui est de Droit naturel ou du Droit des gens, suivant la Loi Sunt quidam 17, §. Item quidam 1. D. de pænis. Un condamné aux Galeres perpétuelles nommé Tofcan, ayant été infulté & outragé par une femme, porta fa plainte au Lieutenant de Marseille, & fit informer. L'accufée présenta une requête en fins de non recevoir & caffation de la procédure, prétendant que Tofcan étant mort civilement, il étoit fans action. Le Lieutenant la débouta de cette requête, & la condamna à une amende, tant envers Tofcan qu'envers le Roi, & aux dépens. Elle appella de cette Sentence

pardevant la Cour; & par Arrêt du 18 février 1713 la Sentence fut infirmée au chef feulement qui adjugeoit une amende à Toscan; & l'accufée fut condamnée à l'amende envers le Roi & aux dépens, par la raifon que s'agiffant d'un droit naturel, dont tout ce qui refpire eft capable, Tofcan, quoique mort civilement, étoit au nombre des vivans, & fous la protection de la Juftice.

V. De l'établiffement des fervitudes naiffoit une autre divifion des perfonnes felon le Droit Romain, fçavoir: de ceux qui étoient nés libres, qu'on appelloit Ingenui, & de ceux qui étant nés ou tombés dans une jufte fervitude, avoient été affranchis, appellés Libertini. Inftit. de Ingenuis, de Libertinis.

VI. Parmi les Nations Chrétiennes la fervitude a été abolie comme contraire au Droit naturel & aux maximes du Chriftianifme: Chriftianis in univerfum placuit bello inter ipfos orto captos fervos non fieri, ità ut vendi poffint, ad operas urgeri & alia pati qua fervorum funt, dit Grotius de Jure belli ac pacis, liv. 3. chap. 7. n. 9. C'est auffi la remarque de Boërius, décif. 178. n. 2. de Bugnyon en fes loix abrogées, liv. 1, n. 44.

VII. Seulement ceux qui font pris par les ennemis font faits prifonniers de guerre, obligés de payer une rançon au vainqueur. Grotius au lieu cité dit: Manfit tamen etiam inter Chriftianos mos captos cuftodiendi donec perfolutum fit pretium, cujus aftimatio in arbitrio eft victoris, nifi certi aliquid convenerit. Les vaincus payent une rançon au vainqueur, dit Boërius décif. 178. n. 3. Hodiè ranfonem fivè finantiam folvunt capienti; & il n'eft plus permis de les tuer après le combat. C'eft auffi la remarque de Vinnius fur le §. 3. Inftit. de Jure perfonarum, & fur le §. 17. Inftit. de rerum divifione où il dit, n. 3. Cæterùm Chriftianarum penè omnium gentium velut mutuo confenfu comparatum eft, ut capti etiam in bello juftiffimo libertatem retineant, eofque tamdiù dumtaxat retinere Liceat, donec pretium redemptionis exfolverint. Voyez encore Coquille fur les Coûtumes de Nivernois, chap. 8. des fervitudes perfonnelles.

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VIII En fera-t-il de même de ceux qui font pris par

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pars, §.

les Turcs & les infideles? La fervitude à laquelle ils font réduits leur fera-t-elle perdre leur état? Les infideles n'en ufent pas avec les Chrétiens comme les Nations Chrétiennes en ufent entr'elles. Covarruvias fecunda relectionis II. n. 6. tom. 2. pag. 537. traite cette question; & il réfout qu'il y a une grande différence à faire entre les guerres des Romains, & celles que les Chrétiens font obligés de foutenir contre les infideles qui fe font injuftement emparés des terres du Nom Chrétien: Ego fanè video maximam effe difcriminis caufam inter bella Romanorum, & ea quæ Chrif tiani adversùs infideles, qui nos undique impetunt, gerimus. Quorum quidem infidelium agreffiones non poffunt aliquâ ex parte effe licita, nec itidem defenfiones, cum Provincias Chriftiani nominis tyrannicè & perfidè, ac crudeliter occupaverint; quamobrem nifi aliud lege humand ftatutum in fpecie fit, opinor ergà Chriftianos captos à Turcis, vel Sarracenis, non effe fervandas Leges Romanorum, quæ de captivis apud hoftes loquuntur. Il importe peu que les Turcs regardent & traitent leurs prifonniers comme des efclaves. Ces prifonniers ne doivent pas moins être réputés libres parmi nous. Ils perdent la liberté de fait & non de droit ; & il répugneroit à l'humanité & aux Loix du Christianisme, d'ajouter à leur malheur la perte de leur état & la honte de la fervitude. Voyez Bugnyon dans fes Loix abrogées liv. 1. fom. 44. Barry de Succeffionibus liv. 1. tit. 7. n. 18. & tit. 8. n. 8.

