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Courtes réflexions sur les deux morceaux précédens.

Ce qui est vrai, ce qui est bien saisit l'ame, et frappe l'esprit de tout homme de bonne foi. A cet égard, nos lecteurs n'ont pas besoin qu'on les avertisse, pas plus que M. COUET n'a besoin qu'on l'admire. Ce n'est donc pas son courage et son talent que nous remarquerons; mais c'est le succès avec lequel il transplante la philosophie dans un village. Son exemple nous prouve ce que nous avions toujours pensé c'est que le faux savoir est une maladie plus difficile à guérir que l'ignorance absolues que la vérité n'a qu'à se montrer à l'homme simple, pour être accueillie, et que Socrate se feroit mieux comprendre du moins habile de nos cultivateurs, que du plus subtil de nos théologiens.

Il a fallu des siècles entiers pour que les hommes se soient familiarisés avec l'absurde coutume d'adresser à Dieu des paroles qu'ils ne comprennent point. Au contraire, qu'on nous donne l'enfant le moins avancé, le pâtre le plus rustique, il ne faudra qu'un moment pour lui faire sentir que s'il est bon de savoir ce qu'on dit, c'est sur tout quand on demande des faveurs semblables à celles dont l'être suprême est le seul dispensateur. En effet, un Français amoureux qui exprimeroit ses désirs en latin à sa maîtresse, ne seroit guère plus ridicule que nous, lorsque nous implorons en grec la miséricorde céleste.

Nombre de prêtres éclairés, autant que pieux, approuveront la belle prière de M. Couet, ci n'oseront suivre son exemple. Mais du moins il n'en est pas qui ne puisse imiter la réforme qu'il a opérée dans l'édu cation de son village. Nous ajouterons quelques idées aux siennes.

ÉDUCATION.

Les enfans doivent être gouvernés, comme les hommes, par la raison et par la justice. Si vous n'employez avec eux que le caprice et la force, ne soyez

pas étonnés qu'ils deviennent hypocrites pour vous tromper, ou méchans pour se venger de vous.

L'histoire grecque rapporte qu'un tyran, nommé DENIS, chassé du trône par le peuple de Syracuse, qu'il avoit opprimé, se réfugia dans la ville de Corinthe, et se fit maître d'école, pour avoir encore le plaisir de dominer et de gourmander des créatures humaines; à voir la plupart des écoles, on croiroit que nos magisters sont autant de tyrans détrônés.

Qu'on y fasse attention; le despotisme qui règne en général dans les éducations, vient de celui qui régnoit dans le gouvernement. Si la plupart des maîtres, et même des pères, traitent les enfans avec dureté, c'est pour imiter les manières que les nobles, les gens en place et leurs protégés affectoient avec le peuple entier. Ils exigent la même obéissance aveugle et servile; ils s'étonnent et s'irritent de même à la moindre résistance. La remontrancé est également un crime à leurs yeux. Vous entendrez un pédant trouver mauvais qu'on lui raisonne ; vous le verrez frapper un enfant pour avoir raisonné. Eh bien, c'est ainsi qu'autrefois on faisoit mettre un philosophe à la Bastille et un charretier à Bicêtre, uniquement parce qu'ils étoient des raisonneurs.

Encore une cause de la rudesse de nos éducations ; c'est la doctrine impie que les prêtres romains ont si long-temps prêchée pour autoriser leurs tyrannie, leurs inquisitions et toutes leurs barbaries. L'homme, disoient-ils, naît méchant et corrompu. De là, ils tiroient la conséquence, que ses penchans vicieux ne pouvoient être réprimés que par la terreur des supplices dans cette vie et dans l'autre. De là, l'horrible abrutissement auquel le gente humain est livré depuis quatorze ou quinze siècles.

Enfin les sages de tous les temps ont détesté la violence avec laquelle on élève des êtres destinés à vivre libres et citoyens. Voici ce qu'en disoit, il y a plus de deux cents ans, le sage Montaigne ; son langage antique et gaulois a une naïveté, une franchise qui nous semble devoir plaire à nos lecteurs,

Au lieu de convier les enfans aux lettres, on ne "leur présente qu'horreur et cruauté. Otez-moi la " violence et la force; il n'est rien, à mon avis, qui

abâtardisse et étourdisse si fort une nature bien "née. Si vous avez envie que cet enfant craigne la » honte et le châtiment, ne l'y endurcissez pas. En* durcissez-le à la sueur et au froid, au vent, au

soleil et aux périls qu'il lui faut mépriser. Accoui tumez-le à tout. Mais la police des collèges m'a "toujours déplu. On eût failli moins dommageable" ment en s'inclinant vers l'indulgence. C'est une " vraie geole de jeunesse captive. On la rend vi"cieuse, l'en punissant avant qu'elle le soit., Arrivezy à l'heure du devoir, vous n'oyez que cris et d'enfans suppliciés, et de maîtres enivrés en leur colère. Quelle manière pour éveiller l'appétit envers leur leçon, à ces ames tendres et craintives, de les * y guider d'une figure effroyable, et les mains armées de fouets! inique et pernicieuse forme, qui a même des suites périlleuses, sur-tout avec notre façon de 'châtiment! Combien leurs classes seroient plus décemment jonchées de fleurs et de feuillées, que de "tronçons d'osiers sanglans!... ››

ASSEMBLÉE NATIONA L E.

