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Il n'y resta pas longtemps paisible, Kochokowsky força le passage le 18 juillet, à Dubienka, malgré la résistance honorable de Koziusko. L'armée de Lithuanie s'avançant de son côté sur la Narew, les Russes. ne se trouvaient plus qu'à trois marches de Varsovie, lorsque Stanislas croyant tout sauver s'il pliait à la nécessité, adhéra le 23 juillet, à la confédération de Targowitz. La diète protesta avec vigueur contre cet acte pusillanime, et par un rapprochement peut-être sans exemple dans l'histoire, on s'écriait au même instant à Varsovie et à Paris, la constitution sans le Roi ! Mais il existait cependant une différence notable dans les causes de ces provocations, c'est qu'en Pologne on voulait punir Stanislas d'adopter des formes électives et républicaines, au détriment du pouvoir héréditaire : tandis qu'à Paris on attentait à la liberté, de Louis, afin de saper toutes les bases de l'autorité et du trône. Exemple déplorable, que tous les hommes qui prétendent s'immiscer dans les affaires publiques devraient sans cesse avoir sous les yeux !

Une lettre de Catherine décida Stanislas à cette démarche, qui le perdit dans l'opinion de ses concitoyens et de la postérité : elle annonçait l'accord des trois puissances pour rétablir la constitution garantie en 1775; d'où l'on a conclu que son entrée en Pologne était le résultat d'un plan convenu dès longtemps. Les avis sont cependant encore partagés à ce sujet, et quelle que soit l'époque de l'adhésion des autres puissances, cette combinaison n'en prouvera pas moins toute l'habileté de la Czarine.

Après ce triomphe des confédérés, Branicki prit le commandement de l'armée, et aux termes de l'armis

tice, la dispersa dans ses garnisons et cantonnements ordinaires. Les Russes s'établirent à Varsovie, et une diète fut convoquée à Grodno, pour décider du sort de la Pologne, qu'il était aisé de prévoir en portant un instant ses regards sur le passé.

Stanislas se contenta de protester de son empressement à mourir pour la patrie; débonnaire autant que crédule, il imagina que Catherine se bornerait à détacher la république de l'alliance prussienne, et à ressaisir sur le pays, l'influence que la charte de 1775 lui assurait. Entouré de conseillers médiocres, il se persuada qu'il conserverait sa couronne en se soumettant à de simples changements dans les formes de son gouvernement, et se prêta avec docilité à tout ce que ses ennemis exigeaient de lui.

Sur ces entrefaites, les Polonais avaient envoyé Ignace Potocky à Berlin, espérant trouver leur refuge dans l'alliance conclue avec Frédéric-Guillaume. Ce prince répondit qu'à la vérité il avait signé un traité en 1790, mais que cela ne l'obligeait point à soutenir une constitution adoptée un an plus tard (1).

La justice met rarement un frein à l'ambition, mais jamais on ne nia des engagements si solennels et si récents. A la vérité l'embarras dans lequel le Roi se trouva au moment d'entrer en Champagne, motivait ce refus. Convaincu sans doute du danger d'entreprendre une lutte aussi formidable, il préféra gagner quelques

(1) Si l'alliance de 1790 ne sanctionnait pas le pacte de 1791, ce dernier avait mérité les félicitations formelles de Frédéric-Guillaume par sa lettre du 16 mai au comte de Golz, son chargé d'affaires, que toutes les gazettes ont publiée, et qui équivalait à tous les actes diplomatiques possibles.

provinces sans coup férir, à la chance de guerroyer en même temps sur le Niémen et sur le Rhin.

On ne fut pas plus heureux à Vienne, où le prince Adam Czartorinsky avait été solliciter l'appui de l'Autriche. Le prince de Kaunitz, qui venait de précipiter son maître dans une guerre épineuse, parut plus disposé à seconder Catherine, qu'à commencer avec elle une lutte incertaine. D'ailleurs le comte de Razumowsky, nouvel ambassadeur de Russie, avait renoué peu de jours auparavant, les relations qui unirent Joseph et la Czarine, et que la paix particulière de Reichenbach avait légèrement altérées. On en a conclu avec quelques probabilités, que la promesse d'un corps auxiliaire pour combattre sur le Rhin, décida le cabinet impérial à fermer les yeux sur ce qui se passait aux rives du Dniester (1).

