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elle sort, de son origine, qui a dû faire sa nature même.

Certes, hâtons-nous de le dire, nous ne mettons ici aucunement en question la liberté humaine, et nous ne voulons pas prétendre qu'il y ait une fatalité souveraine, invincible, dominant les actes de cette liberté que Dieu a faite, qui ne dépend que de lui et de sa providence; règle qui est au-dessus de toutes les règles, volonté qui surpasse toutes les volontés et qui les gouverne; mais nous croyons qu'en raison de sa nature la liberté humaine, instituée par Dieu même, est soumise, dans la mesure qu'il permet, à la logique des idées qu'elle a une fois acceptées, et que cette logique nous mène quelquefois là où nous n'aurions jamais cru ni voulu aller.

Nous n'entrerons pas ici dans les faits, nous en indiquerons seulement le cadre, qui est celui de cet ouvrage.

L'Assemblée, formée des trois ordres, sous le nom d'états généraux, est devenue constituante par le serment du Jeu de paume.

Trois semaines après environ éclate l'insurrection du 14 juillet, et la prise de la Bastille a lieu.

L'émigration commence.

On a aussi commencé à brûler les châteaux.

Le club des Jacobins est fondé sous le nom de Club Breton.

Les 5 et 6 octobre, qui amènent le roi et l'Assemblée à Paris, sont évidemment le terme de cette première phase de la Révolution.

Quel rapport y a-t-il à établir entre ces faits quels qu'ils soient, entre les circonstances qui peuvent s'y trouver attachées? Nous n'avons pas naturellement. à entrer ici dans un examen de cette nature, mais à mettre sous les yeux du lecteur la marche même que les faits nous ont donnée à suivre.

Le voyage de Varennes et la fin de l'Assemblée constituante sont la conclusion même de la première période de la Révolution de 89.

Cette période est-elle décisive? Les idées, que lles qu'elles soient, mêlées aux faits, ont-elles produit un ensemble de résultats qui devienne le point de départ de la Révolution entière?

Nous avons aussi étudié cette question, et nous ne voulons ni ne pouvons la trancher ici.

Après le voyage de Varennes et la fin de cette longue Assemblée, l'Assemblée constituante, une

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seconde phase se développe, celle de la Législative, qui est évidemment transitoire, puis de la Convention, de la Terreur.

Ces différentes étapes, que traverse la Révolution, embrassent une phase qui, de la France, s'étend à l'Europe, à mesure que les idées et la situation qui règnent en France débordent sur l'Europe.

Comme la Législative représente une époque transitoire entre la première période de la Révolution de 89 et la seconde, le Directoire est une autre époque transitoire entre cette seconde période et le Consulat, qui mène à l'Empire, qui est déjà l'Empire.

Cette dernière époque est une réaction militaire, politique et administrative contre la Révolution même qui a commencé en 89 : l'Empire semble, non pas finir, mais interrompre, jusqu'à un certain point, la Révolution, pour y jeter, dans l'effort impuissant, malgré sa grandeur, qu'il fait pour fonder une monarchie, un hommage, sous plus d'une forme, au vieux passé de la France, et l'épisode de sa gloire.

Il comprend surtout, malgré les fautes qui appartiennent à une volonté absolue, cherchant l'infini

dans ce monde toujours borné quoi qu'on fasse, que les sociétés humaines ne peuvent vivre sans religion; mais il est emporté par cette guerre générale que la Révolution avait allumée, dont il était sorti, et qui l'avait fait vivre, qui avait servi à la réaction impériale, à la création d'un pouvoir militaire que la guerre avait créé, et qu'elle devait détruire, en même temps qu'elle brisait l'épée de commandement du grand capitaine, son véritable sceptre, dont il laissa les tronçons à Waterloo.

Avec l'Empire a commencé une nouvelle phase de l'époque qui date de 89, celle des gouvernements qui, à divers titres, veulent clore la Révolution, et qui ne peuvent y réussir.

Ces gouvernements, à dater du Consulat et de l'Empire, ne semblent-il pas emprunter plus ou moins, et au point de vue religieux, et au point de vue monarchique, à l'ancien régime lui-même1, à la

1 « Les Français, dit M. de Tocqueville, ont fait en 1789 le plus grand effort auquel se soit jamais livré aucun peuple, afin de couper pour ainsi dire en deux leur destinée, et de séparer par un abîme ce qu'ils avaient été jusque-là de ce qu'ils voulaient être désormais. Dans ce but, ils ont pris toutes sortes de précautions pour ne rien emporter du passé dans leur condition nouvelle; ils se sont imposé toutes sortes de contraintes pour se façonner autrement que leurs pères; ils n'ont rien oublié pour se rendre méconnaissables. J'avais

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société et au gouvernement de l'ancienne France, en même temps qu'ils ont plus ou moins transigé avec la Révolution sur les faits et sur les idées, volontairement ou involontairement? Mais ce qui ressort de leur histoire elle-même, c'est qu'ils ont mis presque toujours en présence les éléments du passé et les éléments révolutionnaires, à commencer par la religion, acceptée en principe par tous ces régimes, comme la base indispensable des sociétés humaines,

toujours pensé qu'ils avaient beaucoup moins réussi dans cette singulière entreprise qu'on ne l'avait cru au dehors, et qu'ils ne l'avaient cru d'abord eux-mêmes... de telle sorte que, pour bien comprendre la Révolution et son œuvre, il fallait oublier un moment la France que nous voyons et aller interroger dans son tombeau la France qui n'est plus.

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« La Révolution a eu deux phases bien distinctes: la première, pendant laquelle les Français semblent vouloir tout abolir dans le passé; la seconde, où ils vont y reprendre une partie de ce qu'ils y avaient laissé. Il y a un grand nombre de lois et d'habitudes politiques de l'ancien régime qui disparaissent ainsi tout à coup en 1789 et qui se remontrent quelques années après, comme certains fleuves s'enfoncent sous la terre pour reparaître un peu plus loin, faisant voir les mêmes eaux à de nouveaux rivages. » (L'Ancien Régime et la Rẻvolution, p. 1, 11 et xi de l'avant-propos.) On ne peut assurément poser, la question des emprunts faits à l'ancienne société française, avec plus de précision et de clarté; serait-ce à cause de ces emprunts mêmes que le vieux principe révolutionnaire aurait toujours réagi contre les divers pouvoirs qui ont eu recours à ces emprunts? Mais auraient-ils pu s'en passer? Telle est la question.

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