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éternelles dissentions tantôt entre les différentes factions des nobles, tantôt entre les nobles et le peuple, les affoiblirent, les écartèrent de la voie que leur avoient tracée leurs ancêtres, et amenèrent enfin la perte de la liberté.

Ce fut vers le milieu du quinzième siècle. Alors s'étoit élevée dans Florence à une haute prospérité. une famille noble, enrichie par le commerce, et qui donna depuis une reine à la France, la famille des Médicis. Déjà deux chefs de cette maison avoient été Gonfaloniers de la république, et s'y étoient fait, par leurs vertus, leur adresse et leur opulence, un parti puissant. Cosme de Médicis fut le troisième ; c'étoit le particulier le plus riche de l'Europe. Sa. libéralité, sa magnificence égaloient sa richesse; ct la pureté de ses mœurs, l'affabilité de son caractère, la modeste simplicité de sa vie relevoient encore tous ces avantages; il en profita pour fonder son autorité. et pour la rendre durable. Protecteur et bienfaiteur des arts et des lettres, il les fit renaître en Italie. Il. encouragea et vivifia le commerce; il aida de ses trésors l'industrie active et pauvre. Après quelques premiers, revers, qui allèrent jusqu'à le faire chasser de Flo-. rence, ilyfut rappelé par l'amour du peuple et garda pendant trente années une autorité qui ne finit qu'à sa mort. Il obtint le surnom de Grand; et l'Etat en fit graver sur sa tombe un autre plus précieux encore le titre glorieux de PÈRE DE LA PATRIE.

Ge titre, rarement mérité, l'étoit il par Médicis lui même ? Il avoit procuré de l'éclat, des jouissances, de la paix aux Florentins; mais il les avoit doucement asservis. Un conseil extraordinaire, dont il étoit le chef, avoit pris la place des anciens magistrats. Enfin ce n'étoit plus à là loi, c'étoit à un homme que ce peuple, sans s'en aper-. cevoir avoit consenti d'obéir. Florence étoit encore une république ; mais elle avoit une prince, un chef perpétuel, un souverain à qui il n'en manquoit que le titre; et ce prince étoit Médicis.

Pierre son fils, qui lui succéda, eut une domination

plus orageuse, plus souvent contestée; parce qu'avec de grandes qualités, il avoit pourtant des vertus moins éminentes, et sur-tout moins de modestie réelle ou feinte, moins de douceur et de bonté que son père. Plus les Florentins perdoient le goût de la liberté, plus ils prenoient celui du luxe, de l'oisiveté, des mauvais mœurs. Pierre laissa deux fils, Laurent et Julien, dont le premier joignoit à des qualités brillantes, qui rappeloient aux Florentins celles de Cosme son aïeul, une fierté qui lui fit des ennemis puissans parmi les nobles Une conjuration se forma contre les deux frères. Julien y perdit la vie. Ses assassins n'ayant pu atteindre Laurent, voulurent persuader au peuple qu'ils n'avoient agi qu'en haîne de la tyrannie, et pour l'engager à reprendre ses droits, sa liberté, sa constitution républicaine; le peuple, indigné de l'assassinat, et qui d'ailleurs n'aimoit plus, ne sentoit plus assez la liberté pour s'apercevoir qu'il avoit cessé d'être libre, ne se précipita qu'avec plus d'empressement sous le joug des Médicis. Laurent vit augmenter sa puissance, et périr du dernier supplice ses ennemis et les meurtriers de son frère.

Il acheva de perfectionner le goût des arts; il les cultivoit lui-même; et l'on conserve de lui, des vers qui attestent la beauté de son génie. Sa famille, au milieu de tant de grandeurs, n'avoit point encore abandonné le commerce.. Laurent y renonça le premier, et plaça en terres son immense fortune. Ce qu'il fit, ce qu'il donna pour l'encouragement des lettres et de l'industrie, ce qu'il dépensa en spectacles donnés au peuple, en édifices, en magnificences de toute espèce, surpasse ce qu'on en peut dire. Rien ne manqueroit à sa gloire, s'il eût moins altéré la simplicité des mœurs publiques, et rendu moins. difficile le retour à la liberté.

Pierre, fils de Laurent, perdit par une bassesse le crédit et la puissance dont il avoit hérité. Notre roi Charles VIII étant descendu follement en Italie pour aller conquérir le royaume de Naples, Pierre non seulement lui livra passage, mais lui abandonna plusieurs villes, et se soumit, lui et les Florentins.

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aux conditions les plus dures. Il fut démenti par le peuple, qui obtint de Charles des conditions plus honorables. Pierre avili, même aux yeux de ses amis, fut obligé de fuir de ville en ville; les Florentins indignés, ayant chassé les Médicis, rétablirent le gouvernement populaire, mais avec des modifications qui prouvent qu'ils avoient, en quelque sorte, désappris à être libres. La plus importante de ces altérations, fut de rendre perpétuelle la dignité du Gonfalonier de justice.

Pierre étoit mort dans son exil; mais les Médicis avoient encore un parti puissant. Le Gonfalonier perpétuel fit des fautes, dont ce parti sut profiter avec tant d'adresse, qu'ils furent ramenés à Florence, et rétablis dans tous leurs biens. Ils affectèrent d'abord de ne vouloir d'aucunes dignités, de ne prétendre qu'au titre honorable de citoyens de Florence; mais l'un d'eux étoit déjà cardinal, un autre devint bientôt pape, sous le nom de Léon X; et mettant tous ses soins à l'agrandissement de sa famille, il lui rendit une partie de son ancien pouvoir.

