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à entretenir l'enthousiasme qui précipitait une jeunesse ardente aux frontières; il devint le gage de la résistance que feraient désormais toutes les places de guerre, si le sol français était de nouveau envahi.

CHAPITRE IX.

Invasion de la Savoie et du comté de Nice.

Bien différents des grands princes qui, conime Maurice de Saxe, savent se prononcer à propos contre un ennemi redoutable, les chefs de la maison de Savoie, alternativement alliés depuis deux siècles, à la France et à l'Autriche, s'étaient toujours rangés, d'après les impulsions d'une politique versatile, du côté de la puissance dont ils avaient le plus à craindre.

Toutefois la singularité de cette conduite fut justifiée en quelque sorte, dans le 18° siècle, par les errements du cabinet de Versailles, qui n'apprécia point assez l'alliance d'un prince, maître des portes de l'Italie. A la vérité, Louis XV avait conclu, en 1733, un traité secret avec Charles-Emmanuel, par lequel le premier s'engageait à ne point déposer les armes que le Milanais et la Lombardie ne fussent assurés au roi de Sardaigne; et celui-ci, par un heureux retour, consentit à la cession de la Savoie, qui l'eût jeté pour toujours dans les bras de la France.

Mais les clauses de cette importante transaction furent aussitôt oubliées que conçues, et le cardinal de Fleury, toujours empressé de faire la paix dès qu'il en trouvait l'occasion, négocia en 1735 avec l'Empereur, à l'insçu de la cour de Turin. Charles-Emmanuel, forcé de donner son accession aux préliminaires, et ensuite au traité définitif signé à Vienne en 1738, n'obtint que le Tortonnois, la souveraineté de Langues, le Novarrais et quatre petites seigneuries; faible dédommage

ment de ses efforts dans cette guerre ruineuse. N'ayant plus de confiance dans le ministère français, il prêta l'oreille, en 1741, aux insinuations de Marie-Thérèse, et conclut avec elle à Worms, sous la médiation de l'Angleterre, ce traité si funeste à la France.

Depuis cette époque, la cour de Versailles avait bien cherché à neutraliser l'effet de cette transaction par celle du 9 avril 1775, qui stipulait la garantic de toutes les possessions de Victor-Amédée; mais il n'en était pas moins vrai que le cabinet de Turin, malgré les mariages contractés avec la maison de Bourbon (1), se trouvait encore influencé, en 1790, par celui de Vienne, et que le ministre Hauteville passait publiquement pour lui être vendu.

cour de

Il était donc vraisemblable que le roi de Sardaigne Rupture prendrait part au projet de triple médiation, suggéré avec la par le ministre Montinorin et les princes émigrés, puis- Turia. qu'il était approuvé en même temps par la famille à laquelle il s'était allié, et par le ministère autrichien: dès lors la prudence engageait l'Assemblée Nationale à se préparer à une rupture avec lui.

Depuis un an les deux États se trouvaient effectivement dans une attitude hostile : le comté de Nice, la Savoie et le Piémont étaient remplis d'émigrés qu'on enrégimentait publiquement dans la première de ces provinces. Un foyer de contre-révolution établi à Turin, et non moins actif que celui de Coblentz, avait déjà fomenté plusieurs troubles dans le Midi, et cherché à

(1) Les deux frères de Louis XVI avaient épousé des princesses de Savoie, et leur sœur était unie au prince de Piémont: le comte d'Artois résidait à Turin depuis 1789 à 1791.

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soulever Lyon (1). C'est de là aussi que les agitateurs du camp de Jalès avaient reçu leurs instructions. Les Jacobins furent soupçonnés d'avoir été, par représailles, les auteurs d'un mouvement assez inquiétant qui se manifesta à Turin au mois de mars 1791, et qui contribua à exciter de plus en plus le cabinet sarde contre l'Assemblée Nationale.

Victor-Amédée, prince bon, pusillanime et dévot, surnommé par ses flatteurs le Nestor des rois, quoique aussi âgé, aussi discoureur que celui de Pylos, était loin d'en avoir toute la sagesse. N'ayant pu voir sans crainte la propagation des idées révolutionnaires s'étendre en Savoie, il espéra leur interdire tout accès en Piémont, en renforçant les garnisons de ce duché. Affectant, sur les assertions des émigrés, de considérer Louis XVI comme prisonnier, le cabinet sarde trouva moyen de retirer sans éclat son ambassadeur de Paris; celui de France, traité avec peu d'égards, obtint son rappel et ne fut point remplacé.

Dans cet état de choses, Dumouriez parvenu au ministère des affaires étrangères, voulant obtenir des explications satisfaisantes, envoie à Turin M. de Sémonville qui se trouvait à Gênes; mais le ministre, ignorant les formalités d'usage entre les cours de familles, néglige de demander l'assentiment de Victor-Amédée, et celui-ci fait arrêter l'agent diplomatique à Alexandrie, sous prétexte qu'émissaire d'une faction, il vient bouleverser l'Italie. Une violation si manifeste du droit des gens ne fut communiquée à l'Assemblée

(1) On peut lire à ce sujet les curieux mémoires du comte d'Ecquevilly.

Nationale qu'avec ménagement, de peur d'exciter les sentiments d'une juste indignation : la grande querelle alors agitée avec l'Autriche, fit qu'on y donna peu d'attention; on se borna à presser le rassemblement de quelques forces, et le général Montesquiou, investi du commandement de l'armée, reçut ordre de se tenir prêt à commencer les hostilités. Les choses en restèrent néanmoins là, depuis le mois de mai jusqu'à la fin de juillet, quoique l'adhésion formelle du roi de Sardaigne à la coalition, eût permis de ne plus garder de ménagements.

Si les hommes qui tenaient à cette époque le timon des affaires, ne déployèrent pas un génie supérieur, ils ne pouvaient toutefois méconnaître l'avantage que la neutralité du Piémont, jointe à celle de la Suisse, eût assuré à la France, en lui permettant de porter toutes ses troupes vers le Nord. Multiplier le nombre de ses ennemis, et agrandir la ligne qu'on avait à défendre au moment où les armées de la Prusse et de l'Autriche allaient fondre en Champagne, étaient des fautes trop graves pour que le Conseil s'en rendît coupable sans nécessité.

Le roi de Sardaigne, de son côté, en commettait une évidente, en concourant au déchirement de la France, pour se mettre à la merci des Autrichiens, ou aux prises avec les révolutionnaires qu'il redoutait.

Mais les passions aveuglaient de part et d'autre, et repoussaient les combinaisons d'une sage politique comme des actes de faiblesse. Les conseillers intimes de Louis XVI désiraient intérieurement une guerre dont ils espéraient le rétablissement de leur pouvoir; les ministres girondins se croyaient en mesure de bra

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