IX. Nous tenons pour maxime que dès qu'un esclave a mis le pied en France, il y devient libre. Loifel dans fes Inftitutes Coutumieres liv. 1. tit. 1. n. 6. dit: » Toutes >> perfonnes font franches en ce Royaume, & fitôt qu'un >> esclave a atteint les marches d'icelui, fe faifant baptiser, >> eft affranchi ». Voyez Bodin en fa République liv. 1. chap. 5. Charondas dans fes Pandectes liv. 2. chap. z. Gudelin de Jure Noviffimo liv. 1. chap. 4. Vinnius fur le §. 3. Inft. de Jure Perfonarum n. 5.

X. Il y a cependant encore dans quelques Provinces du Royaume des fervitudes foncieres. Ce font des hommes qui ne font ni de franche condition ni efclaves, mais fujets à des charges différentes, felon la diverfité des Coutumes,

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comme l'ont remarqué Bodin & Charondas aux lieux cideffus cités, de Lauriere fur les Institutes Coutumieres de Loifel liv. 1. tit. 1. n. 6. Pasquier dans fes Recherches de la France liv. 4. chap. 5. Mais cette forte de fujétion eft bien différente de l'efclavage des Romains. M. de Lamoignon dans fes Arrêtés tit. de l'Etat des perfonnes eftime qu'il feroit à propos de rendre tous les fujets du Roi de franche condition, fans tache de fervitude, en accordant un dédommagement aux Seigneurs. Et déja Louis XVI. dont les bienfaits vivront dans la mémoire des hommes, a, par fon Edit du mois d'août 1779, éteint & aboli la main-morte & condition fervile & les droits qui en dépendent, dans les Terres & Seigneuries de fon domaine, dans fes domaines qui font engagés, & dans les Terres & Seigneuries qui feront par la fuite acquifes à fon domaine. Il y eft dit que les Seigneurs qui fuivront cet exemple, feront difpenfés d'obtenir de Sa Majefté aucune autorisation particuliere, & de faire homologuer les actes d'affranchiffement, ou de payer aucune taxe ni indemnité, à caufe de la diminution que ces affranchiffemens paroîtroient opérer dans les Fiefs tenus du Roi. Il y eft ordonné que les droits de fuite fur les main-mortables, demeureront éteints & supprimés dans tout le Royaume, dès que le ferf ou mainmortable aura acquis un véritable domicile dans un lieu franc.

XI. Quoiqu'il n'y ait plus de vraie fervitude en France, il y a néanmoins dans les Ifles Françoises de l'Amérique, des efclaves femblables à ceux des Romains. Nous avons l'Edit du mois de mars 1685, appellé le Code noir, pour la difcipline & le commerce des Negres & Efclaves des Ifles Françoifes de l'Amérique. Un autre Edit du mois d'octobre 1716, concernant les efclaves Negres des Colonies, ordonne en l'art. I. que celui du mois de mars 1685, fera exécuté felon fa forme & teneur, & contient de nouvelles difpofitions dans les articles fuivans. Cet Edit a été enrégiftré au Parlement de Provence le 2 décembre de la même année.

XII. Ces efclaves Negres arrivant en France avec leurs

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