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Le silence de Dumouriez, sur une accusation aussi formelle, portée contre lui depuis dix ans, ne nous permet pas de juger de sa véracité : nous exprimons, pour sa gloire, le regret qu'il ne l'ait pas détruite.

Avant de passer à la narration succincte des entreprises de Custine sur Mayence, et du duc de SaxeTeschen sur Lille, que nous avons suspendue pour donner plus de suite aux opérations principales, il ne sera pas hors de propos de rappeler que vers cette époque parurent l'Hymne célèbre des Marseillais et le Chant du départ.

Les générations à venir s'étonneront de voir des chansons figurer au nombre des causes de succès militaires; mais il n'en demeure pas moins avéré, que ces couplets pleins d'énergie et de patriotisme, accompagnés de la musique la plus martiale, animèrent une jeunesse ardente, contribuèrent à faciliter les levées, enflammèrent le courage des soldats, et leur firent soutenir les privations avec autant de gaîté qu'ils affrontaient les dangers. Nous sommes loin d'applaudir aux expressions outrées de ces hymnes contre des despotes qui n'étaient la plupart que de bons princes; nous les considérons uniquement ici comme moyens d'enthousiasme, et sous ce rapport elles méritent d'autant plus de rester comme un monument d'histoire nationale, que la première était l'ouvrage d'un officier d'artillerie nommé Rouget. Napoléon les comptait encore en 1806, comme de puissants mobiles propres à exciter l'énergie des troupes, car des ordres furent donnés de les jouer aux parades de Berlin.

Custine prend Mayence, et le Duc Albert bombarde Lille.

En se décidant à envahir la France, les alliés avaient commis plusieurs fautes graves, provenant sans doute de la fausse opinion qu'ils se formaient de cette guerre. Convaincus qu'il ne s'agissait que d'une promenade, ils négligèrent entièrement de s'assurer d'une base solide sur le Rhin, et de couvrir convenablement l'espace qui allait les séparer de ce fleuve.

Nous ne pénétrerons point les motifs qui portèrent le cabinet de Vienne à garder tant de forces dans l'intérieur de la monarchie. S'il n'avait pas déjà sanctionné les projets de Catherine sur la Pologne, il est probable que ce fut l'entrée des Russes dans ce royaume, qui l'empêcha de faire marcher vers le Rhin, les troupes nécessaires pour couvrir les flancs de l'armée d'invasion et sur lesquelles le duc de Brunswick avait compté.

Quoi qu'il en soit, les alliés ne se bornèrent pas à faire des préparatifs insuffisants, ils employèrent encore mal les moyens qu'ils avaient à leur disposition. Au lieu de placer leur magasins principaux dans Mayence, et de couvrir cette place avec toutes les forces qu'on ne destinerait pas à marcher sur la Meuse, ils dispersèrent les corps de Condé et d'Esterhazy en cordon dans le Brisgaw; établirent leurs dépôts à Spire, ville ouverte et sous le canon pour ainsi dire de l'armée française ; en confièrent la garde au corps de d'Erbach, fort à peine de huit mille hommes; et ne songèrent pas même à munir d'une garnison suffisante la place de

Mayence, qui était leur unique passage à l'abri d'un coup de main.

Cet état de choses présentait de trop belles chances aux Français pour qu'ils n'en profitassent pas, et s'il y a sujet de s'étonner, c'est qu'ils aient autant tardé à s'y résoudre.

Le général Biron commandant en Alsace près de quarante-cinq mille hommes, aurait pu faire repentir les alliés de tant d'incurie, mais soit qu'il ne jugeât pas ces forces suffisantes ou que le Conseil exécutif lui eût donné l'ordre d'attendre douze bataillons détachés de l'armée du Midi, et les gardes nationales des départements voisins dont il venait d'ordonner la mise en activité, le temps le plus favorable s'écoula en préparatifs. Alors même qu'en vertu de cet appel environ vingt mille hommes d'élite eurent rejoint l'armée, elle resta disséminée dans la plaine du Rhin, sans autre objet que celui de garder quelques places, ou d'observer les princes d'Esterhazy et de Condé en Brisgaw: le plus considérable de tous les petits camps qui couvraient l'Alsace était celui de Custine placé derrière la Queich, et comptant environ dix-sept mille hommes. Cette répartition était vicieuse : il eût suffi de laisser quinze mille hommes de troupes de ligne et la majeure partie des gardes nationales, pour contenir les deux petits corps ennemis : on pouvait donc facilement disposer de trente mille combattants pour opérer entre le Rhin et la Moselle, point faible et décisif de la ligne d'opérations des alliés ; il eût été même convenable de se renforcer de sept à huit mille gardes nationales, toujours utiles dans une armée pour les services secondaires, auxquels on est forcé d'employer d'anciens soldats quand on n'en a pas d'autres.

