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Les alliés

Les émigrés, les ministres de Frédéric - Guillaume, et ce monarque lui-même, voyaient dans ces excès du 10 août un motif de plus d'accélérer la marche, pour secourir la famille royale: la passion les aveuglait; le duc jugeait en chef d'armée. L'on n'écouta que pour la forme ses observations, que les princes français et les courtisans qualifièrent de conseils pusillanimes, et le roi de Prusse flatté du titre d'Agamemnon qu'on lui donnait, décida de continuer son mouvement.

Le 20, l'avant-garde se porta à Villers-la-Montagne : prennent l'armée suivit par lignes, et investit Longwy. Le généLongwy⚫ral Clairfayt prit poste à Piermont, sur la droite de la Chiers son aile gauche à Cosne; la droite, au ravin qui s'étend depuis la place jusqu'à Granville.

La forteresse de Longwy est un hexagone bastionné, dont cinq demi-lunes couvrent autant de fronts; le sixième a un ouvrage à corne. La demi-lune du côté de la ferme de la Colombe, et celle de la porte de France, sont couvertes par des lunettes; la place, d'une petite étendue, a tous ses établissements voûtés à l'épreuve de la bombe. Le mont du Chat, qui en est à deux mille pas, la domine. Si cette hauteur était retranchée, Longwy serait susceptible d'une bien plus longue résis

tance.

Le gouverneur ayant répondu négativement à la sommation qui lui fut faite, le colonel d'artillerie Tempelhof (1) eut ordre de bombarder la ville. Le 21, à l'entrée de la nuit, il fit établir une batterie de deux obusiers et quatre mortiers dans le ravin à gauche de la Colombe, et commença le feu qui dura depuis dix

(1) L'Auteur de l'Histoire de la Guerre de Sept Ans.

heures du soir jusqu'à trois heures du matin : une obscurité profonde empêchait de calculer les distances: les pluies, qui duraient depuis longtemps redoublèrent, le temps était affreux, et il fallut discontinuer. Le 22, à cinq heures, l'attaque recommença; et, à huit, malgré la vivacité du feu de l'assiégé, plus de trois cents bombes étaient tombées dans la place, un magasin était la proie des flammes. Cependant le désordre s'étant introduit dans la garnison composée de deux bataillons de volontaires et d'un de ligne qui ne s'accordaient point entr'eux, le commandant, homme faible, désespérant de pouvoir prolonger sa résistance, accepta un peu légèrement la capitulation qu'on venait de lui offrir pour la seconde fois : la garnison sortit le 24, et fut prisonnière.

La facilité de la conquête de Longwy, et la nouvelle de la fuite de Lafayette, ne firent qu'accroître les espérances des alliés. Si la défection commençait à se mettre parmi les chefs mêmes de la révolution, le découragement de l'armée française devait être à son comble; et le succès de l'invasion paraissait infaillible.

Quatre partis s'offraient au duc: 1 se jeter avec le 25 août. gros de ses forces, sur l'armée de Lafayette, ébranlée par-la fuite de son chef, et plongée dans la stupeur et le désordre ; 2o se rabattre par la gauche, pour tomber sur Luckner, à Metz; 3° continuer sa course politique, en s'emparant sur le champ des défilés de l'Argonne; 40 rester au contraire sur la Moselle, pour s'y procurer une base solide, en faisant méthodiquement les siéges de Metz et de Thionville.

