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quand ils semblaient se borner à en élaguer quelques branches égarées; tantôt en apprenant aux amis de la liberté que la superstition, qui couvre le despotisme d'un bouclier impėnėtrable, est la première victime qu'ils doivent immoler, la première chaîne qu'ils doivent briser 1; tantôt la dénonçant aux despotes comme la véritable ennemie de leur pouvoir,... mais ne cessant jamais de réclamer l'indépendance de la raison, la liberté d'écrire, comme le droit et le salut du genre humain.

Le même Condorcet, toujours dans son Esquisse d'un tableau philosophique des progrès de l'esprit humain (époque X, p. 382), émet cette opinion: que la durée de la vie de l'homme doit croître sans cesse si des révolutions physiques ne s'y opposent pas, et il ajoute : « Nous ignorons le terme qu'elle doit jamais dépasser; nous ignorons même si les lois générales de a nature en ont déterminé un au delà duquel elle ne puisse plus s'étendre. »

Ainsi l'homme pourrait devenir immortel dans ce monde. La philosophie athée de Condorcet, en lui ôtant Dieu, lui devait bien cette promesse d'immortalitė.

Il était juste aussi qu'elle lui donnât, en supprimant la propriété, le système socialiste de Babœuf, dont la tradition n'est

1 La constitution civile du clergé.

2 Extrait de l'adresse au PEUPLE FRANÇAIS, trouvée dans les papiers de Babœuf.

<< Peuple de France, pendant quinze siècles tu as vécu esclave et par conséquent malheureux. Depuis six années, tu respires à peine dans l'attente de l'indépendance, du bonheur et de l'égalité. Toujours et partout on berça les hommes de belles paroles; jamais et nulle part ils n'ont obtenu la chose avec le mot. De temps immémorial on nous répète, avec hypocrisie les hommes sont égaux; de temps immémorial la plus monstrueuse inégalité pèse insolemment sur le genre humain. Depuis qu'il y a des sociétés civiles, le plus bel apanage de l'homme est sans contredit reconnu, mais n'a pu se réaliser une seule fois : l'égalité ne fut autre chose qu'une belle et stérile fiction de la loi. Aujourd'hui qu'elle est réclamée d'une voix plus forte, on nous répond: Taisez-vous, misérables! l'égalité de fait n'est qu'une chimère; contentez-vous de l'égalité conditionnelle. Vous êtes tous égaux devant la loi; canaille! que te faut-il de plus?... Ce qu'il

pas perdue, emprunté en même temps à Rousseau et aux illuminés d'Allemagne. Weishaupt voulait que l'homme fût roi; Condorcet, en lui promettant l'immortalité sur la terre, disait qu'il deviendrait Dieu.

A force de nier Dieu lui-même, pour satisfaire l'orgueil d'un être borné, la philosophie du dix-huitième siècle en était arrivée à ce point, que c'était l'homme qui allait devenir infini. Comment n'aurait-il pas voulu tout changer et n'en aurait-il pas eu le droit?

nous faut de plus!... Législateurs, gouvernants, riches propriétaires, écoutez à votre tour.

« Nous sommes tous égaux. Ce principe demeure incontesté...

<< Eh bien! nous prétendons désormais vivre et mourir comme nous sommes nés. Nous voulons l'égalité réelle ou la mort. Voilà ce qu'il nous faut; et nous l'aurons, cette égalité réelle, n'importe à quel prix. Malheur à ceux que nous rencontrerons entre elle et nous! Malheur à qui ferait résistance à un vœu si prononcé! LA RÉVOLUTION FRANÇAISE N'EST QUE L'AVANT-COURRIÈRE D'UNE RÉVOLUTION BIEN PLUS GRANDE, BIEN PLUS SOLENNELLE, ET QUI SERA LA DERNIÈRE...

« Ce qu'il nous faut de plus que l'égalité des droits? Il ne nous faut pas seulement cette égalité transcrite dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen; nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons. Nous consentons à tout pour elle, à faire table rase pour nous en tenir à elle seule. Périssent, s'il le faut, tous les arts, pourvu qu'il nous reste l'égalité réelle!

« Législateurs et gouvernants... propriétaires riches et sans entrailles, en vain essayez-vous de neutraliser notre sainte entreprise, en disant : « Ils ne font que reproduire la loi agraire, demandée déjà plusieurs fois avant eux. »

<< Calomniateurs! taisez-vous à votre tour; et dans le silence de la confusion, écoutez nos prétentions, dictées par la nature et posées sur la justice. « La loi agraire, ou le partage des terres, fut le vœu instantané de quelques soldats sans principes, de quelques peuplades mues par leur instinct plutôt que par la raison. Nous tendons à quelque chose de plus sublime, de plus équitable: LE BIEN COMMUN OU LA COMMUNAUTÉ DES BIENS! Plus de propriété individuelle des terres; la terre n'est à personne. Nous réclamons, nous voulons la jouissance commune des biens de la terre: les fruits sont à tout le monde.. Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés! Qu'il ne soit plus d'autre différence parmi les hommes que celle de l'âge et du sexe... »

(Extraits des pièces trouvées chez Babœuf, imprimées par ordre du Directoire.)

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APPENDICE DU TOME SECOND

A

DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN, VOTÉE EN AOUT 1789 ET MISE EN TÊTE DE LA CONSTITUTION FRANÇAISE DE SEPTEMBRE 1791.

« Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen ;

« Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

« Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression.

« Art. 3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation; nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

« Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui.

« Art. 5. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

« Art. 6. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous les citoyens, soit qu'elle protége, soit qu'elle pu nisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toute dignité, place et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

« Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant il se rend coupable par la résistance.

:

« Art. 8. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et lẻgalement appliquée.

« Art. 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

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Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

« Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

« Art. 12. La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. »

B

Voici les motifs que Mounier donna de sa démission comme membre de l'Assemblée, dans un écrit qui est aujourd'hui de l'histoire :

« Je dois répondre à ceux qui ont blâmẻ mon retour en Dauphiné, en développer les motifs pour les gens de bonne foi, et laisser ensuite les autres censurer tout à leur aise.

<< Dans tous les papiers publics, mon départ a été indiqué comme la suite des menaces qui m'ont été faites et des dangers que j'ai courus. Amis et ennemis, tous m'ont signalé comme ayant quitté mon poste pour me mettre en sûreté.

<< Il est très-vrai que, depuis près de trois mois, j'avais reçu une multitude de lettres anonymes remplies d'injures et de menaces; il est très-vrai qu'on cherchait à m'inspirer la terreur, en m'adressant de faux avis, tantôt qui m'étaient donnés par écrit, et tantôt m'étaient transmis par des inconnus; il est très-vrai qu'on m'avait fait passer, auprès du peuple de Versailles, pour un député dévoué aux intérêts du clergé et de la noblesse; que j'ai vu et que j'ai entendu plusieurs fois des attroupements se former sous mes fenêtres et parler à haute

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