Il est temps, au surplus, de détourner un instant nos regards de ces contrées, pour les reporter sur les affaires de France.

Disposi- Le cabinet de Turin, en état d'hostilités ouvertes, tions des ne tarda pas longtemps d'accéder à la coalition.

différen- Plus sage que le cabinet de Vienne, celui de Masances. drid prévit les conséquences d'une guerre imprudente

tes puis

contre la France. Le comte d'Aranda venait de succéder au comte de Florida Blanca, et de donner une nouvelle direction à la politique espagnole. Ce fut en vain que les princes émigrés se flattèrent que ses an

(1) Jusqu'à ce qu'on sache officiellement l'origine du partage de la Pologne, on ne pourra former que des conjectures vagues: pour leur donner même un certain degré de probabilité, il serait indispensable de connaître exactement tout ce qui fut stipulé à Reichenbach et Pilnitz.

ciennes liaisons avec la cour de Versailles, près de laquelle il avait résidé en qualité de ministré, le jetteraient dans leur parti: toutes leurs espérances furent déçues. Lorsqu'il prit le timon des affaires, les relations entre les deux pays portaient l'empreinte de l'aigreur et de la méfiance : le cabinet d'Aranjuez continuait à reconnaître pour ambassadeur de France le duc de la Vauguyon qui, soupçonné par l'Assemblée Nationale de connivence avec les conseils de Coblentz, avait été remplacé par M. Bourgoing. Le comte d'Aranda abandonna aussitôt un système qui menait directement à une rupture; il sut gré à M. Bourgoing de la modération et de la sagacité qu'il avait déployées dans cette situation délicate; reçut ses lettres de créance et dissipa les nuages qui s'étaient élevés entre les deux cours, en même temps qu'il affermit le système auquel l'Espagne était redevable de sa prospérité depuis 1763.

Aucune intrigue ne fut oubliée par les agents des émigrés, ni par les envoyés des puissances ennemies, pour animer Charles IV contre l'Assemblée, à laquelle on attribuait les crimes les plus odieux. Toutes ces menées se brisèrent contre la fermeté du ministre, et même la déclaration de guerre de Louis XVI à l'Autriche ne le fit point dévier de la marche qu'il s'était tracée.

L'Angleterre venaît de terminer dans l'Inde une guerre heureuse, qui coûta à Tippoo-Saïb la moitié de ses États, et consolida l'empire des armes britanniques dans cette belle contrée. Guidé par une politique profonde, Pitt persistait à observer une neutralité qui dupa tous les partis. Brissot et les orateurs de l'Assemblée ne furent par les seuls qui s'y laissèrent prendre, le minis

tère partagea leur erreur. Les actes de Chauve lin (1) prouvent à quel point les diplomates s'aveuglaient, en interprétant en faveur de la nation française, les expressions ambigues d'une proclamation sur la navigation des peuples en guerre. La note, qu'il présenta le 18 juin au cabinet de Londres, afin de réclamer son intervention pour ramener l'Autriche et la Prusse à des vues pacifiques, caractérise l'ineptie d'un gouvernement qui, après la guerre d'Amérique, attendait de l'Angleterre le repos et le bonheur de la France, et s'imaginait que les courses de sir Jenkinson (2) à Coblentz amènerait la soumission des émigrés et le désarmement de l'Europe.

La mort de Gustave III avait produit un changement complet dans le système de la Suède le duc de Sudermanie, appelé comme régent à tenir les rênes de ce royaume jusqu'à la majorité de son neveu, était un prince éclairé et pacifique; les lauriers dont il s'était couvert dans la guerre de Finlande, ne lui inspirèrent pas la passion d'en moissonner à tout prix. Son premier soin fut de rentrer dans la neutralité; en vain le cruton lié par les articles secrets du traité de Drottingholm à fournir dix-huit mille hommes contre la France; en vain employa-t-on mille subterfuges pour refuser l'admission de Verninac en qualité d'ambassadeur, le duc fut inébranlable dans sa résolution. Il ne tarda même pas à éloigner de sa cour les deux généraux, auteurs de ce traité, et à renvoyer de son service les fils du marquis de Bouillé, agent principal du projet d'expé

(1) Voyez pièces justificatives, n. 1.

(2) Lord Hawkesbury.

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