Sous les rapports stratégiques, comme sous ceux de

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la politique, le premier de ces partis était le plus convenable; on pouvait employer trente mille hommes à observer Luckner et les places de gauche, tandis que soixante mille combattants eussent accablé l'armée sous Sedan qui se trouvait alors sans chef, Dumouriez n'en ayant point encore pris le commandement. Cette manœuvre eût été d'autant plus sage qu'en l'exécutant avec vivacité, on la terminait en dix jours, et rien ne s'opposait ensuite à ce qu'on reprît le chemin de Paris. Si l'armée française évacuait son camp, à l'approche d'une masse si formidable, on l'eût poursuivie avec impétuosité, et probablement entamée. Se jetait-elle dans une place? alors les alliés renonçant à toute autre considération qu'au grand intérêt militaire, eussent employé tous leurs moyens pour la contraindre à capituce que le défaut de vivres eût rendu inévitable. Une marche contre Luckner à Metz, éloignant l'armée alliée de la direction de Paris, n'eût mené à aucun résultat. Le troisième parti, celui de se diriger vivement sur l'Argonne, et de s'emparer de ses défilés, avait l'avantage de couper le centre morcelé de l'im mense ligne occupée par les armées françaises : mais, en poussant plus loin sur Châlons et sur la Marne, on eût laissé aux corps ennemis de droite et de gauche, les moyens de se reformer sur les derrières de l'armée alliée, et de la couper de sa base d'opérations. Marcher à Paris avec quatre-vingt mille hommes, laissant cent mille Français derrière soi, eût été sans doute un moyen d'en faire partir l'Assemblée Nationale: cependant, si cette assemblée transférée derrière la Loire, eût armé la population enthousiaste du Midi, et rassemblé toutes ses troupes disponibles, l'issue de cette pro

menade n'aurait-elle pas tourné à la honte de ses conseillers ?

On ne pouvait former une telle entreprise avec moins de deux cent mille hommes, dont cent mille eussent marché sur Paris, tandis que deux armées de cinquante mille hommes chacune, eussent observé les places et les forces ennemies à droite et à gauche, pour couvrir la ligne d'opérations.

N'ayant pas les moyens de faire cette incursion, il fallait donc, après s'être emparé de l'Argonne, s'y établir pour attendre l'événement, ou, de là, se rabattre sur Sedan pour attaquer l'armée de Lafayette, après avoir perdu inutilement du temps à des marches sans résultat, pour revenir, à la fin de septembre, au mouvement que l'on aurait pu exécuter par Arlon, dès le commencement d'août.

Enfin, le quatrième parti, consistant à se baser sur la Moselle, à garder cette ligne et à faire méthodiquement les sièges de Thionville et de Metz, n'offrait pas de résultats brillants; mais il était sûr, et le duc penchait à l'adopter.

sur

Ce prince, irrésolu, parce qu'il était forcé d'exécu- Marche ter un plan contraire à ses vues, prenait lentement ses tardive mesures pour continuer la pointe, et n'agissait ni stra- Verdun. tégiquement, ni politiquement. Six jours furent perdus dans le camp sous Longwy pour attendre l'arrivée du prince de Hohenlohe-Kirchberg devant Thionville. En admettant que le général Wimpfen qui y commandait pût faire battre la campagne à deux ou trois mille hommes, ce n'était pas une raison d'en tenir quatrevingt mille dans l'inaction. D'ailleurs si l'armée prussienne dut faire trois haltes de six jours chacune pour

attendre les corps de flancs, qui depuis plusieurs mois se trouvaient sur le théâtre de la guerre, c'était un défaut de calcul impardonnable. Enfin, l'armée partit 30 août, le 29 de Longwy, et arriva le 30 devant Verdun : elle s'établit sur les hauteurs de la Côte-Saint-Michel, à deux mille pas de la ville, qu'on investit aussitôt ; les deux lignes campèrent entre Fleury et Grandbras; le corps d'avant-garde était à Bellevue ; Clairfayt à Marville, reconnaissant Montmédi et Juvigny.

:

Verdun fut sommé. Cette place a dix bastions, liés par des courtines mal couvertes les fossés sont profonds; et l'on a élevé des ouvrages à cornes, sur les deux rives de la Meuse. La citadelle est un pentagone irrégulier, entouré d'une fausse braie : les courtines en sont couvertes par des tenailles et des demilunes. Tous ces ouvrages étaient en mauvais état; quoique cette place se trouvât au milieu de la trouée entre la Meuse et la Moselle, on avait renoncé à l'entrenir, ne la considérant que comme dépôt. La garnison, forte de trois mille hommes, n'était pas suffisante; et des paysans armés pour la compléter, devaient plus contribuer à en accélérer la reddition qu'à l'empêcher.

Le 31 août, on jeta un pont sur la Meuse, que le général Kalkreuth passa avec huit bataillons et quinze escadrons : la position de ce corps complétait l'investis

sement.

A six heures du soir, on dressa trois batteries : la première, sur la hauteur de Saint-Michel; la seconde, au camp de l'avant-garde; la troisième, à celui du général Kalkreuth : le bombardement commença aussitôt et dura jusqu'à une heure du matin; il reprit, le 1er sep

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