Cependant Custine, campé sous Landau, occupait Opéraune belle position offensive, et se voyait en mesure d'en- tions et intrigues lever le mince détachement compromis devant lui. Se- de lon quelques versions, il proposa ce coup de main au Custine. gouvernement; selon d'autres, au contraire, il n'eut l'honneur de le mettre à exécution.

que

Ce général, malgré de longs services, n'avait eu encore aucune occasion de se signaler bien particulièrement. Les escarmouches auxquelles il assista, comme officier subalterne, dans la guerre de Sept ans, et les campagnes d'Amérique qu'il fit comme simple colonel, n'avaient pu lui donner un grand fonds d'expérience: mais il était spirituel, actif, ambitieux. Avant la révolution, le désir de se faire une sorte de réputation dans l'armée, l'avait rendu zélé partisan des idées du comte Saint-Germain, et placé au nombre des chefs de corps, dont la discipline brutale et minutieuse fatiguait en pure perte l'obéissance des troupes. La révolution, sans changer son caractère dur et hautain, lui fit adopter tout-à-coup d'autres principes. Député de la noblesse aux Etats-généraux, il fut un des premiers membres de son ordre, qui proposèrent l'abolition des priviléges suivant la marche de l'exagération du temps, à mesure qu'elle se développait, il brigua la faveur de la faction révolutionnaire, et devint un des agents les plus actifs de la propagande; le tout, dans l'espoir d'obtenir enfin un grand commandement. Ses opérations le peindront, au reste, mieux que le portrait que nous pourrions en tracer (1); et il convient d'y revenir.

(1) Quoiqu'exagéré, le portrait de Custine, tracé dans les mémoires rédigés par un de ses aides-de-camp, sera toujours plus

Le comte

marche

Le comte d'Erbach, ayant reçu l'ordre de remplad'Erbach cer le corps du prince de Hohenlohe devant Thionville, sur la s'était mis en marche par les défilés de Turckeim, le Moselle. 11 septembre, abandonnant la garde du magasin de Spire et de toutes les communications de l'armée, à mille Autrichiens et deux mille Mayençais, sous les ordres du colonel Winckelmann.

Gustine C'était offrir à Custine une capture aussi sûre que fas'empare cile. Ce général qui, depuis quinze jours, avait eu le de Spire et de temps d'être instruit de l'état des choses, se porta en efWorms. fet, le 30, sur trois colonnes, contre Spire. Le colonel 30 sept. Winckelmann, convaincu de l'importance de son poste,

et ignorant peut-être la force des Français, voulut d'abord se mettre en bataille en avant de la ville. Bientôt sa petite troupe, écrasée par une artillerie supérieure, et sur le point d'être tournée, se dirigea vers le Rhin, où se trouvaient des embarcations nécessaires à son transport: mais les bateliers, qu'on n'avait pas eu la précaution de surveiller, s'étant enfuis sur la rive droite avec leurs barques ; le colonel, enveloppé, se vit dans la dure nécessité de mettre bas les armes avec deux mille sept cents hommes. L'armée française s'empara, les jours suivants, de Worms et de Franckenthal. La conquête de ces trois petites villes ouvertes fut annoncée à la tribune comme l'événement le plus extraordinaire : ces déclamations sembleraient ridicules, si on ne savait l'effet qu'elles produisent sur la multitude, incapable de juger, et qui attache à une ville comme Worms la même importance qu'à Mayence,

complet que tout ce qu'on pourrait en dire dans le cadre étroit d'une histoire générale.

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