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LA LIBERTÉ INDÉFINIE.

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ces mots sauvages : « Il faut tout brûler, il faut tout détruire 1. >>

La liberté indéfinie, signal et mot d'ordre de cette émeute, écho des harangues des clubs, était la première théorie qui faisait couler le sang sur le pavé de Paris. C'était le premier cri qui, la veille des états généraux, partait de la rue et leur servait de préface. Il leur appartenait sans doute de montrer qu'un événement de cette nature n'était qu'un accident malheureux, et de prouver qu'une grande assemblée pouvait calmer les passions populaires, et opposer la liberté possible et pratique à celle qui brûle et qui détruit.

Le même historien invoque ici le témoignage de Toulongeon, dont les affirmations, » fait-il observer, « ne sauraient être suspectes, et il indique son discours préliminaire. (Voir le t. II, p. 255, de l'Histoire de la Révolution, par M. Louis Blanc.) Il prétend ainsi établir que les ouvriers réunis dans le faubourg Saint-Antoine pour détruire, au nom de la liberté, la propriété d'un bourgeois fils de ses œuvres, sorti de la classe ouvrière, faisaient acte non pas de brigandage ordinaire, en brûlant tous les objets précieux qui leur tombaient sous les mains, mais de révolution; nous le voulons bien. Il complète ce tableau, d'après l'Ami du roi, en montrant des ouvriers qui promenaient des cadavres sur des brancards, le long du faubourg Saint-Antoine, et qui disaient : « Voilà les défenseurs de la patrie, donnez de quoi les faire enterrer. »

APPENDICE

A

Nous devons à M. Duplessis, avocat à Paris, la communication du document auquel nous avons fait allusion.

Certes, la famille dont il s'agit était étrangère à une illustration comme celle de Colbert, mais ses alliances et son élévation, à la même époque, communes d'ailleurs à beaucoup d'anciennes familles de la bourgeoisie parisienne, même sans autre condition qu'une fortune honorablement acquise dans l'industrie et le commerce, montrent d'autant mieux que le mouvement ascendant de cette classe, son entrée même dans la carrière des armes, étaient alors quelque chose de fréquent et même de peu extraordinaire.

M. Levacher Duplessis, marchand d'étoffes d'or et d'argent, dont le magasin se trouvait près de Saint-Germain l'Auxerrois, mort en 1688, laissa neuf enfants, le même nombre que le grand Colbert. Deux de ses fils furent chanoines de la cathédrale de Toul; cela n'a rien de surprenant, puisque le clergé, de temps immémorial, était ouvert à tout le monde; un troisième fut payeur des rentes à l'hôtel de ville, fonction administrative; un quatrième, Jean Levacher de Fontenay, fut grand prévôt de l'lle de France, charge d'épée et de robe; un cinquième, Pierre Levacher Longvilliers, conseiller au Parlement de Metz; un sixième enfin, Joachim Levacher, capitaine

au corps royal du génie. Des deux filles de Nicolas Levacher Duplessis, l'une épousa un conseiller au Parlement de Paris, M. de Fourmont, et l'autre un président à la cour des aides de Paris. Enfin, une petite-fille de Nicolas Levacher Duplessis, marchand d'étoffes, devint la femme du marquis de Cherisey, lieutenant général sous Louis XV, et une autre du baron de Larivoir, écuyer cavalcadour de la Dauphine, mère du roi Louis XVI1.

Il serait facile, nous l'avons dit, de multiplier les exemples de ce genre, et de prouver que les positions élevées qui menaient à la noblesse, les alliances aristocratiques, se trouvaient alors dans des familles de simples marchands; mais nous nous contenterons d'avoir indiqué par un fait choisi entre beaucoup d'autres, une partie de notre histoire sociale: nous le répétons, la bonne bourgeoisie parisienne, sans parler de celle des provinces, n'aurait qu'à consulter ses papiers de famille pour y trouver des documents analogues à celui que nous avons cru devoir rapprocher de la brillante fortune d'une famille comme celle de Colbert: politique, administratif ou industriel, le mouvement ascensionnel des classes bourgeoises les portait vers la noblesse et la leur ouvrait par des issues nombreuses et fa

1 Nous trouvons dans la grosse du compte de tutelle, donnée au Chastelet le 8 juillet 1688, après la mort de M. Nicolas Levacher Duplessis, marchand d'étoffes d'or et d'argent, décédé rue Thibeautodé, marguillier de Saint-Germain l'Auxerrois, le relevé de toutes les sentences rendues contre ses débiteurs, tous nobles de cour, dont les noms, la plupart historiques, méritent d'être reproduits. On a tant parlé de l'égalité devant la loi, qui n'aurait existé que depuis 89, qu'il est curieux de voir comment les princes et les plus grands seigneurs étaient forcés de subir, sous Louis XIV, les sentences du Châtelet.

Parmi les débiteurs du marchand d'étoffes, nous rencontrons, d'abord, le grand Condé, qui était, comme les autres, poursuivi, et qui payait à la requête de M. Levacher Duplessis.

Nous citerons, après lui, M. le prince de Conti, condamné à payer la somme de dix mille cinq cents livres;

Le duc de Valentinois, le maréchal et la maréchale d'Humières, le baron de Beauvais, le sieur de Grignan et la dame son épouse (sentence du Châtelet du 6 avril 1686);

Le comte de Soissons, M. et madame de Vivienne, le chevalier de Béthune, le chevalier de Sourdis et le duc de Rohan (les sentences et les sommes spécifiées).

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ciles nous parlons de la noblesse d'épée elle-même, où l'on a vu que les fils de Colbert étaient entrés.

B

« Le 28 mars 1615', quatre jours après la dissolution des états généraux, le parlement, toutes les chambres assemblées, rendit un arrêt qui invitait les princes, ducs, pairs, officiers de la couronne, ayant séance et voix délibérative à la cour, à s'y rendre pour aviser les choses qui seraient proposées pour le service du roi, le bien de l'État et le soulagement du peuple. Cette convocation, faite sans commandement royal, était un acte inouï jusqu'alors; elle excita dans le public une grande attente, l'espérance de voir s'exécuter par les compagnies souveraines ce qu'on s'était vainement promis de la réunion des états. Le conseil du roi s'en émut comme d'une nouveauté menaçante, et, cassant l'arrêt du parlement par un contrearrêt, il lui défendit de passer outre, et aux princes et pairs de se rendre à son invitation. Le parlement obéit, mais aussitôt il se mit en devoir de rédiger des remontrances; un nouvel arrêt du conseil lui ordonna de s'arrêter; cette fois il n'obéit point et continua la rédaction commencée. Les remontrances prêtes, le parlement demanda audience pour qu'elles fussent lues devant le roi, et sa ténacité soutenue par l'opinion publique, intimida les ministres; durant près d'un mois ils négocièrent pour que cette lecture n'eût pas lieu; mais le parlement fut inébranlable et sa persévérance l'emporta. Le 22 mai, il eut audience au Louvre et fit entendre au roi en conseil ces remontrances, dont voici quelques passages:

« Sire 2, cette assemblée des grands de votre royaume n'a été proposée en votre cour du parlement que sur le bon plai

↑ Essai sur l'histoire du tiers état, par Augustin Thierry, p. 161 et suiv. 2 Nous n'avons pas besoin de rappeler que ces remontrances s'adressaient à Louis XIII.

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