Amnistie aux Avignonois.

Que de crimes et de maux ont souillé la révolution française dans ces contrées! Combien la nature a été outragée sous un ciel tant favorisé par elle ! La guerre s'y est faite entre les citoyens, comme entre des sauvages ou des tigres. Les hommes y ont paru ne se ressentir en rien de l'adoucissement que les lumières du siècle ont introduit dans les mœurs; les Avignonois. et les Comtadins semblent les contemporains du massacre de la saint Barthelemi, plutôt que ceux du siège de la Bastille. Il est bon de remarquer que le peuple qui s'est montré le plus barbare, est celui qui avoit été sous le gouvernement des prêtres.

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Voici un décret que plusieurs citoyens estimables ont paru ne point approuver. Mais ni les principes, ni les faits qui l'ont fait rendre, ne sont bien connus. On va voir que la nécessité le dictoit, comme la sagesse

le conseilloit.

Dans le mois d'octobre dernier, Avignon fut témoin d'une scène dont la barbarie à peu d'exemples. Un grand nombre de prisonniers enfermés dans le château furent tous- inhumainement massacrés par le parti qui les tenoit dans ses fers; leurs têtes sanglantes et leurs troncs mutilés furent jetés confusément dans le gouffre épouvantable d'une vaste glacière. Une partie des furienx qui avoit ordonné ou commis cette atrocité, ayant depuis été arrêtée, un décret avoit ordonné qu'ils seroient poursuivis. Cependant l'assemblée vient de décider que l'amnistie, déjà prononcée, aura lieu pour tous les crimes et délits relatifs à la révolution, commis dans le Comtat et dans la ville d'Avignon jusqu'à l'époque, du 8 novembre ".

Ceux qui ne voient ici qu'un seul fait, qu'un seul jour, qu'une seule poignée de coupables, s'en étonnent. Mais considérons le passé.

On aura beau affecter de flétrir du nom de brigands, l'un des partis avignonois; il est cependant certain qu'il n'en existoit que deux dans Avignon; ceux qui vouloient devenir libres et Français, et ceux qui s'obstinoient à rester les esclaves du pape et de ses visirs mitrés ou tonsurés.

La réunion de ces provinces à la France fut décrétée le 23 septembre, après que les campagnes et les villes eurent été pendant plus de six mois désolées et ensanglantées par les combats des deux partis, tour à tour vaincus et vainqueurs. Le même décret ordonnoit, que des forces suffisantes seroient envoyées pour organiser le gouvernement et pacifier les troubles, en contenant les factions. En même temps, pour effacer tout vestige des discordes que cette loi devoit éteindre, on prononçoit l'amnistie générale.

Il est clair que l'amnistie supposoit la plus prompte exécution du décret. Elle supposoit sur-tout, qu'un corps de troupes très-imposant assureroit cette exé

cution et le passage paisible du désordre ancien å l'ordre nouveau. Mais c'est tout le contraire qui est arrivé. Le ministère, perfide ou stupide, a laissé continuer la guerre civile, en retardant l'envoi du décret, en ne faisant marcher qu'un petit nombre de soldats. Dès lors nouveaux efforts des factions; nouveaux débats; nouvelles vengeances; nouveaux forfaits.

Ces attentats sont donc une suite de ceux qui avoient précédé le décret ; ils sont donc les mêmes ! le décret non exécuté est donc comme non avenu! Qui pourroit le nier? Si donc vous voulez punir les derniers, punissez aussi les premiers; alors abolissez l'amnistie du 23 septembre; couvrez la terre d'échafauds; plantez une forêt de potences; mandez une arméc de bourreaux; informez contre des milliers de coupables, contre toutes les familles, contre le peuple entier; car le peuple entier participa aux fureurs de l'un et de l'autre parti.

Mais, dit-on, les derniers crimes sont les plus atroces. C'est précisément parce qu'ils ont été commis après les autres. Tel est le caractère des vengeances et des guerres civiles. Le lâché et perfide assassinat de Lescuyer au pied d'un autel, a précédé le monstrueux massacre de la glacière. Si les troubles eussent continué, peut-être auriez-vous vu des traits plus execrables

encore.

Vous demandez justice; mais en est-il pour les délits nés des fureurs civiles? Comment le juge démêlera-t-il la vérité, lorsque tout est d'un parti ou d'un autre ? Où prendrez-vous des témoins? où prendrezvous même des juges?

Ainsi donc, pour punir justement, il eût fallu trop punir. Il falloit donc révoquer ou étendre l'amnistie précédente. Or l'amnistie est la fin nécessaire de toute guerre civile.

Que signifie ce mot ? loi d'oubli. La société semble dire aux citoyens: La poursuite des crimes commis dans vos troubles, troubleroit encore plus la paix publique. Que tout soit oublié; l'intérêt général le commande à tous et à chacun.

Fatale nécessité où la discorde réduit les peuples,

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