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INTRODUCTION

Au moment de publier un ouvrage qui est le résultat d'un long travail, nous croyons devoir indiquer la nature d'un tel livre, et sa pensée même, qui, appliquée en deux volumes, pour ainsi dire, est tout l'ouvrage, que son titre, ce nous semble, peut signaler déjà à l'attention des esprits sérieux.

Est-il possible, aujourd'hui, d'avoir vécu à travers nos changements si nombreux et si rapides de constitutions et de gouvernements, dont la liste est si longue depuis 89, et de jeter les yeux sur l'état de l'Europe, à dater de cette époque, sur les crises à peu près périodiques dont elle est atteinte, et de les

ramener ensuite sur la France, sans rechercher dans le passé la cause de tout ce que nous avons vu, de tout ce que nous voyons, de tout ce que nous pourrons voir encore? Là est le sujet et le but même de ce livre.

Si la Révolution de 89 était arrivée à son terme en Europe, si, dans chaque pays où elle a produit des résultats plus ou moins semblables, elle avait trouvé sa solution dernière et qu'elle en eût fixé l'avenir, il y aurait, certes, un livre à faire pour constater ces résultats mêmes et résumer un ordre de faits accompli. Rien ne serait plus facile à écrire qu'un livre qui offrirait ainsi, dans un même ca e, le point de départ et le point d'arrivée, et où il n'y aurait rien à contester, puisque la conclusion certaine, complète, serait à côté des prémisses; mais qui oserait soutenir une telle proposition, et tout le monde n'est-il pas, à cette heure, du même avis que M. de Talleyrand sur «< cette révolution qui dure en

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A plus forte raison, cette durée, cette persistance de la Révolution, la cause de cette persistance et de cette durée, doivent-elles plus que jamais devenir un sujet d'études et de réflexions, et faut-il cher

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cher la voie où continue à nous faire marcher la

Révolution de 89.

Quand on jette les yeux, par exemple, sur un ouvrage comme le dernier qu'a publié M. de Tocqueville', on sent bien qu'il y a là une question d'un bien grand, d'un bien vital intérêt, à résoudre.

Pourquoi, en effet, de la part d'un esprit comme celui de M. de Tocqueville, ce retour subit vers l'ancien régime, et que va-t-il y chercher? Dautres historiens, en possession d'un présent qu'ils croyaient assuré, avaient jugé en quelques lignes et condamné ce vieux passé n'en était-on pas bien loin, et que pouvait-on y trouver que des ruines? Mais, surpris, affligé d'autres ruines, qui se sont amoncelées depuis, M. de Tocqueville, cet ami sincère du gouvernement représentatif, a cru devoir demander au passé l'explication de ses regrets et de ses découragements. Il n'est certes pas le seul qui se soit trouvé sous cette impression; elle est dans la situation qui est aujourd'hui faite à l'Europe, et qui, par son développement même, par ses péripéties inattendues, quoique logiques, suivant nous, surprennent même des es

1 L'Ancien Régime et la Révolution, publié en 1856.

prits supérieurs qui, engagés dans quelque ordre de faits et d'idées particulier, seraient disposés à ne point admettre, dans les événements contemporains, une logique générale, la seule cependant qui puisse expliquer des résultats aussi généraux que ceux auxquels nous assistons maintenant.

Ainsi un des esprits éminents qui éprouvèrent le plus de surprise de la révolution de Février fut M. Augustin Thierry. Il ne manqua pas de l'exprimer dans son Essai sur l'histoire du Tiers-État, et de déclarer que tout le système historique qui avait été la base de ses études était non-seulement ébranlé, mais ruiné par la révolution de 48'.

1 M. Augustin Thierry résumait ainsi notre histoire dans la préface de son livre: « Une chose m'a frappé tout d'abord, c'est que, durant l'espace de six siècles, du douzième au dix-huitième, l'histoire du Tiers-État et celle de la royauté sont indissolublement liées ensemble, de sorte qu'aux yeux de celui qui les comprend bien l'une est, pour ainsi dire, le revers de l'autre. De l'avènement de Louis le Gros à la mort de Louis XIV chaque époque décisive dans le progrès des différentes classes de la roture en liberté, en bien-être, en lumières, en importance, sociale, correspond, dans la série des règnes, au nom d'un grand roi ou d'un grand ministre. Le dix-huitième siècle seul fait exception à cette loi de notre développement national; il a mis la défiance et préparé un divorce funeste entre le Tiers-État et la royauté. Au point où un dernier progrès, garanti et couronnement de tous les autres, devait, par l'établissement d'une constitution

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