Un second pape de la même maison, Clément VII, suivit avec succès le même plan. Cependant, opprimée par les Médicis, princes, cardinaux et papes, la répu blique de Florence, ou du moins son fantôme existoit encore. Des complots se formèrent, des émeutes en furent la suite; la première réussit mal; la seconde, mieux concertée, obligea les Médicis, neveux du pape, à se démettre de tous emplois, et ensuite à sortir de la ville. On y remit en vigueur le gouvernement démocratique, cher à tous les vrais amis de la liberté. Mais Florence avoit des nobles, et par conséquent un parti aristocratique, et par conséquent des factions et des dissentions sans fin.

Le pape et l'empereur se liguèrent contre les Florentins, qui tinrent ferme contre les armes impériales et contre celles du saint-père. Ils soutinrent un siège de onze mois. La disette d'argent et de vivres les mit aux dernieres extrémités. Pour avoir de l'argent, on fit une loterie des biens des rebelles. Tout l'or et l'argent non

monnoyé qui se trouvoit chez les habitans et dans les églises, fut envoyé à la monnoie. On vendit les pierreries qui étoient autour d'une croix d'or très-célèbre. On en fit autant de celles qui ornoient la thiare que Léon X avoit donnée à un chapitre de chanoines. Rien ne coutoit aux Florentins pour défendre leur liberté. Plusieurs écrivoient sur leurs portes ces deux mots en gros caractères : PAUVRES ET LIBRES.

La famine, la peste et la guerre réunies en avoient moissonné le plus grand nombre. Villes, bourgs, châteaux, villages, dans tout le territoire de la république, étoient ravagés et détruits. Florence étoit sans ressource, et se défendoit encore. Mais enfin on lui promit une paix honorable; on promit sur-tout que les changemens qui seroient faits dans le gouvernement, le seroient tous, sauf le maintien de la liberté des citoyens; condition sans laquelle ils étoient résolus à se laisser passer au fil de l'épée; condition qui fut violée, comme il arrive toujours, aussi-tôt qu'ils se furent rendus.

Il leur fallut livrer leurs armes ; ils se virent pillés, ruinés, proscrits; des échafauds furent dressés. Le pape, instigateur de ces vengeances, fit couler le sang de tout ce qui avoit paru opposé à sa famille, et ce fut après ces exécutions horribles, qui doivent être une leçon pour tous les peuples qui ont leur liberté à défendre, que l'empereur et le pape se concertèrent pour changer la constitution, pour détruire la république, supprimer les magistrats élus, le Gonfalonier, toutes les dignités populaires, et remplacer le gouvernement de la liberté par celui d'un duc de Florence, qui fut, comme on le croit bien, l'un des deux jeunes Médicis, neveux de ce pape ambitieux, vindicatif et oppresseur.

Ainsi finit l'une des républiques modernes qui offrent à l'histoire le plus de scènes attachantes et variées. J'ai cru que le tableau rapide de ces événemens divers plairait à nos lecteurs. Résolus, comme ils le sont et comme tout Français doit l'être, à vivre libre su à mourir, j'ai pensé que ce spectacle les intéresseroit

plus vivement que de simples détails géographiques. Je leur ai peint la république de Florence. Nous verrons. la première fois le duché de Toscane, tel qu'il fut depuis sa liberté détruite, et tel qu'il est aujourd'hui.

Des hommes traités comme des brutes peuvent-ils faire une bonne armée ?

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Qu'est-ce qu'un soldat français ? C'est un citoyen, traité et respecté comme tel, toujours, par tout, et par tous; il s'enrôle volontairement et librement; il reçoit une solde qui lui fournit une nourriture abondante et une existence commode. Les lois militaires qui le gouvernent sont, comme les lois civiles ellesmêmes, puisées dans les droits de l'homme. L'habit de sa profession n'est point la livrée d'un maître; sa discipline n'est point une servitude puérile; s'il obéit à des chefs, c'est seulement pour son service. Point de punition arbitraire, point de correction infamante à redouter pour lui; jamais son uniforme ne sera un prétexte pour le vexer. Tel est le soldat français, depuis la révolution.

Eh bien, voilà les hommes qui, si l'on en croit cer-` taines gens, vont être désarmés et vaincus comme des enfans par les esclaves enrégimentés que les princes du nord vont déchaîner contre la France.

C'est ce que soutenoit ces jours derniers un de ces hommes trompés ou trompeurs, qui déclament contre la guerre, qui nous conseillent innocemment d'attendre que nous soyons environnés de plusieurs armées formidables, à l'aide desquelles le congrès des potentats absolus de l'Europe nous dictera quelques conditions et quelques amendemens à notre constitution, le tout pour la rendre un peu plus monarchique, ou, en d'autres paroles, pour rétablir la noblesse hereditaire, et tout ce qui s'ensuit.

Vous devez trembler, répétoit sans cesse notre homme; comment, avec votre armée, repousserezvous le Prussien si habile à la manoeuvre ? quelle re

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