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joindre avec tant d'autres, après la mort du duc actuel, à la masse énorme des possessions autrichiennes.

Voilà donc encore une souveraineté dont un mariage dispose! voilà des peuples qui seront gouvernés par une race étrangère, et qui sont donnés par contrat, comme une partie de propriété foncière ! Les hommes étoient depuis si long-temps dans l'ignorance absolue de leurs droits, que cet ordre monstrueux de choses. leur paroissoit naturel et juste. Maintenant, à mesure

les lumières s'étendent, et qu'ils apprennent à connoître ce que c'est qu'un peuple et ce que c'est qu'un gouvernement, cet état passif d'hommes que l'on ne consulte seulement pas avant de disposer d'eux, paroît un peu moins raisonnable. Dans quelque temps, peut-être, on aura peine à croire qu'il ait existé, que les princes se fussent ligués pour l'établir, et sur-tout que les peuples l'aient souffert.

Aux Rédacteurs de la Feuille Villageoise.

MESSIEURS,

Le curé d'Orville, qui vous aime sans vous connoître, vous prie de recevoir deux articles pour vos Feuilles si instructives.

Il s'est dévoué, comme vous, à porter les lumières dans les campagnes, et à mettre les villageois en garde contre les astuces de cette ancienne église, qui absolument ne veut pas se renouveler.

En trois mois, j'ai détruit dans ma paroisse les craintes serviles de la superstition. Mes paroissiens prient en hommes libres; au moins ils peuvent rendre compte de la manière dont ils passent le dimanche. Ils sortoient souvent de l'église, après s'être égosillés sur du latin qu'ils n'entendoient pas, et sans avoir fait une seule prière à DIEU. Nous observons l'ancien rite; mais plus de libera, plus de de profundis hurlés. Nous faisons notre prière telle que je vous l'envoie, prière qui nous tient lieu de prône, d'instruction religieuse, parce qu'elle renferme la morale civile et religieuse de tous les

jours. Après la messe, je les entretiens de votre Feuille, dans l'eglise, jusqu'à ce que le beau temps nous conduise sous un chêne.

Si vous voulez un tableau nouveau et riant, je crois que celui de mon maître d'école remplira vos vues; il est dans la plus exacte vérité.

28 Janvier 1792.

Aug. COUET, curé d'Orville.

PRIÈRÈ

RELIGIEUSE

Des Citoyens du village d'Orville.

· Dieu de bonté et de miséricorde, protège de bons villageois qui ont sans cesse besoin de tes bienfaits et de ton indulgence.

Exauce nos prières; nous ne te les faisons pas avec la froideur de l'habitude, mais avec cette sensibilité qui nous fait éprouver le besoin de t'implorer, et de radorer dans les merveilles qui embellissent nos campagnes au retour du printemps.

Nous sommes sortis de cette servitude qu'un long usage du malheur et du mépris nous faisoit endurer; rends-nous dignes de la liberté, si précieuse à l'homme : le moyen de la conserver, c'est d'obéir aux lois, de payer les impôts, de ne pas endommager les proprié tés, de travailler pour la prospérité de la nation, d'aimer notre roi, de respecter nos magistrats, nos juges, nos prêtres, et ces vieillards courbés sous le poids de leurs années, employées à la cliarrue ou à là bêche ; donne-nous ces qualités sociales et ces mœurs intègres qui conviennent aux citoyens d'un pays libre.

Mets la paix dans nos ménages, l'union dans nos familles, la probité dans nos conventions; fais que nous ne veuillions pas de mal à ceux qui te servent d'une manière différente de la nôtre; inspire-nous de bons exemples pour nos enfans; donne aux riches d'entre nous le goût de la bienfaisance, aux paresseux le zèle du travail et de l'aversion pour cette, mendicité

qui traîne de porte en porte l'indolence et l'embon point. Si, malgré un travail assidu. malgré l'innocence d'une conscience sans reproche, il est parmi nous des malheureux, ah! c'est sur ceux-là que nous appelons les effets de ta miséricorde; fais qu'ils chantent tes bienfaits qui en est plus digne que l'homme juste ?

Tu le sais, grand dieu le moyen de vivre et de payer les charges de l'Etat, dépend de nos bras et de la tempérie de l'air; accorde-nous les saisons, la force et la santé qui nous sont nécessaires pour fertiliser nos champs; détourne de nous ces fléaux qui, dans un instant de gelée ou d'orage, dévorent out le travail d'une année; détourne aussi de nous le fléau le plus terrible, celui de la guerre; donne aux rois, et sur-tout à leurs flatteurs, le goût de ette paix qui règne dans nos campagnes; fais que tous les pays jouissent, comme le nôtre, de cette liberté soumise à la loi ; que les peuples de l'univers ne forment tous qu'un peuple de frètes et d'amis; fais enfin que notre constitution triomphe des tyrans que la nation prospère, que les lois soient en vigueur, et que le roi soit notre ami.

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Voilà nos prières; toute la vie elles seront les mêmes, parce que toute la vie nous voulons conserver la bonté villageoise, plaire au dieu qui fait croître nos moissons, et chérir la patrie qui nous protège par ses lois.

LES MAÎTRES DES ÉCOLES DE VILLAGES.

Aux Redacteurs de la Feuille Villageoise,

Vous dont les écrits font tant de plaisir à nous autres bons villageois ; vous qui nous faites désirer l'arrivée de votre Feuille avec autant d'empressement que nous attendons la défaite des émigrés, écoutez un bon curé qui veut le bien de son pays, qui le voit facile à faire, et qui est fâché qu'il ne se fasse pas.

Depuis la révolution, autant d'années, autant de générations manquées; l'instruction des enfans de villages est aujourd'hui la même que celle de la veille du 14.

A G

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juillet 1786 elle consiste, pour le petit nombre, à savoir griffonner son nom quand on est parrain, à bredouiller, en sons aigus et rapides, l'office latin de sa paroisse, à lire, à mots lentement interrompus, les prophéties de Nostradamus, ou les mensonges lunaires de Mathieu Lansberg: les deux tiers ne savent ni lire, ni écrire.

Avant d'habiter la campagne, je ne m'étois jamais' formé l'idée de la manière dont un magister de village tenoit son école. Je voulus m'en instruire, et je `fus bien payé de ma curiosité. Je vis qu'un villageois qui montre à lire, n'est autre chose qu'un garde-enfans qui, soir et matin, passe deux heures à crier, paix là, et rien de plus.

Certain matin, j'allai à l'A B C de mon grave magister Maurice, personnage important au lutrin, invincible routinier, faisant sans cesse la guerre à l'enfance, et montrant ce que son prédécesseur montroit, rien....., mais parfait honnête homme. A peine m'aperçoit-il, que promptement son chapeau suit sa main longuement étendue sur le pan d'un vieux habit gris. Il s'agite; il se lève d'une haute chaise de paille à moitié rongée, m'accable de son respect, commande à sa troupe bruyante silence et politesse. A sa droite étoit une longue gaule; de l'autre côté de grosses branches de bouleau serrées ensemble, pendoient aux barreaux de sa chaise poudreuse, et attendoient ses ordres.

Faites-vous, lui dis-je, usage de ces hochets fustigatoires? Tenez, M. le curé, me répondit-il, vous voyez bien cette gaule? de père en fils, nous l'avons ici depuis deux cents ans ; c'est mon porte-respect. Un enfant est-il indocile à ma voix? je lui en allonge un coup sur les épaules, et vîte il obéit. Ce paquet de verges m'est aussi d'une nécessité indispensable. C'est avec lui que j'insinue, par les doigts, l'habileté à lire dans les contrats de Jean Trumeau, notre ancien bailli. Tous ces petits enfans que vous voyez, savent très-bien le pater, l'ave, le credo. Mais que veulent dire ces mots, pater, ave, credo? - Monsieur, je n'en sais rien. Eh! pourquoi avez-vous la témérité de

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montrer ce que vous ne savez pas. Monsieur, c'est l'usage; je fais ce que les autres ont fait. Vous avez tous mal fait. Vous êtes bon patriote, Me. Maurice? Sûrement, Monsieur, et bon comme vous, je m'en vante.-Je vous en félicite, et vous me le prouverez, en faisant ce que je vais vous dire.

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Vous ne montrerez à lire que le français, qui est la langue du pays, et que tout le monde entend." Mais, Monsieur, si je ne montre plus à lire le latin, je serai le seul à chanterau lutrin; et l'office n'ira plus.-Allons, continuez donc jusqu'à ce qu'enfin nous ayons notre office en français (1), et que que vous compreniez vousmême ce que vous chantez. Cependant il est une chose essentielle que j'exige, c'est que vous jetiez au feu votre poignée de verges, et que vous vous défassiez de votre gaule chérie, en faveur du voisin Nicolas, qui a un troupeau de dindons à garder. Sachez que les enfans d'un peuple libre ne se conduisent pas à coups de verges et de perches. C'est par des encouragemens, et non par des frayeurs malfaisantes, que vous devez donner de l'émulation. Voici quelques exemplaires des droits de l'homme et du citoyen; apprenez-les à vos enfans, comme vous leur apprenez les commandemens de Dieu: acceptez aussi ces quatre almanachs du père Gérard; vous les donnerez à ceux qui auront le plus vite satisfait mes intentions. Me. Maurice, renoncez à de vieilles habitudes, qui sont autant de brevets d'ignorance, et rendez-vous digne d'occuper une place dans le nouveau cours d'éducation qui se prepare.

Mon magister fut un peu étourdi de maleçon; mais, réflexions faites, il a brûlé ses verges, il a brisé sa gaule. Il tient son école en citoyen qui veut former des enfans à la liberté. Puissent tous les magisters de villages imiter Me. Maurice! La meilleure disposition pour enseigner est de savoir se corriger soi-même.

(1) Entre plusieurs bons écrits qui ont paru sur ce sujet, nous avons distingue celui de M. Carré, curé de Sainte-Pallaye, près Auxerre, publié en 1790, sous le titre de Culte public, en langue française.

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